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Le massacre du village d'Oradour-sur-Glane

Sous-titre
Par Dominique Danthieux, Professeur d’histoire-géographie, Docteur en histoire, Chercheur associé au CRIHAM-Université de Limoges

Carte postale du village d'Oradour-sur-Glane. ©Domaine public

Jusqu’au 10 juin 1944, le bourg d’Oradour-sur-Glane, situé à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Limoges, vit une existence tranquille à l’abri des violences de la guerre. Ses habitants ne sont pourtant pas hors du temps et l’arrivée de nouvelles populations les rappelle au contexte troublé de l’époque.

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La commune accueille tout d’abord des réfugiés espagnols fuyant la dictature de Franco. Éloigné de potentielles zones de combat, Oradour reçoit, à partir de 1939, des Alsaciens, évacués d’office sur ordre du gouvernement, dont quelques-uns préfèrent rester plutôt que de repartir vivre dans une province annexée par le Reich. Ce sont ensuite 80 Lorrains, expulsés de Moselle par les nazis, qui s’installent en août 1940. Des familles de la zone occupée envoient leurs proches vivre à la campagne, afin de leur épargner les risques et les difficultés de la vie quotidienne inhérents aux "années noires". Enfin, comme dans de nombreux villages du Limousin, des familles juives ont élu domicile à Oradour pensant échapper aux persécutions de Vichy et de l’occupant. Si l’on fait abstraction des tracasseries administratives et des contraintes – atténuées – du ravitaillement, la vie s’écoule paisiblement. Le tramway départemental relie Oradour à Limoges ce qui permet aux citadins, souvent proches de leurs racines rurales, de venir se détendre le temps d’un dimanche au bord de la Glane ou de se fournir en victuailles dans les fermes environnantes, alimentant ainsi un "marché gris".
 

Carte postale de la place du Champ de Foire à Oradour-sur-Glane.
©Domaine public
 

En ce mois de juin 1944, la Libération approche. Même si nous manquons de certitudes sur l’état d’esprit de la population d’Oradour, celle-ci a dû vivre, comme maintes communes françaises, l’annonce du Débarquement avec l’espoir d’une délivrance rapide. Les maquis ont intensifié leurs activités mais opèrent loin du village, depuis des zones boisées au relief accidenté qui les rend difficiles d’accès. Parallèlement, la répression conduite par les Allemands et les forces de Vichy, la Milice notamment, s’accentue. En avril, la division Brehmer a commis, de la Dordogne à la Corrèze, de nombreux actes de violence contre les populations civiles, pourchassant les résistants, les juifs et exécutant des otages.

Quelques centaines de kilomètres plus au sud, la 2e SS Panzerdivision Das Reich reçoit, le 8 juin, l’ordre de déployer un groupe de combat (soit 8 700 hommes environ) dans l’ouest du Massif Central et de sécuriser l’espace compris entre Tulle, Limoges et Guéret. Il s’agit principalement de neutraliser la Résistance et de préserver les voies de communication, les voies ferrées notamment, de tentatives de sabotage, pour le jour où la division recevra l’ordre de remonter vers le Front de Normandie. L’ordre lui en sera donné le 9 juin, avec pour consigne de se mettre en route le 11 à la mi-journée.

La Das Reich est l’une des 29 divisions de la Waffen SS, dont le nombre n’a cessé de croître jusqu’à représenter 10% des effectifs de l’armée de terre. Après des débuts mitigés en 1940, la 2e PZ SS est devenue un outil militaire efficace que l’expérience du Front de l’Est a aguerri. Les SS paient cher leur réputation et certaines de leurs unités font office de pompiers du front, envoyées dans les secteurs les plus exposés. Aussi, entre février et avril 1944, c’est une division épuisée par de longs mois de retraite à travers l’Ukraine que l’on envoie au repos dans le Sud-Ouest de la France.

D’abord cantonnée au camp de Souges, près de Bordeaux, la Das Reich attend ses nouvelles recrues afin de les former au combat.  Nécessité fait alors loi et l’on se montre nettement moins exigeant sur les antécédents raciaux et politiques des incorporés.  Parmi eux figurent des Polonais, des Russes, des Lettons et des Français provenant des territoires annexés d’Alsace et de Lorraine. La Division est ensuite déplacée dans le secteur de Montauban et échelonnée le long de la Vallée de la Garonne.  Ses missions sont alors conformes à celles des troupes d’occupation, en particulier la lutte contre la Résistance.  La chasse aux maquisards est le moyen d’inculquer aux jeunes soldats les rudiments de la tactique et du maniement des armes. C’est aussi un redoutable moyen de les endurcir en les familiarisant avec des pratiques criminelles expérimentées sur le Front de l’Est.

Le 5 juin 1944, le général Lammerding, commandant de la Das Reich, expose dans un rapport adressé à sa hiérarchie les méthodes selon lui adéquates pour lutter contre les maquis.  Il propose une série de contre-mesures visant à discriminer les "terroristes" auprès des populations et à punir durement tout acte commis à l’encontre des troupes d’occupation. Lammerding s’inspire des actions menées à l’Est contre les partisans, en suggérant notamment d’exécuter par pendaison pour marquer les esprits. Outre l’expérience acquise à l’Est, l’armée allemande dans son ensemble est l’héritière d’une doctrine remontant au moins à la guerre de 1870-1871 contre la France, consistant à traiter avec la plus extrême sévérité toute forme de résistance. On ne cherche pas à conquérir les âmes mais à soumettre. L’idéologie mortifère des nazis prônant la supériorité de la race des seigneurs et la primauté du droit de conquête n’a pu qu’aggraver ces tendances criminogènes. De mai à juin 1944, la Das Reich opère ainsi dans l’espace compris entre la Garonne et le Massif central contre les "bandes terroristes". Il s’ensuit une série de destructions, de pillages et d’exécutions sommaires de civils et de résistants.

Corps 2

En juin, les hommes du régiment Der Führer mènent dans l’espace qui leur a été assigné une vingtaine d’opérations de répression. Le 8, ils reprennent Tulle aux résistants et le lendemain pendent 99 otages aux balcons et aux réverbères de la ville.  On peut estimer, en Limousin, à environ 200 tués le bilan de ces deux journées de terreur. Le temps leur étant compté, les SS décident le 9 au soir de frapper fort et de terroriser les populations en détruisant une agglomération et en massacrant ses habitants. Le choix se reporte sur Oradour-sur-Glane pour des raisons encore mal élucidées.
 

Le village d'Oradour-sur-Glane après le massacre.
© Pierre Poitevin /Centre de la mémoire d’Oradour
 

Le samedi 10 juin vers 14h, une compagnie du régiment Der Führer encercle la localité, en interdit les accès, perquisitionne les maisons et rassemble la population sur le Champ de Foire. Les habitants patientent le temps que les SS repèrent les lieux où ils pourront les assassiner. Une heure plus tard, les hommes sont répartis entre 6 granges et hangars; les femmes et les enfants dirigés vers l’église. Une détonation donne le signal du massacre. On mitraille les hommes dans les jambes pour éviter toute fuite puis les soldats circulent parmi les corps pour achever ceux qui respirent encore. Dans l’église sont disposées des charges explosives mais en quantité insuffisante. Alors les SS mitraillent et lancent des grenades sur les femmes et les enfants. Enfin, le pillage, l’incendie du village et des cadavres, parachèvent l’œuvre de destruction.  On compte 643 victimes. 6 survivants ont échappé à un sort funeste, une trentaine de rescapés se sont cachés, la quinzaine de passagers du tramway arrêté par les Allemands a finalement été épargnée.

Le lendemain, une section de SS revient sur les lieux du crime pour disperser les restes des victimes dans des fosses communes, rendant impossible toute identification et prolongeant de la sorte la douleur des familles, en rendant leur deuil impossible. Le 11 juin, Jean Pailler, dont la femme et les 2 enfants résident à Oradour, entre dans le bourg et livre la première description de l’horreur du massacre : "au milieu d’un amas de décombres, on voyait émerger des ossements humains calcinés […] Bien que les ossements fussent aux trois-quarts consumés, le nombre de victimes paraissait très élevé […] Il n’est pas de mots pour décrire pareille abomination".
 

L'église d'Oradour-sur-Glane après le massacre.
© Pierre Poitevin /Centre de la mémoire d’Oradour
 

Oradour s’ajoute donc à la longue liste des violences commises par la SS, qualifiée "d’organisation criminelle" par les juges du procès de Nuremberg.  En France, d’avril à août 1944, les SS, toutes unités confondues, se sont rendus coupables de la mort d’environ 1 200 civils, soit autant de crimes de guerre. Oradour-sur-Glane demeure cependant, d’entre tous ces forfaits, celui qui frappe le plus fortement les imaginations. Dès le mois de juillet 1944, le gouvernement de Vichy prend la décision de conserver les ruines. Cette volonté de reconnaissance est poursuivie par le GPRF (Gouvernement provisoire de la République française). Le projet du général de Gaulle, venu en mars 1945, est d’ériger Oradour en symbole des souffrances d’une France silencieuse, martyrisée en raison même de son innocence. Le chef du gouvernement déclare, dans les ruines, qu’Oradour "restera le symbole de ce qui est arrivé à la patrie elle-même". L’heure est à la recomposition de l’unité du pays et la France nouvelle a besoin de lieux où se souvenir, sans déclencher une guerre des mémoires. En avril 1946, une loi "relative à la conservation des ruines et à la reconstruction d’Oradour-sur-Glane" est adoptée sans débats. La puissance évocatrice des ruines justifie leur classement au titre des Monuments historiques. L’État institue une "dette nationale" au profit des sinistrés d’Oradour – ou de leurs ayant-droits – et souhaite procéder à la "reconstitution" de leurs propriétés par la construction d’un nouveau bourg à deux pas de l’ancien. Dans le même temps les Français sont invités à communier dans le culte des "martyrs" et à se rendre à Oradour en "pèlerins du souvenir". Le 10 juin 1945, une cérémonie commémore le premier anniversaire du massacre. Les premières visites officielles contribuent à l’ébauche d’un parcours du souvenir qui relie les divers lieux où furent assassinés les habitants. L’ultime geste de reconnaissance est réservé à un dépôt de gerbe sur le tombeau des martyrs, érigé en 1953 dans le cimetière communal à l’instigation de l’Association Nationale des Familles des Martyrs d’Oradour-sur-Glane. La forme processionnaire détermine encore aujourd’hui le protocole cérémoniel. 

Le sens d’Oradour s’est enrichi et complexifié au fil du temps. Le village-martyr, désormais complété depuis 1999 par le récit délivré par un équipement d’interprétation, le Centre de la Mémoire d’Oradour, participe aujourd’hui d’une mémoire européenne, voire universelle, du refus de la barbarie et de la célébration du respect des droits humains.


Par Dominique Danthieux, 
Professeur d’histoire-géographie, 
Docteur en histoire, 
Chercheur associé au CRIHAM-Université de Limoges


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