L'épreuve du feu
Contents
13 janvier : fondation de la Fédération des gauches par Aristide Briand et Louis Barthou.
17 mars : assassinat à Paris de Gaston Calmette, directeur du Figaro, par Henriette Caillaux, le tenant responsable de la campagne de dénigrement contre son mari, le ministre des finances Joseph Caillaux.
29 mars : en France, réforme de la contribution foncière.
26 avril - 10 mai : en France, victoire de la gauche (radicaux et socialistes) aux élections législatives contre la ?folie des armements?.
10 mai : en France, Blaise Diagne (Sénégal) devient le premier député africain à la Chambre des députés.
9 juin : en France, Alexandre Ribot président du Conseil.
13 juin : en France, René Viviani président du Conseil.
28 juin : assassinat à Sarajevo de l'archiduc François-Ferdinand, héritier de l'empire Austro-Hongrois, et de son épouse, la duchesse de Hohenberg, par Gavrilo Princip, un nationaliste serbe.
15 juillet : en France, création de l'impôt général sur le revenu.
20-23 juillet : visite du président de la république française Raymond Poincaré et du président du conseil René Viviani en Russie.
23 juillet : ultimatum de l'Autriche-Hongrie à la Serbie.
27 juillet : en France, manifestations contre la guerre organisées par les syndicats.
28 juillet : en France, acquittement d'Henriette Caillaux à l'issue d'un procès retentissant.
28 juillet : déclaration de guerre de l'Autriche-Hongrie à la Serbie.
29 juillet : en Russie, mobilisation partielle contre l?Autriche-Hongrie. Réunion à Bruxelles du bureau de l'Internationale socialiste afin de définir sa position face à la crise.
30 juillet : mobilisation générale en Russie.
31 juillet : à Paris, assassinat du dirigeant socialiste Jean Jaurès par le nationaliste Raoul Villain. Ultimatum allemand à la Russie et à la France. Mobilisation générale en Belgique.
1er août : déclaration de guerre de l'Allemagne à la Russie.
2 août : mobilisation générale en France. Invasion du Luxembourg par les troupes allemandes. Ultimatum allemand à la Belgique.
3 août : déclaration de guerre de l'Allemagne à la France et à la Belgique.
4 août : invasion de la Belgique par les troupes allemandes. Déclaration de guerre du Royaume-Uni à l'Allemagne.
4 août : appel à l'Union sacrée du président français Raymond Poincaré.
5 août : en France, loi instituant la censure de la presse.
6 août : déclaration de guerre de l'Autriche-Hongrie à la Russie et de la Serbie à l'Allemagne.
8 août : entrée dans Mulhouse des troupes françaises.
10 août : reprise de Mulhouse par les Allemands.
11 août : déclaration de guerre de la France à l?Autriche-Hongrie.
12 août : mobilisation générale en Russie. Victoire de l'armée belge à la bataille de Haelen.
13 août : déclaration de guerre de l?Angleterre à l'Autriche-Hongrie.
14 août : en Lorraine, début de la bataille de Morhange.
16 août : prise de Liège par les troupes allemandes.
17 août : offensive russe en Prusse orientale. Victoire allemande à la bataille de Stalluponen.
19 août : entrée à Bruxelles des troupes allemandes.
20 août : échec de la percée française en Lorraine. Sur le front russe, échec allemand à Gumbinnen. Mort du pape Pie X.
21 août-23 août : bataille de Charleroi. Bataille des Ardennes.
23 août : victoire allemande à Charleroi et à Mons.
24 août : défaite autrichienne sur le front serbe dans les monts Cer. Début de la retraite française jusqu'à la Marne.
24-26 août : victoire française à la bataille de la trouée de Charmes.
25 août : repli des Alliés sur le Grand-Couronné au nord-est de Nancy. Bataille de Rozelieures, en Lorraine.
25 août-9 septembre : Bataille du col de la Chipotte, en Lorraine.
26 août : en France, formation du gouvernement d'Union sacrée. Le général Gallieni nommé gouverneur de Paris. Constitution de la 6e armée française du général Maunoury placée au Nord-Est de Paris. Capitulation des troupes coloniales allemandes à Kamina au Togo.
28 août : début du siège de Maubeuge.
29 août : bataille de Guise, dans l'Aisne.
30 août : victoire allemande contre les Russes à Tannenberg.
31 août : les Franco-Britanniques repliés derrière la Marne. Les Allemands à Compiègne, Noyon et La Fère.
2 septembre : installation du gouvernement français à Bordeaux.
3 septembre : offensive russe en Galicie orientale, prise de Lvov en Galicie autrichienne. Franchissement de la Marne à Château-Thierry par les Allemands. Le général Franchet d'Espèrey nommé à la tête de la 5e armée française. Élection du pape Benoît XV.
4 septembre : les Allemands à Reims. Les taxis parisiens réquisitionnés par le général Gallieni pour le transport des troupes.
5 septembre : signature du Pacte de Londres : engagement des alliés à ne pas signer de paix séparée. Mort au combat de Charles Péguy, écrivain français.
6-12 septembre : première bataille de la Marne, repli des Allemands jusqu?à l?Aisne.
8 septembre : prise de Maubeuge par les troupes allemandes.
10-13 septembre : retraite générale des armées allemandes jusqu?à l?Aisne, la Vesle et la Suippe.
12 septembre : victoire russe sur les Autrichiens à Lemberg.
13 septembre : décret sur la première émission des bons de la défense nationale.
14-24 septembre : campagne de Nouvelle-Guinée : débarquement australien.
15 septembre : victoire allemande des lacs Mazuriques, en Pologne, sur les Russes.
16-17 septembre : combat de la Rougemare et des Flamants contre un commando allemand en Normandie.
22 septembre : mort au combat d'Alain-Fournier, écrivain français.
28 septembre : siège d'Anvers par les Allemands. Entrée des Russes en Hongrie.
1er-9 octobre : bataille d'Arras pendant la "course à la mer".
3 octobre : mobilisation d'un premier contingent canadien de 32 000 hommes pour combattre en Europe.
4 octobre : publication en Allemagne du Manifeste des 93, soutien des intellectuels allemands à la politique impériale.
5 octobre : premier combat aérien de l'histoire à Jonchery-sur-Vesle, près de Reims.
9 octobre : l'armée belge se retire d'Anvers.
17-31 octobre : bataille de l'Yser, défaite des Allemands après les inondations déclenchées par les Belges.
20 octobre : retraite les Allemands devant les Russes dans la boucle de la Vistule.
27 octobre-15 novembre : bataille d'Ypres.
Novembre : stabilisation du front de la mer du Nord à la Suisse.
1er novembre : entrée en guerre de la Turquie aux côtés des Empires centraux.
2 novembre : déclaration de guerre de la Serbie à la Turquie.
3 novembre : la mer du Nord déclarée "zone de guerre" par l'amirauté britannique.
5 novembre : annexion de Chypres par le Royaume-Uni.
15 novembre : Mêlée des Flandres. Victoire des armées française, britannique et belge autour d?Ypres et de Dixmude.
2 décembre : prise de Belgrade par les Autrichiens.
6 décembre : prise de Lodz par les Allemands. Arrêt de l'offensive allemande en Pologne russe devant Varsovie.
7 décembre : repli autrichien vers Belgrade.
8 décembre : retour du gouvernement français à Paris. Destruction de la flotte allemande aux îles Falkland.
15 décembre : offensive française en Champagne. Guerre des tranchées de la mer du Nord à la Suisse. Reprise de Belgrade par les troupes serbes.
25 décembre : trêve de Noël : cas de fraternisation des militaires allemands, britanniques et français dans les tranchées.
Summary
DATE : 5-12 septembre 1914
LIEU : de part et d'autre de la Marne, entre Paris et Verdun
ISSUE : Victoire alliée
FORCES EN PRESENCE : 1 082 000 hommes
64 divisions françaises
6 divisions britanniques
900 000 hommes
51 divisions allemandes
À la fin du mois d’août, les cinq armées françaises engagées dans la bataille des frontières subissent toutes des échecs sanglants. Pourtant, à peine deux semaines plus tard, ces mêmes armées l’emportent sur la Marne, puis, d’octobre à la mi-novembre, contrent, dans la « course à la mer », les dernières grandes offensives allemandes avant 1916.
L'adaptation des soldats aux nouvelles formes de combat
Le 14 août au matin, la 13e division d’infanterie (DI), engagée dans l’offensive en Lorraine de la 1re armée, connaît son baptême du feu face au village de Plaine tenu par les Allemands.
Jusqu’à 16 heures, les charges frontales à la baïonnette se succèdent et échouent face aux mitrailleuses et aux obusiers postés dans le village ou sur les hauteurs du Donon. À 16 heures, deux groupes de 75 sont placés face au point d’appui ennemi et, au mépris du règlement, préparent une attaque d’un nouveau style combinant une action frontale de fixation et un mouvement de débordement. Les Allemands sont obligés de se replier.
À plus grande échelle, le comportement de l’armée française dans son ensemble évolue de manière aussi spectaculaire que la 13e DI. Si les échecs initiaux sont les résultats sans surprise des nombreuses failles de la préparation à la guerre du corps de bataille, les victoires ultérieures sont plus étonnantes tant la supériorité tactique allemande paraît importante.
Un tel revirement bénéficie certes de facteurs circonstanciels bien connus comme l’affaiblissement allemand par la déconnexion d’un commandement trop lointain, les difficultés logistiques, le maintien de forces conséquentes autour des forteresses résistant encore ou le retrait de deux corps d’armée allemands envoyés en Prusse orientale. Inversement, malgré les désastres, les pertes terribles (80 000 Français tués du 13 au 30 août) et une retraite éprouvante, les « pantalons rouges » (ou bleus) résistent, preuve que l’accent presque obsessionnel mis avant-guerre sur « le moral » a porté en partie ses fruits. D’un autre côté, l’effort de mobilisation humaine, presque identique à celui des Allemands, s’il a envoyé au front des hommes moins instruits ou plus âgés que ceux de l’ennemi a permis aussi de maintenir un rapport de forces plus équilibré que ne le laissait anticiper le différentiel démographique. Le redressement sur la Marne doit évidemment aussi à l’action du haut commandement français qui a su magistralement employer les forces mais il ne pouvait être obtenu avec le même instrument militaire sous peine, au niveau tactique, de renouveler les mêmes échecs sanglants. C’est donc un autre facteur qui a joué et Joffre le décrit dans ses mémoires : « Si le succès répondit à mon attente sur la Marne, c’est pour une très grande part que nos armées n’étaient plus au début de septembre celles des premiers jours de la guerre ». L’armée française s’est transformée plus vite dans les deux semaines qui séparent les batailles des frontières et de la Marne que pendant les trois années précédant la guerre.
La transformation des armes
L'infanterie : face à la puissance de feu allemande
L’infanterie est la première à souffrir de la découverte de la puissance de feu moderne. C’est donc aussi la première arme à se transformer. Le 15 août, le 8e régiment d’infanterie (RI) attaque le château de Dinant. Trop serré, il est frappé par des mitrailleuses allemandes. Le chef de corps ordonne alors d’oublier les attaques en ligne à un pas d’intervalle, fait manœuvrer ses compagnies par demi-sections autonomes et l’artillerie envoie des batteries avancées pour neutraliser les mitrailleuses. Le 25 août, le général Fayolle note dans son carnet : « A la 70e division, catastrophe entre 7 et 9 heures dans l’attaque d’Hoéville : il y avait beaucoup trop de monde en ligne. Il n’y a eu aucune reconnaissance, aucune préparation par le feu. Comment cela a-t-il pu se produire ? Pas de patrouilles de combat, pas d’éclaireurs, les masses d’hommes inutiles ! Aucune préparation. C’est fou. » Dès le lendemain, l’esprit et les méthodes ont changé : « On recommence, mais cette fois très prudemment, très lentement. La leçon a été bonne […] Je marche par bonds sous la protection de toute l’artillerie et après reconnaissances faites ». Alors que la 13e DI bat en retraite en Lorraine, un de ses officiers raconte comment ses hommes ont évolué : « ils pressentaient la supériorité des moyens de l’ennemi et voulaient tout mettre en œuvre pour y remédier. D’où leur merveilleuse aptitude à coller au feu, plus longtemps même que leurs officiers ne l’eussent parfois souhaité. D’où leur étonnante maîtrise dans ces retours offensifs qui devenaient pour l’ensemble de nos armées, un des procédés de manœuvre les plus efficaces ».
"1914... Déploiement d’infanterie avant l’attaque aux abords de la route de Varedde". © SHD
Il décrit également comment ils apprennent à fortifier les villages avec l’aide du génie, à coordonner leurs actions avec les batteries de 75 et les sections de mitrailleuses renforcées de pièces récupérées dans les dépôts. La 13e DI est ensuite transportée par voie ferrée pour participer à la bataille de la Marne. Au débarquement, c’est l’artillerie divisionnaire, plus mobile, qui est envoyée immédiatement pour prendre position et tenir jusqu’à l’arrivée de l’infanterie, rôle totalement inédit pour cette arme. Entièrement déployée, la division développe par kilomètre de front une puissance de feu quatre fois supérieure à celle des premiers combats. En octobre, la division est à nouveau déplacée par voie ferrée jusqu’à Lille et, pour la première fois, plusieurs bataillons sont transportés par camions jusqu’au front. En défense, les unités d’infanterie comprennent vite que la seule parade efficace contre les mitrailleuses et l’artillerie réside dans l’enfoncement dans des trous de tirailleurs qui sont ensuite reliés entre eux pour faciliter les liaisons, puis recouverts de fils de fer barbelés. À partir du Grand Couronné de Nancy dès août 1914, le front se cristallise progressivement à l’initiative des fantassins et à l’insu du haut commandement.
L'artillerie : plus fort, plus loin
L’adaptation de l’artillerie est encore plus spectaculaire. Les artilleurs commencent par oublier le règlement d’emploi de 1910 et diversifier leurs missions. Les batteries de campagne ne se contentent plus d’appuyer les assauts, elles les préparent également. Pour améliorer la coordination avec l’infanterie, des officiers d’artillerie sont détachés en liaison auprès de l’infanterie et le colonel commandant le régiment d’artillerie divisionnaire devient le conseiller du général, laissant à son second le soin d’organiser le tir des batteries. Pour faciliter les ordres et intervenir plus vite, l’artillerie est souvent groupée en masse, parfois en groupement de 30 batteries comme le préconise le général Bro, commandant l’artillerie du 1er corps.
Ces groupements sont placés le plus en avant possible compte tenu du tir des obusiers ennemis. La méthode consistant à guider les pièces en restant à proximité est remplacée de plus en plus par le guidage à distance. Pour cela, il faut des lignes téléphoniques. Des hommes fouillent tous les bureaux de poste et même les maisons particulières. Un commandant de corps d’armée envoie à Paris un officier acheter tout le matériel téléphonique qu’il pourra trouver. On s’essaie également aux tirs sur zone ou sur des objectifs non vus. Face aux obusiers allemands, on improvise des tirs à longue portée avec enfoncement de la crosse, mode d’action pour lequel on ne s’était jamais entraîné. Le 7 août 1914, une batterie du 2e corps ravage ainsi à plus de 5 000 m un régiment de cavalerie allemande. À la fin du mois d’août, à la bataille de la Mortagne, le général Gascouin fait tirer à 9 500 mètres sur des rassemblements ennemis importants. Il emploie pour cela des obus à balles fusants munis d’ogives spéciales de fusées à longue durée destinés aux tirs contre avions. Le réglage est effectué par trois ballons captifs retirés de places fortes. À ces grandes distances, le réglage aérien devient nécessaire, quelques commandants d’artillerie de corps d’armée réussissent à se faire prêter des avions avec des observateurs formés à la hâte, parfois par précaution avant les hostilités.
"1914... Un groupe d’Artillerie attendant les ordres". © SHD
En pleine bataille de la Marne, le général Herr, commandant l’artillerie du 6e corps d’armée décrit des pièces « camouflées sous des gerbes de blé, d’autres tirant contre des avions grâce au creusement de fosses. Un de nos appareils s’essayait à un réglage contre les mortiers de 210 ». Ce spectacle était inconcevable quelques semaines plus tôt. Le 6 septembre, à Montceau-lès-Provins, grâce aux deux avions démontables qu’il a fait construire lorsqu’il commandait l’école d’aviation de Vincennes, le colonel Estienne parvient à détruire complètement un groupement d’artillerie allemand. Dès la mi-août, le haut commandement autorise le prélèvement de pièces lourdes dans les places fortes pour compenser la terrible infériorité dans ce domaine. Dans la deuxième semaine d’août, la 3e armée reçoit six batteries de 120 mm prélevées à Verdun. Dans la nuit du 27 août, la 1re armée est renforcée par trois batteries lourdes venant d’Epinal. Elles ouvrent le feu le lendemain, guidées par un ballon observatoire et trois avions. En septembre, la 2e armée défend le Grand Couronné de Nancy avec dix batteries lourdes et une quarantaine de 80 et 90 mm de Bange.
Toutes ces adaptations se généralisent très vite et permettent en particulier de profiter à plein des capacités du canon de 75.
Le 6 septembre, sur la Marne, le 15e régiment d’artillerie (RA) stoppe à lui seul un assaut allemand en tirant à bout portant.
Le 10 septembre, à la Vaux-Marie, une violente attaque de l’armée du Kronprinz est clouée sur place par une action en masse de toute l’artillerie du 6e corps français. À partir du 7 septembre, pour échapper à l’artillerie française, les Allemands tentent des attaques massives de nuit mais à l’imitation de la 1re armée, qui a appliqué cette méthode dès le 24 août, les corps généralisent les barrages d’alerte nocturnes. Dans l’offensive qui suit la victoire de la Marne, le colonel Alléhaut décrit l’assaut d’un bataillon d’infanterie du 20e RI (33e DI) le 26 septembre : « notre infanterie a effectué un bond en avant . une partie de la ligne bavaroise cède du terrain . nouvelle rafale de nos 75, un peu plus longue que la première . nouveau bond, presque simultané de nos fantassins qui, collant aux projectiles de leur artillerie, avancent avec une superbe ardeur, abordant l’infanterie bavaroise presque en même temps que nos obus. Et ainsi de suite, les bonds succédant aux rafales jusqu’à ce qu’enfin les Bavarois […] refluent en désordre ».
"Campagne 1914. Bataille de la Marne. Une batterie d'artillerie et relais au Marais de Saint-Gond". © SHD
Ce procédé, qui ressemble beaucoup à celui du barrage roulant qui ne sera codifié qu’en 1916, est né spontanément sous la pression des circonstances et grâce aux liens qui unissent un colonel d’infanterie et un capitaine, commandant de batterie, qui travaillent activement ensemble depuis des mois.
La cavalerie : une mutation nécessaire
L’adaptation de la cavalerie est beaucoup plus difficile, car le cheval est incapable d’évoluer face à la puissance de feu moderne.
En Lorraine, dans les Ardennes et en Belgique, chacun des trois corps de cavalerie subit un échec sanglant. Pendant la bataille de la Marne, on parvient péniblement à former un groupement de 1 800 cavaliers pour mener un raid sur les arrières ennemis mais à l’issue de cette bataille, la cavalerie, épuisée, est incapable d’exploiter la victoire. Pour tenter de s’adapter, les corps de cavalerie improvisent des groupes d’automitrailleuses, à base de véhicules civils transformés, ou incorporent parfois des bataillons d’infanterie sur camions, embryon des futures unités motorisées. Surtout, ils s’efforcent d’accroître leur capacité de combat à terre, quitte à piller les entrepôts de l’arrière pour y trouver les outils et les mitrailleuses qui leur manquent. Des bataillons à pied sont également créés en démontant des escadrons. Ces innovations restent néanmoins limitées.
"Campagne 1914. Bataille de la Marne. Cavalerie au Petit-Morin. Marais de Saint-Gond". © SHD
L'aviation : de l'observation à l'offensive
L’aviation démontre en revanche très rapidement son utilité en fournissant des renseignements décisifs comme la découverte du mouvement de l’armée Von Kluck prêtant le flanc devant Paris à la 6e armée française, puis on improvise le réglage d’artillerie dès qu’une partie du front se stabilise. On assiste également à de multiples expérimentations spontanées comme les vols de nuit ou les essais photos. Des agents sont transportés sur les arrières de l’ennemi. Chaque équipage prend aussi l’habitude de s’armer, pour se défendre en cas d’atterrissage forcé, et de profiter des missions de reconnaissance pour frapper les concentrations de troupes avec quelques bombes ou boites de fléchettes. Les 14 et 8 août 1914, deux avions français bombardent les hangars Zeppelin près de Metz, et très rapidement les pilotes recherchent le duel.
La force des innovations
La patrie est ainsi sauvée non seulement par le courage des hommes mais aussi par leur intelligence. On est frappé par la multiplicité des innovations. En réalité, la plupart d’entre elles sont issues de l’avant-guerre, et cela n’a été possible que parce que les régiments disposaient de ressources autonomes, ne serait-ce que des ressources en temps. L’armée française a accepté pendant plus de quarante ans de « gâcher » des ressources en laissant des « originaux » tester des méthodes différentes ou imaginer des prototypes. Quelques centaines de cadres ont pu ainsi développer leurs idées dans les garnisons ou dans les camps de manœuvre et les garder en mémoire.
Toutes ces idées plus ou moins cachées apparaissent au grand jour dès les premiers combats. D’autres sont venues en cours d’action grâce au mélange d’hommes venus d’armes différentes associés à la mobilisation dans les grandes unités et vivant ensemble en permanence. Cette vie commune et permanente, face à des problèmes urgents à résoudre, efface les cloisonnements et multiplie les échanges. Les officiers de réserve apportent aussi leurs compétences propres, comme les Centraliens tous mobilisés dans l’artillerie, ou cet exploitant agricole amenant avec lui ses tracteurs chenillés pour tracter des pièces d’artillerie. Ces innovations multiples n’auraient eu guère d’effets si elles étaient restées localisées. On constate au contraire qu’elles se diffusent très vite. Le Grand Quartier général (GQG) est lui-même parfaitement au courant de la situation, grâce aux comptes rendus systématiques qu’il reçoit après chaque combat et surtout grâce à ses officiers de liaison. Cette information se traduit par des notes de service rapides et pertinentes.
"La bataille de la Marne. Le sursaut français". © Musée de la Grande Guerre du pays de Meaux. Don Petit
Dès les 16 et 24 août, le 3e bureau du GQG édite deux notes de synthèse recensant les défauts constatés et les procédés qui ont fait leur preuve pour les pallier (organiser le terrain conquis, coordonner les armes dans l’attaque, diluer les dispositifs, etc.). Le 3 septembre, une nouvelle instruction constitue dès cette époque la charte de la guerre de positions.
On y parle de ligne avancée, de deuxième ligne avec tranchées profondes, de tours de service, de réserves dissimulées, d’épaulements pour protéger les pièces, etc. Les idées circulent aussi très librement entre unités voisines ou camarades de promotion que l’on rencontre dans la zone étroite des combats. Le 10e corps reçoit ainsi une note du 1er corps, en date du 19 août 1914, décrivant l’emploi des mitrailleuses par les Allemands lors des combats de Dinant le 15 août et le danger des formations trop lourdes ou des dispositifs trop rigides. Il serait illusoire de croire cependant que ces ordres, notes ou informations orales puissent être suivis d’effets immédiats. La note du 16 août du GQG est reçue le 19 par la 5e armée, elle ne peut éviter l’échec de Charleroi.
Le haut commandement renouvelé
Les généraux ont un rôle clef de synthèse et de relais de l’information. Beaucoup sont malheureusement défaillants.
Durant la bataille de Charleroi, le commandant du 3e corps d’armée est introuvable au moment le plus critique de la journée. Le général Joffre note laconiquement dans son journal : « au 14e Corps, au 5e Corps, même incapacité notoire ». Les sanctions sont immédiates et à la date du 31 décembre 40% des commandants de grandes unités ont été limogés. Cette politique, parfois injuste mais énergique, permet de réduire les erreurs les plus graves et de faire monter des colonels compétents comme Nivelle, Maud’huy, Pétain, Fayolle ou même Grandmaison, ou des généraux comme Franchet d’Espèrey ou Foch qui prennent en cours d’action le commandement d’armées.
Des ajustements tactiques aux nouvelles formes de combat
Toutes les armes subissent simultanément le choc de la redécouverte de la guerre après plusieurs décennies de paix. Ce premier défi est d’abord l’occasion de mesurer le décalage qui peut exister entre la vision que l’on a de la guerre future et la complexité des faits. Elle permet de constater également la capacité d’adaptation de l’armée française. En dépit de quelques améliorations techniques des matériels existants, cette adaptation est essentiellement tactique. Il apparaît surtout que le moteur de l’évolution est désormais la pression du front qui s’exerce sur les unités de première ligne. C’est là que naissent les micro-innovations et les idées qui transforment les armes, par une diffusion horizontale (on imite les bonnes idées) ou verticale (comptes rendus, propositions, demandes).
"La Ferté-sous-Jouarre Commencement de la retraite des Allemands". © SHD
Dans The Fatal Conceit (1989), l’économiste autrichien Friedrich von Hayek explique comment, dans une société complexe, l’agencement spontané de millions de décisions individuelles conduit à un équilibre plus stable que dans un système centralisé, incapable de gérer en temps réel toutes les informations.
De la même façon, dès les premiers combats, les problèmes tactiques sont si nouveaux, si urgents et évoluent si vite que seules les unités au contact direct du front sont susceptibles d’y faire face à temps. Les régiments s’attachent spontanément à gommer leurs défauts les plus meurtriers et à inventer de nouvelles méthodes plus efficaces. La petite échelle des nouveautés qui y sont testées avec des moyens de fortune permet alors d’effectuer les ajustements nécessaires de manière très rapide. Ces micro-transformations continuent à exister tant que perdure la sanction du feu, c’est-à-dire pendant toute la guerre.
Author
Michel Goya, Colonel
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