Paris en 1919, capitale de la paix
Le 11 novembre dernier se tenait à Paris une première édition du forum sur la paix qui accueillait plus de 80 chefs d'état et de gouvernement. Cent ans auparavant, déjà, la capitale française accueillait les vainqueurs de la grande guerre pour préparer et négocier la paix.
La paix, qui allait être signée à la suite du premier conflit mondial, était hors du commun à bien des égards. Il n’était pas seulement question de tracer de nouvelles frontières comme les anciens traités de paix l’avaient fait autrefois, mais désormais de reconstruire l’économie européenne, de ravitailler les populations civiles dont beaucoup étaient menacées par la famine, d’apaiser les tensions encore importantes à l’est du continent européen, de répondre au défi révolutionnaire en Russie, et plus largement de refonder les relations internationales sur des bases nouvelles.
LES PRINCIPES WILSONIENS, BASES DE LA FUTURE PAIX ?
Ces bases, le président américain Wilson les a précisées dans ses discours de l’année 1918, notamment lors des Quatorze points prononcés devant le Congrès américain le 8 janvier. Dans cette intervention, il présentait ce que devait être le nouvel ordre international et promouvait d’abord une "diplomatie ouverte", ce qui suscita de nombreux espoirs dans les opinions et chez les journalistes. Il s’agissait surtout d’éviter à l’avenir les traités secrets. Ensuite, influencé par son libéralisme, Wilson avait souhaité garantir la liberté des mers en temps de paix comme en temps de guerre et abaisser les barrières douanières au maximum. Le principe, révolutionnaire pour l’époque, du désarmement et la promesse d’un règlement équitable des questions coloniales complétaient ce regroupement de grands principes. Mais la nouveauté institutionnelle la plus remarquable était la proposition de création d’une "association générale des nations", un organe de sécurité collective chargé d’éviter le retour de la guerre et d’incarner un renouvellement du droit international. Complétés par des points territoriaux redessinant la carte de l’Europe selon le principe du droit des peuples (sans mentionner l’expression) dont le retour de l’Alsace-Lorraine à la France, ces principes wilsoniens firent beaucoup pour la popularité du président américain en Europe.
Ces idées auraient pu rester lettre morte si celles-ci n’avaient pas été proposées par le gouvernement allemand comme la base de la future paix dans leur demande d’armistice du 3 octobre 1918. Ludendorff souhaitait obtenir un armistice-répit pour ses troupes et le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, von Hintze, trouva adéquat de demander une discussion de paix sur la base des idées de Wilson qui paraissaient être les moins dures pour l’Allemagne. Afin d’amadouer le président américain, les militaires allemands proposèrent de confier le gouvernement à un prince libéral de la chancellerie, Max de Bade, ce qui permettait de léguer le fardeau de la mauvaise situation militaire à des civils plutôt qu’à des militaires. Cette proposition fit l’objet de quatre échanges de notes entre Wilson et les Allemands qui aboutirent à un accord sur le sujet. Il restait à convaincre les Alliés, réticents d’abandonner leurs projets de buts de guerre sur l’autel du wilsonisme. Les Français souhaitaient pouvoir neutraliser la rive gauche du Rhin, la détacher de l’Allemagne tout en annexant la Sarre, autant de points absents des discours wilsoniens. À Londres, on s’inquiétait des prétentions de Washington de supprimer l’arme du blocus à travers le principe de la liberté des mers.
PARIS, UNE "VILLE-MONDE"
Ce n’est qu’en menaçant les Alliés européens de faire une paix séparée que les Américains obtinrent leur accord pour faire des principes wilsoniens la base de la paix, hormis deux réserves sur la liberté des mers et les réparations. Cet accord entre vainqueurs et vaincus aurait dû amener une paix rapide et consensuelle. Néanmoins, très rapidement, chaque pays s’est senti très modérément tenu par cette promesse. Alors que dans les opinions européennes, on souhaitait faire payer les vaincus pour le bilan de la guerre, Wilson décida de venir directement en Europe pour négocier la paix personnellement. Une première pour un président américain en exercice.
27 délégations alliées se réunirent à Paris pour négocier la paix, ce qui fit apparaître Paris comme une "ville-monde". La conférence plénière plaça en tête de son ordre du jour la création de la Société des Nations. Wilson pensait que la nouvelle organisation serait la pierre angulaire de la paix et qu’elle compenserait les éventuelles limites des traités. Très rapidement, ce concert mondial laissa place au retour d’un concert de grandes puissances, le cénacle privé et secret du Conseil des Quatre, rassemblant Wilson, Clemenceau, Lloyd George et Orlando, au grand dam des journalistes présents pour ce symposium diplomatique. Les discussions en son sein, parfois tendues, traduisirent les intérêts contradictoires des vainqueurs et aboutirent à de difficiles compromis. Les questions les plus débattues furent celles de la Rhénanie et de la Sarre, et celle des réparations. À plusieurs reprises, on frôla la rupture entre les Grands : la délégation italienne quitta même Paris à cause de la question adriatique, tandis que Wilson prépara son navire pour un retour anticipé à Washington.
"UNE PAIX CARTHAGINOISE ?"
Pour préparer ces travaux, les Grands firent appel à des experts (historiens, géographes, juristes, ethnologues) pour obtenir des conseils aux fins de tracer les frontières des futurs États ou de trancher un différend territorial. Il est à noter que les dirigeants alliés n’avaient qu’une prise relative sur les événements à l’est de l’Europe : les dirigeants des nouveaux États occupèrent le plus souvent les territoires qu’ils revendiquaient sans en référer à Paris et firent valider in fine leurs prises de guerre. Comme une danse sur un volcan, les décideurs de la paix avaient à traiter de la situation révolutionnaire en Russie et en Hongrie, oscillant entre négociation d’ensemble et politique contre-révolutionnaire. Cette dernière position prit progressivement le dessus sur la première. Dans d’autres pays, la crainte du passage au bolchevisme resta à l’esprit des vainqueurs au moment où il fallait faire signer les traités aux vaincus.
Pour finir, les compromis s’élaborèrent lentement entre vainqueurs et les conditions de paix furent présentées aux vaincus, chacun pris isolément. Étant donné les difficultés de la négociation interalliée, les vainqueurs présentèrent la facture aux vaincus sans véritable possibilité de la discuter oralement. La délégation allemande souligna les coups de canifs portés par les Alliés au "contrat" négocié en octobre-novembre 1918. Néanmoins, sous la menace d’une reprise des hostilités, les vaincus signèrent les traités de paix. Une paix carthaginoise comme le dit Keynes ? Les historiens ont beaucoup débattu de sa faisabilité, de ses limites : aujourd’hui beaucoup mettent en avant le poids du contexte et les contraintes pesant sur les acteurs pour l’expliquer.
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Faire la paix sans l’ennemi ? L’exemple de la Conférence de la Paix de 1919, Vincent Laniol, Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin, vol. 42, no. 2, 2015.
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