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Les femmes guerrières du Dahomey

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Amazones au combat, gravure de Castelli, 1877. © Chris Hellier. All rights reserved 2023/Bridgeman Images

Régiment militaire entièrement féminin d’Afrique de l’Ouest, les Agodji, surnommées "amazones" par les Européens, ont constitué l’unité d’élite de l’armée du royaume du Dahomey. Elles se sont illustrées par leur force et leur courage pendant près de trois siècles, avant d’être décimées par les troupes coloniales françaises.

Corps 1

Le succès du film hollywoodien The Woman King, sorti en septembre 2022 et mettant en scène des femmes guerrières africaines, a rappelé le souvenir des amazones de l’ancien royaume du Dahomey (actuel Bénin). Entre le 17e et le 19e siècle, celles-ci ont constitué un corps d’élite, que divers documents européens ont qualifié de plus célèbre exemple d’armée féminine dans l’histoire militaire.

Les versions varient sur l’origine de ces combattantes, les plus documentées évoquant au départ des chasseuses d’éléphants que le roi Houegbaja, arrivé au milieu du 17e siècle sur le trône du Dahomey, aurait recrutées comme gardes pour la protection de son palais. Au début du 18e siècle, le roi Agaja (1708-1740) fit appel à des supplétifs féminins afin de compenser, après des engagements particulièrement meurtriers, des pertes en hommes considérables. C’est ainsi que, pour enrayer l’affaiblissement de leur dispositif militaire, les souverains dahoméens allaient prendre l’habitude d’y incorporer des femmes.

Un siècle plus tard, constituées en force militaire permanente, celles-ci étaient devenues le principal élément régulier de l’armée, représentant 25 à 30 % des eff ectifs sous le règne du roi Guézo (1818-1858).

Composition

Agodji de leur nom originel, ces guerrières africaines ont été dénommées "Amazones" par les premiers voyageurs européens en visite à la cour d’Abomey, en référence aux antiques guerrières de la mythologie grecque. L’armée des amazones était divisée en deux groupes principaux : une unité défensive affectée à la protection du palais et à la sécurité intérieure, et un corps offensif qui formait l’avant-garde de l’armée. Elles étaient réparties en cinq régiments reconnaissables à leurs uniformes et équipements distinctifs. La première unité, qui représentait la fraction la plus importante, était celle des fusilières, au nombre de trois mille environ. Vêtues de tuniques bleues, serrées à la taille par une ceinture, et de pantalons bouffants tombant jusqu’aux genoux, elles disposaient de fusils et de sabres courts à lame dentelée, redoutables dans les corps à corps. Le crâne rasé couvert d’une calotte blanche ornée sur le côté d’une petite applique de tissu bleu en forme de caïman, elles portaient, accrochées à leur ceinture, des cartouchières en feuilles de bananiers séchées et tressées. Certaines utilisaient en outre des lances, des coutelas ou des haches. Le second régiment, composé des chasseuses ou éclaireuses, comptait environ 400 femmes. Leur tenue était identique aux premières mais de couleur plus foncée. Un bandeau en fer surmonté de deux cornes d’antilopes enserrait leur crâne rasé, ce qui permettait de tromper l’ennemi lorsqu’elles se déplaçaient furtivement dans la brousse, à travers la végétation, pour aller espionner les positions adverses. Les faucheuses, pour leur part, inspiraient une grande terreur avec leurs impressionnants rasoirs d’environ 50 cm d’envergure, fixés sur un manche en bois. Une arme étonnante que l’on maniait des deux mains, et qui s’ouvrait et se fermait en un mouvement de ciseaux. La quatrième unité regroupait les artilleuses, armées de tromblons, et vêtues de tuniques bleues et rouges. Elles s’occupaient des canons et des pièces d’artillerie.

 

Dahomey

Amazones au combat, gravure de Castelli, 1877. © Chris Hellier. All rights reserved 2023/Bridgeman Images
 

Enfin, les archères, des jeunes filles sveltes et agiles, portant une tunique bleue, une calotte de coton blanc sur la tête et un gros bracelet en ivoire au bras gauche. Rectifions au passage un mythe colporté à l’époque dans des récits fantaisistes de voyageurs européens. Non, les archères ne se coupaient pas un sein pour tirer à l’arc ! C’étaient simplement des adolescentes à la poitrine suffisamment menue pour pouvoir positionner correctement leur arc. Bien entendu, aucune de ces guerrières ne sortait sans ses gris-gris et amulettes censées leur apporter une protection magique et prolonger l’effet des rituels religieux et mystiques qu’elles pratiquaient. Les amazones avaient enfin leurs propres générales, que le roi désignait parmi les combattantes les plus expérimentées. Cette armée féminine possédait ses propres insignes militaires, sa fanfare, ses chants de guerre, et une place distincte lui était réservée dans les parades militaires.

Obéir à des règles strictes

Les conditions de vie de ces femmes étaient particulièrement rudes. Recrutées dès l’âge de seize ans parmi de jeunes vierges, elles devaient s’astreindre au célibat et à la chasteté pendant toute la durée de leur service militaire. Sous le règne de Glélé, dans la seconde moitié du 19e siècle, elles furent autorisées à se marier avec des chefs ou autres dignitaires du royaume. Quand une amazone se retrouvait enceinte, elle quittait l’armée pour s’occuper de son enfant jusqu’à ses trois ans, puis elle le confiait aux femmes de son entourage et s’en retournait à ses activités militaires. En cas d’inaptitude au combat, l’amazone revenait à la vie civile et était prise en charge par la communauté.

Occupant une concession à l’intérieur du périmètre du palais, alors que les soldats masculins vivaient dans des cantonnements extérieurs, ces guerrières subissaient un entrainement physique éprouvant et un conditionnement spirituel intense. Conditionnées à tuer sans hésiter, elles entretenaient une forte solidarité de corps et faisaient aussi montre d’un certain orgueil face aux autres sujets de la société. Lorsqu’elles sortaient du palais, elles étaient précédées de fillettes qui leur ouvraient le chemin en agitant des clochettes pour avertir les passants ; lesquels s’écartaient aussitôt. Il était interdit de frôler une amazone ou de la fixer du regard. Seules les princesses et femmes de haut rang avaient droit aux mêmes égards dans la rue.

Sous le feu français

À partir de 1890, les amazones sont en première ligne face à l’expansion coloniale française au Dahomey. Des combattants français racontent : "Les amazones sont les plus acharnées ; malgré la mitraille elles s’avancent à 100 pas de nos lignes. Dès qu’un rang ennemi disparaît sous nos balles, un autre se reforme et, enjambant les cadavres, marche en avant." Le corps des amazones a été quasiment décimé dans cette résistance : il n’en reste plus qu’une soixantaine encore valides en novembre 1892.

Vers la fin du 19e siècle et jusque dans les années 1930, une sorte d’imagerie fantasmée se créée en Europe autour de leur souvenir. L’exploitation, par les journaux à grand tirage, de récits de voyageurs, le succès de romans d’aventures dont les auteurs prétendaient avoir goûté leurs mœurs intimes, attirent en effet la curiosité du public sur cette insolite armée de femmes. Des livres, des affiches, des cartes colorées… témoignent de cet engouement. Des figurantes, déguisées en amazones, sont alors exhibées devant des milliers de visiteurs lors "d’expositions coloniales" ou autres lieux d’attractions. Ce sont elles que l’on voit, aujourd’hui encore, sur la plupart des photos légendées "Amazones du Dahomey"

 

Sylvia Serbin -  Historienne