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Le débarquement de Normandie et l’opération Overlord

Sous-titre
Par Gilles Ferragu, Chercheur au Service Historique de la Défense (Vincennes - DREE)

Troupes du 7e corps d'armée américain débarquant sur la plage d'Utah Beach. © IWM (EA 51046)

On résume souvent, et faussement, l’opération Overlord au seul débarquement en Normandie, du 6 juin 1944 : cette représentation est en partie forgée par le film The Longest Day (« Le jour le plus long ») adapté du bestseller de Cornelius Ryan et sorti en 1962. La mise en scène insiste logiquement sur les combats du Débarquement, suggérant que le succès d’Overlord s’est joué le premier jour, sur les plages.

Corps 1
Troupes du 7e corps d'armée américain débarquant sur la plage d'Utah Beach.
AMERICAN (US) EMBASSY SECOND WORLD WAR PHOTOGRAPH LIBRARY : CLASSIFIED PRINT COLLECTION - © IWM (EA 51046)

L’opération est pourtant bien plus ample, en ce qu’elle recouvre, outre le débarquement de vive force - opération Neptune –, la nécessité de conquérir une tête de pont, étape nécessaire au lancement d’une grande offensive visant l’Allemagne, et qui soulagerait d’autant l’URSS. Overlord est d’ailleurs à l’origine planifiée comme un double débarquement simultané, en Normandie et en Provence, dans ce qui devait être une vaste manœuvre d’encerclement. Cependant, les moyens manquent et le débarquement de Provence est repoussé au 15 août 1944. Les objectifs de l’opération, fixés le 10 mars 1944 par le général Eisenhower, à la tête du SHAEF (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Forces = quartier général des forces alliées en Europe nord-occidentale) à l’intention des trois principaux commandants en chefs sur le terrain - les maréchaux Bernard Law Montgomery et Trafford Leigh-Mallory ainsi que l’amiral Bertram Home Ramsay - sont les suivants : « sécuriser une tête de pont sur le continent qui puisse servir de point d’ancrage pour développer de futures offensives. […] Cette opération sera menée en deux phases distinctes : Phase I : La réalisation d’un débarquement sur les plages normandes entre Quineville à l’ouest et Cabourg à l’est, suivie par la capture rapide et l’agrandissement d’aérodromes, puis par la prise du port de Cherbourg. Phase II : Le développement des zones conquises au cours de la Phase I, de manière à sécuriser l’ensemble des ports de la Bretagne et la Loire. ».

Décidée lors de la conférence Trident, qui s’est tenue à Washington du 12 au 25 mai 1943, l’opération Overlord dure 85 jours, face à un adversaire peu mobile (du fait d’une pénurie de carburant, de pièces détachées et de véhicules), privé de la maîtrise des airs, mais résolu. Il a fallu avant cela libérer la mer des U-boote (printemps 1943), s’assurer la suprématie aérienne face à la Luftwaffe (début 1944) et intoxiquer le renseignement ennemi par une manœuvre de déception tactique de grand style, l’opération Fortitude, laquelle s’inscrit dans un large système de déception stratégique, Bodyguard.
 

Le maréchal Erwin Rommel inspectant les défenses allemandes sur le mur de l'Atlantique.
JOHNSON W A (MAJOR) - © IWM (HU 28594)
 

Rôdée en Afrique du Nord puis en Sicile et dans la péninsule italienne, la mécanique du Débarquement débute enfin dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 par les largages, sur les arrières des plages du Cotentin, de la 6e division britannique à Ranville ainsi que des 82e et 101e divisions américaines à Sainte-Mère-Eglise afin de stopper une possible contre-attaque allemande. Toutefois, les Allemands, à commencer par le maréchal Rommel, commandant le groupe d’armées B, ne croient pas à une opération ce jour, du fait d’une météo défavorable. Et pourtant, 6 divisions (les 1ère, 4e et 29divisions américaines, les 50e et 3e divisions britanniques et la 3e division canadienne) doivent débarquer, venant grossir les effectifs aéroportés, soient 170 000 hommes, renforcés dès le lendemain par 13 autres divisions et 17 le surlendemain, épaulés par 7000 navires et plus de 11 000 avions de tous types. Le 6 juin à 06h30, l’opération Neptune débute avec le débarquement des troupes sur plusieurs secteurs. Aux Américains sont confiés les secteurs de Omaha Beach (Colleville-sur-mer) et Utah Beach (Sainte-Marie-du-Mont) : si Utah Beach ne constitue pas un fort obstacle, la bataille est beaucoup plus rude à Omaha Beach où les premières vagues d’assaut sont décimées. Il faut l’appui conjoint de l’aviation et de la marine pour vaincre lentement l’opposition adverse. C’est seulement en fin de journée que la situation est à peu près stabilisée, au prix de plus de 3600 morts côté américain.
 

Commandos du 4th Special Service Brigade, débarquant sur la plage de Nan Red, dans le secteur de Juno, à St Aubin-sur-Mer, le 6 juin 1944.
THE BRITISH ARMY IN NORTH-WEST EUROPE 1944-1945 - © IWM (B 5218)
 

Les Britanniques se sont vus attribuer les plages de Gold Beach (Arromanches, Ver-sur-Mer), Sword Beach (Ouistreham) et Juno Beach (Courseules) où les 3e et 50e divisions d’infanterie progressent plus aisément avec l’appui, notamment, des 177 membres du commando Kieffer, chargés de s’emparer du casino de Ouistreham. Il faut également compter avec les SAS français : dans la nuit du 5 juin 1944, une trentaine d’hommes du 2e RCP/4e SAS sont parachutés en Bretagne afin de préparer deux bases dans le Morbihan et les Côtes d’Armor, à partir desquels les parachutistes doivent ensuite harceler l’ennemi. Deux jours plus tard, 18 équipes de sabotage sont disséminées en Bretagne pour couper les communications et y fixer des troupes. La Résistance française est également impliquée, tant pour le renseignement que pour le sabotage des voies de communication (le « plan Vert »).

Corps 2

Si la libération de Caen, un objectif majeur dont la prise était envisagée dès le 6 juin, doit être remise à plus tard, la ville de Bayeux est par contre occupée par les Britanniques dès le lendemain, par surprise. Ce succès est également le résultat d’une intense campagne de bombardements (avec par exemple la « semaine rouge » de Rouen, du 30 mai au 5 juin), qui continue durant l’opération, notamment pour Caen écrasée sous 2500 tonnes de bombes lors de l’opération Charnwood. Une campagne efficace certes, mais qui frappe lourdement la population civile.
 

La bataille de Normandie : Chars Sherman du 30e corps britannique passant par Bayeux, libérée par le 50e régiment d'infanterie britannique les 7 et 8 juin 1944.
THE BRITISH ARMY IN NORTH-WEST EUROPE 1944-1945 - © IWM (B 5685)
 

Dans la soirée du 6, le bilan est donc globalement positif : les plages ont été prises, non sans difficultés pour Omaha Beach, et - triomphe de l’opération de déception Fortitude – il n’y a pas eu de véritables contre-attaque ennemie, le gros des forces allemandes, et particulièrement les unités d’élite, attendant les Alliés au Nord de la Seine, où Hitler est convaincu que le véritable débarquement se prépare. La tête de pont s’élargit et le front continu entre tous les secteurs est finalement atteint le 11 juin. Entre-temps, les Alliés déploient les ports « Mulberry », des structures artificielles, en attendant la prise de Cherbourg. A cet égard, les forces américaines se lancent à l’assaut du Cotentin, avec pour premier objectif la libération de ce port en eau profonde indispensable à la consolidation de la tête de pont comme à l’approvisionnement. Le 28 juin, la garnison allemande de Cherbourg se rend après six jours de combats, mais il reste encore à nettoyer et déminer le port, qui ne sera disponible qu’en août. Pour autant, l’offensive américaine ne s’interrompt pas et vise désormais la Bretagne. Sur le chemin, les combats sont âpres, en partie du fait du terrain qui forme une sorte de rempart naturel : on parle d’une « guerre des haies ». La bataille pour Saint-Lô, un nœud de communication majeur, s’avère coûteuse, face à l’opposition acharnée de la 7e armée allemande, qui finit par se replier mi-juillet. La prise de Saint-Lô le 19 se fait au prix de près de 10 000 morts américains. Il s’agit maintenant de réaliser la percée vers Avranches, cible de l’opération Cobra lancée le 25 juillet. L’objectif est atteint grâce à l’efficacité des bombardements stratégiques, ouvrant la voie à la prise de Coutances, Granville et enfin d’Avranches le 31 juillet. A la tête de la 3e armée, le général Patton, peut s’engager dans la trouée, direction Brest, Le Mans et l’Ouest.
 

La bataille de Normandie : Un camion de ravitaillement circule sur la chaussée flottante qui était l'un des éléments les plus précieux du Mulberry Harbour. Une violente tempête dans la Manche entre le 19 et le 21 juin a pratiquement détruit le port américain au large de St Laurent, mais le port britannique est resté utilisable.
THE BRITISH ARMY IN NORTH-WEST EUROPE 1944-1945 - © IWM (B 7240)
 

Au Nord, les Britanniques progressent difficilement vers Caen - investie le 8 juin après une succession de bombardements - se heurtant aux meilleures divisions blindées, qui reculent lentement vers Falaise. Ils lancent alors l’opération Bluecoat en direction de Vire. Les Allemands, qui font face au même moment à l’offensive soviétique en Biélorussie (opération Bagration), lancée le 22 juin 1944, sont asphyxiés, frappés dans leur chaîne logistique et dans leur commandement. Ainsi, leur unique tentative de contre-offensive à Mortain, l’opération Lüttich, menée les 7 et 8 août par la 7e armée et la 5e armée blindée, ne parvient pas à percer les lignes alliées. Bientôt, les forces allemandes sont contraintes de reculer vers Falaise, et se retrouvent prises dans une nasse, selon le plan imaginé par le général Bradley. Au Sud, les Américains remontent, avec notamment la 2e division blindée française, débarquée à Utah Beach le 1er aout et rattachée à la 3e armée américaine, qui combat à Argentan. La jonction est finalement réalisée le 19 août, et la poche détruite deux jours plus tard. La réduction de la poche de Falaise solde l’occupation allemande en Normandie. Néanmoins, malgré la perte de leurs véhicules, près de 20 000 fantassins expérimentés réussissent à s’extirper. A la fin du mois d’août, les dernières unités allemandes passent la Seine. La bataille de Normandie se termine début septembre avec la libération du Havre le 12. Overlord s’achève.

Le coût humain est terrible. Les Alliés perdent environ 10 000 hommes tués, blessés et prisonniers le Jour-J, et au moins 50 000 soldats durant l’opération Overlord, soit 2% des 2 millions de soldats alliés engagés. Côté allemand, les pertes sont de 63 000 hommes, soit près de 10% de l’effectif allemand en Normandie. Enfin, dans les combats, et du fait des bombardements, on compte 20 000 tués civils. Dans l’immédiat après-guerre, c’est cependant le débarquement de Provence et non celui de Normandie qui s’est trouvé au centre du discours mémoriel, en raison d’une participation française plus marquée. Pour le 20e anniversaire, en 1964, le général de Gaulle privilégie ainsi l’inauguration du Mémorial du Mont-Faron et ne se rend pas sur les plages de Normandie. Mais rapidement, Overlord prend le dessus dans la mémoire publique, que ce soit dans la culture populaire, l’enseignement scolaire ou les hommages nationaux. Lié directement à la libération de la capitale, fortement valorisé par le cinéma à partir des années 1960, le débarquement de Normandie a aussi, dans un contexte de Guerre Froide, l’avantage sur celui de Provence d’impliquer de nombreux pays désormais membres de l’Alliance atlantique.


Par Gilles Ferragu, Chercheur au Service Historique de la Défense (Vincennes - DREE)