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L’Ordre de la Libération et les femmes

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Le général Legentilhomme décore Laure Diebold de la croix de la Libération, cour d’honneur des Invalides, 18 juillet 1946. © Famille de Daniel Cordier

Seules six femmes font partie de l’ordre prestigieux de la Libération qui compte plus d’un millier de membres. Plusieurs facteurs permettent de comprendre pourquoi les femmes n’ont jamais obtenu une reconnaissance à la hauteur de leur courage et de leurs sacrifices durant la Seconde Guerre mondiale.

Corps 1

L’ordre de la Libération, fondé dès novembre 1940 par le général de Gaulle avec les premières institutions de la France libre est, par essence, un ordre combattant. Ses membres – les compagnons de la Libération – issus pour les trois-quarts des Forces françaises libres (FFL), sont à une écrasante majorité des soldats en uniforme. Devait-on pour cela en exclure les femmes ? Le général de Gaulle, en décernant, en mai 1941 parmi les premiers, la croix de la Libération à Marie Hackin, Française libre disparue en service commandé, répondit négativement.

Pour autant, parmi les 1 038 personnes titulaires de la croix de la Libération, on ne compte que six femmes : Berty Albrecht, Laure Diebold, Marie Hackin, Marcelle Henry, Simone Michel-Lévy et Émilienne Moreau-Évrard. Ce taux extrêmement faible (0,6 %) ne manque pas d’étonner aujourd’hui. Pourquoi si peu de femmes au sein de l’ordre de la Libération ? La question n’appelle certes pas une réponse unique. Elle conduit à interroger, d’une part, la place faite aux femmes dans l’économie morale de la reconnaissance touchant les résistants au lendemain de la guerre et, d’autre part, les particularités de l’ordre de la Libération.

Oubliées de l'Histoire

Le résistant Claude Bourdet, ancien dirigeant du mouvement Combat et lui-même compagnon de la Libération, avance dans ses mémoires une explication de la sous-représentation des femmes dans l'ordre de la Libération : "On a l'impression que, en général, n'ayant pas de femmes dans les bureaux de Londres ou aux FFL, de Gaulle et les hommes de ses bureaux ont purement et simplement oublié cette moitié de l'humanité et de la Résistance". Cette proposition doit être à la fois nuancée et élargie. En effet, pour devenir compagnon de la Libération, il faut avoir été proposé, puis obtenir l'avis favorable du conseil de l'ordre de la Libération et, in fine, la signature du général de Gaulle. Or, au-delà des "services de Londres", les chefs de mouvements et de réseaux, les préfets ou les ministres du Gouvernement provisoire, chargés d’établir des demandes de titres de reconnaissance, n'ont pas non plus manifesté la volonté de proposer des résistantes pour la croix de la Libération. À cet égard, les archives de l'ordre de la Libération nous apprennent que, en tout et pour tout, neuf propositions concernant des femmes sont parvenues jusqu'au conseil de l'Ordre entre 1940 et la forclusion de janvier 1946.

Autrement dit, les femmes ne sont admises qu’exceptionnellement, car elles ne sont proposées qu'exceptionnellement par les hommes. Notons d’ailleurs que quatre des six femmes compagnon de la Libération ont été distinguées à titre posthume ; soit les deux tiers d'entre elles contre un quart pour les hommes. Ce qui révèle des critères plus sévères encore pour les femmes que pour les hommes et nous rappelle plus largement qu’en sortie de guerre, la répression subie par les résistantes joue un rôle prépondérant dans la reconnaissance de leur engagement.

Des résistantes invisibilisées

Il est vrai aussi que la résistance féminine est en général moins spectaculaire et plus discrète que celle des hommes et que les résistantes, comme l'a écrit Dominique Veillon, "se sont essentiellement livrées à des activités qui n'ont pas toujours laissé de trace, parce qu'elles s'inscrivaient dans le prolongement de leurs attributions habituelles". Cette relative "invisibilité" de l’activité féminine dans la résistance, associée au fait que les résistantes n’ont rien revendiqué pour elles-mêmes, a contribué à leur faible reconnaissance.

 

Legentilhomme

Le général Legentilhomme décore Laure Diebold de la croix de la Libération, cour d’honneur des Invalides, 18 juillet 1946. © Famille de Daniel Cordier

 

Reconnaissance asymétrique

La forclusion précoce de l’ordre de la Libération dès janvier 1946 avec le départ du pouvoir de Charles de Gaulle a figé définitivement le déséquilibre femmes/hommes au sein de l’Ordre. Si les nominations s’étaient poursuivies (comme pour la médaille de la Résistance ou la croix de combattant volontaire de la Résistance), cet équilibre aurait-il évolué en faveur des femmes ?

Cantonnées dans une large mesure à la sphère privée, les résistantes, en investissant la sphère publique, ont "assumé leur devoir de citoyennes sans en avoir les droits" puisque, jusqu’à l’ordonnance du 21 avril 1944 sur l'organisation des pouvoirs publics en France après la Libération, les femmes sont encore mineures civiques. Mais leur accès à la citoyenneté ne change pas pour autant radicalement le regard que la société française porte sur elles. En ce qui concerne les autres distinctions consacrées à la Résistance, la proportion des femmes est, là encore mais dans une moindre mesure, largement inférieure à leur nombre estimé dans la Résistance. Elles représentent en effet 8,7 % des presque 65 000 médaillés de la Résistance française et, pour le département du Nord, qui se trouve dans la moyenne haute, 12 % des titulaires de la carte de Combattant volontaire de la Résistance.

Si, à présent, la très faible proportion de femmes dans l’ordre des Compagnons de la Libération surprend légitimement, ce point ne faisait pas question dans l'immédiat après-guerre. Mais le chemin est encore long pour approcher la parité sur le plan de la reconnaissance, si l’on considère le nombre de femmes aujourd'hui titulaires d'un grade dans le premier ordre national français : la Légion d'honneur, ordre civil autant que militaire, ne compte dans ses rangs actuellement, sur 93 000 membres, que 10 % de femmes.

 

Vladimir Trouplin - Conservateur du musée de l’ordre de la Libération