Jouer pour les Armées
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Entretien avec Claude Kesmaecker, chef d’orchestre de la musique de l’Air
Des cérémonies officielles aux concerts, en passant par les honneurs rendus aux autorités de l’État ou aux représentants étrangers, la musique militaire accompagne le calendrier commémoratif et la vie des unités. Rattachée à l’armée de l’Air et de l’Espace, la musique de l’air regroupe des musiciens d’excellence. Leur niveau de technicité et leur polyvalence permettent à la formation d’assurer un rôle d’ambassadrice dans la France et le monde.
Claude Kesmaecker. © DR
Pouvez-vous revenir sur votre parcours, nous présenter les différentes musiques militaires et ce qui fait la spécificité de celle de l’air et de l’espace?
Je suis le chef de la musique de l’air depuis mars 2005. Originaire du nord de la France, j’ai effectué mes études au conservatoire de Lille puis au conservatoire de Paris, notamment pour la direction d’orchestre. J’ai ensuite été reçu au concours de recrutement de chef de musique militaire et ai été affecté successivement dans l’armée de Terre, dans la Marine et à la direction de la musique de l’air. Ce parcours en tant que chef de musique dans les trois armées est aujourd’hui unique et je mesure la chance et la richesse d’avoir côtoyé des environnements divers.
Les musiques militaires les plus anciennes sont naturellement celles de l’armée de Terre qui compte aujourd’hui, outre le Commandement des musiques de l’armée de Terre (COMMAT), sept musiques d’armes (dont celle de la Légion étrangère) et de nombreuses musiques ou fanfares régimentaires. La tradition des formations de la Marine nationale remonte quant à elle au XIXe siècle. Aujourd’hui, la Marine compte deux formations musicales : la musique des équipages de la flotte de Toulon et le bagad de Lann-Bihoué.
Si toutes ces musiques militaires ont la vocation commune de contribuer aux cérémonies et manifestations commémoratives liées à leurs institutions, la musique de l’air représente depuis toujours un modèle particulier, tant par la qualité des musiciens qui la composent que par la diversité et l’adaptabilité de ses divers répertoires. Elle a, dès sa création par décret signé du général Denain, ministre de l’Air en 1936, souhaité prendre comme modèle la musique de la garde républicaine en demandant au commandant Claude Laty (1er chef de la musique de l’air) de recruter des musiciens de très haut niveau, diplômés pour la plupart du conservatoire de Paris. Cette exigence ne s’est jamais démentie au cours des 85 ans d’existence de la formation, dont l’ensemble des membres sont aujourd’hui issus des Conservatoires nationaux supérieurs de musique (CNSM) de Paris et/ou Lyon.
Comment sont formés vos musiciens et quelles sont les exigences particulières de leur fonction?
Recrutés au plus haut niveau, ils ne reçoivent pas de formation professionnelle au sein de l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE). Leur travail quotidien et l’exigence liée aux diverses répétitions et prestations sont les meilleurs gages de progression tout au long de leur carrière militaire, sanctionnée à la fois par des qualifications militaires et professionnelles et comparable en cela à celle des sous-officiers de l’AAE.
Le métier de musicien militaire est un métier à part entière qui exige à la fois beaucoup de réactivité, d’adaptabilité et, bien sûr, une pratique instrumentale quotidienne. Cette pratique de l’instrument est articulée en trois phases qui sont le travail personnel de l’instrument (travail technique, étude des partitions), les répétitions (partielles et générales) et les prestations. S’agissant des prestations, elles occasionnent toujours des temps de déplacement et d’installation nécessitant une logistique rigoureuse et réactive.
L’orchestre de la musique de l’air sous la direction de Claude Kesmaecker, cathédrale Saint-Louis des Invalides, juin 2015.
© P. Le Minoux/Armée de l’Air
Quelles sont les finalités de la musique militaire et dans quel cadre se déroulent vos prestations ?
La fonction première de la musique militaire est de faire défiler les troupes (exemple : défilé du 14 juillet). Au-delà de cette première acception, elle peut régulièrement faire référence à une tradition, un fait historique, une unité. À toutes ces fins, la musique militaire doit être entraînante, structurée et rythmique.
Les prestations peuvent se dérouler à la fois en statique (salle de concert, scène en extérieur) mais aussi en dynamique. La musique de l’air a ainsi, par exemple, participé au défilé militaire du 8 mai 2022 à Orléans. Elle se rend aussi régulièrement à des festivals internationaux. L’un des plus emblématiques est l’International Virginia Tattoo à Norfolk (USA), où étaient présents, en 2022, plus de 1 000 musiciens, sonneurs et choristes.
Quel est votre répertoire et comment la musique militaire évolue-t-elle pour s’inscrire dans le temps présent ?
Les plus illustres musiciens classiques (Mozart, Beethoven, Schubert, …) ont composé des marches militaires qui respectent les caractéristiques énoncées plus haut. Outre ces marches, on doit aussi souligner l’importance d’oeuvres telles que la symphonie funèbre et triomphale d’Hector Berlioz (composée en 1840) ou encore les Dyonisiaques de Florent Schmitt (composée en 1913). Depuis le début du XXe siècle, de nombreux compositeurs ont écrit pour "orchestre d’harmonie" qui constitue la structure des musiques militaires.
Aujourd’hui les musiques militaires, et particulièrement la musique de l’air, doivent répondre aux enjeux de la société moderne. Tout en gardant la tradition, il ne faut pas s’exclure des expressions artistiques du temps présent. S’il est très difficile (et sans doute inapproprié) de "moderniser exagérément" les marches militaires traditionnelles, il faut puiser dans le répertoire actuel des oeuvres ou des sources d’inspiration, afin que la musique militaire, dans son sens le plus large, continue de s’adresser au plus grand nombre.
L’exemple le plus emblématique de cette incursion dans le répertoire moderne est l’interprétation, le 14 juillet 2017, de titres empruntés au répertoire des Daft Punk. Cela étant, il est fréquent d’illustrer la présence d’un invité prestigieux en adaptant le répertoire. Naturellement, tout cela s’anticipe et, après avoir réalisé les adaptations, il est nécessaire de se préparer individuellement et collectivement lors des répétitions.
Choeurs, chorales et musiques militaires partagent-ils tous les mêmes caractéristiques générales et jouent-ils tous des mêmes instruments ?
Comme je l’ai expliqué précédemment, la caractéristique commune à l’ensemble des chorales et/ou musiques militaires de tous les pays réside dans l’entrain généré par l’interprétation de la musique. Cela étant, les spécificités culturelles, nationales ou liées aux diverses appartenances, sont des marqueurs forts que chaque musique véhicule lors de ses prestations. À titre d’exemple, la musique de l’air vient de réaliser un double CD consacré aux musiques de films de l’aviation et de l’espace.
Par ailleurs, si les instruments utilisés par l’ensemble des musiques militaires sont quasiment identiques et liés à la fonction de ces formations musicales, certains d’entre eux offrent une particularité qui distingue certains ensembles. C’est le cas de la cornemuse et de la bombarde qui, en France, sont l’apanage du bagad de Lann-Bihoué. C’est la même chose s’agissant des trompettes de cavalerie, utilisées exclusivement dans les fanfares de cette arme et bien sûr au sein de la garde républicaine.