Terrorisme et contre-terrorisme pendant la guerre d’Algérie - La guerre subversive du FLN en métropole
Sous-titre
Par Gregor Mathias, docteur en histoire et spécialiste des SAS et des Harkis
Alors qu’éclate en Algérie, en 1954, une guerre qui ne dit pas son nom, une autre forme de combat apparaît en métropole initiée par le Front de libération nationale (FLN). L’action de cette « 5ème Wilaya »[1], circonscription politico-militaire du FLN en métropole, demeure, même actuellement, méconnue du grand public et des personnes, civiles ou militaires ayant participé ou subi la guerre en Algérie.
Attentat contre les forces de l'ordre (Gardien de la paix) - Rue Solférino à Paris (28 mai 1961)
©Archives de la Préfecture de police de Paris - HA 45
Cette guerre subversive menée par le FLN en métropole, de 1956 à 1962, utilise alternativement ou simultanément le racket pour financer la guérilla de l’ALN en mettant en place un contrôle strict de l’immigration algérienne de Paris, Lyon et Marseille. Elle se manifeste par des assassinats ciblés de personnalités politiques d’Algérie ou de militants du MNA (Mouvement national algérien), parti nationaliste concurrent, et planifie des attentats contre les infrastructures (août-septembre 1958) et les forces de l’ordre. Elle tente d’influencer l’opinion publique par des manifestations de masse (octobre 1961), des grèves ou des campagnes de presse contre la politique algérienne des autorités françaises et l’action des forces de l’ordre en métropole et en Algérie.
Les archives de la préfecture de police de Paris, les documents saisis par les officiers chargés de lutter contre le FLN en métropole et les témoignages des harkis de la Force de Police auxiliaire de Paris permettent de reconstituer cette histoire.
- L’immigration algérienne en métropole, principale source de financement du FLN
Pour se rendre compte du contrôle qu’exerce le FLN sur les Algériens de métropole, il suffit d’analyser les documents saisis dans le secteur clandestin parisien identifié sous le n°12122, celui qui s’étend entre la gare Montparnasse et la Porte d’Orléans. Ce secteur FLN est fortement hiérarchisé : il est composé de 4 kasmas (groupes) de 200 membres, subdivisées en 16 sections (une section comprend 70 à 84 personnes), divisées en 64 groupes (un groupe est composé de 21 personnes). Sur le plan local, le secteur est quadrillé par 256 cellules de 5 à 6 militants ou sympathisants[2].
Des réunions hebdomadaires permettent au FLN du secteur n°12122 de diffuser sa propagande, ses consignes aux militants, de tenter de résoudre les doléances des Algériens (problèmes d’hygiène dans les foyers ou les hôtels), de contrôler les nouveaux arrivants chargés de rédiger leur biographie (notamment sur leurs liens avec le FLN et les arriérés de cotisations) et de prélever l’impôt révolutionnaire (829 cotisants dans le secteur) et de solliciter « des dons volontaires ». Les ouvriers algériens de métropole deviennent rapidement la première source de financement du FLN, dont les fonds sont acheminés en Belgique, en Allemagne ou en Suisse par des « porteurs de valises » recrutés dans les milieux progressistes chrétiens, communistes, socialistes anticolonialistes de métropole[3].
Bien loin de la vision romantique véhiculée par le film Hors-la-loi de R. Bouchareb[4], le FLN met en place dans les quartiers algériens des grandes métropoles un contrôle religieux sur la vie quotidienne interdisant la consommation d’alcool, de tabac et les jeux de hasard. Les contrevenants s’exposent à des amendes. Les réfractaires à l’impôt ou les Algériens ouvertement francophiles ou messalistes (parti nationaliste concurrent de Messali Hadj) sont menacés, battus, voire exécutés en pleine rue ou assassinés dans des caves par les groupes de choc du FLN. Les corps sont ensuite lestés dans des sacs de pommes de terre et jetés dans la Seine ou les canaux parisiens. Parfois ils sont même démembrés et dispersés dans des poubelles[5].
Le FLN de métropole décide de changer sa stratégie en passant de l’action clandestine subversive à l’action terroriste pour ouvrir un second front destiné à desserrer l’étau des opérations militaires Challe en Algérie en août et septembre 1958. Le FLN se dote d’une Organisation secrète (OS) chargée de commettre des attentats contre les forces de l’ordre (le garage de la préfecture de police de Paris, des patrouilles de la police), les raffineries de Rouen et de Marseille, les infrastructures de transport (sabotage de voies ferrées, attentats à la bombe avortés dans un avion et dans un navire), la caserne de Marseille et la cartoucherie de Vincennes. Sur 149 tentatives d’attentats, une quarantaine réussissent provoquant 80 morts et 188 blessés, selon un de ses dirigeants[6].
- L’adaptation des forces de l’ordre à la menace terroriste et subversive
Les méthodes traditionnelles des forces de l’ordre (DST, RG et police) montrent rapidement leurs limites par méconnaissance linguistique et culturelle des Algériens. Quant à la Brigade des agressions et des violences (BAV) de la préfecture composée d’une centaine de policiers arabophones et berbérophones, elle est dépassée par l’ampleur de sa mission. Les autorités politiques, notamment en la personne du Premier ministre Michel Debré, en sont conscientes et décident d’implanter des officiers ayant servi dans les SAS (Sections administratives spécialisées) et les SAU (Sections administratives urbaines) en Algérie pour contrecarrer les actions subversives du FLN.
Ces officiers SAS, appelés ou d’active, représentants du sous-préfet, étaient chargés de s’occuper de deux à trois communes en Algérie en nommant des délégués municipaux ou en faisant élire des maires, construisaient des écoles et des routes, amélioraient l’habitat et développaient l’agriculture. Ils commandaient 30 supplétifs algériens (des moghaznis) qui leur permettaient de protéger les habitants, de faire du renseignement et d’arrêter les militants de l’organisation politico-administrative du FLN présents dans les villages[7].
Ces officiers vont servir dans les six SAT (Service d’assistance technique) qui quadrillent les quartiers de Paris et s’occupent de 25 000 à 35 000 Algériens. Ils sont chargés de recenser les Algériens, de leur trouver du travail ou de résoudre leurs problèmes administratifs et de logement. Ils deviennent les intermédiaires obligés entre les Algériens et toutes les administrations. A Nanterre, le capitaine Montaner prend en charge le bidonville en multipliant les points d’eau et les collectes d’ordures sans aucune aide de la municipalité communiste et arrive ainsi à contrecarrer la propagande du FLN.
Grâce à leur position au contact de l’immigration algérienne, ces officiers SAT recueillent discrètement des renseignements sur les cadres du FLN, l’armement (armes de poing, armes automatiques et explosifs) et les militants chargés des collectes financières qu’ils transmettent à la préfecture de police de Paris. Ils perfectionnent le renseignement en rémunérant les agents de renseignement au prorata des cotisations saisies et arrivent à infiltrer progressivement la hiérarchie du FLN à Paris. Face au succès des officiers SAT, le FLN tente de faire boycotter les bureaux sans succès, car les Algériens doivent passer par eux pour obtenir des papiers administratifs et des autorisations pour voir leur famille en Algérie. Les officiers SAT sont menacés de mort et sont désormais armés. En avril 1961, deux conseillers sociaux de la préfecture sont exécutés par le FLN et, en octobre 1961 l’officier SAT Georges Perache est assassiné dans son bureau du XIVe arrondissement. L’efficacité des SAT de Paris est reconnue à tel point que les préfets demandent de créer des structures similaires à Lyon et à Marseille.
- La Force de police auxiliaire, une harka au cœur de Paris
Pour lutter contre les groupes armés du FLN, le capitaine Montaner a l’idée de créer une « harka ». Lors de la guerre d’Indochine, il avait recruté 2 000 volontaires pour la nouvelle armée vietnamienne, par la suite, à la SAU du Clos Salembier d’Alger, il avait lutté avec efficacité, avec ses moghaznis, contre le FLN. La proposition remonte à Maurice Papon, préfet de Police de Paris et finit par parvenir au Premier ministre Michel Debré qui donne son accord en septembre 1959.
La Force de police auxiliaire (FPA) recrute 250 à 350 policiers parmi les moghaznis des SAU d’Algérie et les harkis des commandos de chasse. Ils sont formés et entraînés au fort de Noisy-le-Sec. Implantée dans des quartiers à forte concentration algérienne sous emprise du FLN (les XIIIe et XVIIIe arrondissements), la FPA contrôle, dès mars 1960, les immigrés algériens, recueille des renseignements par ses agents civils, arrête les cadres du FLN et les collecteurs de fonds, saisit l’argent des cotisations, ainsi que les armes et les explosifs des groupes de choc. En un mois, de la mi-mars à la mi-avril 1961, la FPA arrête 1 100 militants de l’OPA, 141 membres des groupes de choc et 11 combattants de l’OS. Plus de 131 armes sont saisies, ainsi que 46 détonateurs. Ciblée par le FLN, la FPA subit le mitraillage de ses postes et l’assassinat ciblé de ses policiers pendant leurs permissions. En plein cœur de Paris, ce sont 25 policiers auxiliaires qui sont tués et une cinquantaine blessée.
Avec le cessez-le-feu, 300 policiers auxiliaires sont intégrés dans la police municipale de Paris. Quant aux SAT, ils sont considérés comme une structure administrative indispensable pour s’occuper des problèmes administratifs et sociaux de l’immigration maghrébine et africaine en France et continueront leurs missions jusqu’en 1978. En métropole, les SAT et la FPA auront été en pointe dans cette guerre hybride que l’on retrouvera par la suite en Irlande du Nord et dans les territoires palestiniens et qui semble être devenu désormais la norme des conflits actuels, où les frontières s’effacent entre le civil et le militaire, le terrorisme et la guerre classique, le front et l’arrière et les périodes de paix et de guerre.
Gregor Mathias, docteur en histoire, est spécialiste des SAS et des Harkis, supplétifs algériens de l’armée française, pendant la guerre d’Algérie. Il est l’auteur de La France ciblée, terrorisme et contre-terrorisme pendant la guerre d’Algérie, Vendémiaire, 2016. Il est actuellement chercheur associé à la chaire de géopolitique de Rennes School of Business.
[1] Ali HAROUN, La 7e Wilaya. La guerre du FLN en France (1954-1962), Seuil, 1986.
[2] Les chiffres donnés sont souvent théoriques. Les effectifs sont très fluctuants en fonction des déménagements d'une kasma à l'autre, d'une région métropolitaine à l'autre, des allers-retours en Algérie, des arrestations et de l'activité économique des entreprises. La différence peut donc atteindre 930 militants entre deux kasmas, mais l'effectif de kasma le plus répandu tourne autour de 200 à 400.
[3] Hervé HAMON et Patrick ROTMAN, Les porteurs de valises, Albin Michel, 1979.
[4] Rachid BOUCHAREB, Hors-la-loi, Tessalit Productions, film de 140 min, 2010.
[5] Gregor MATHIAS, La France ciblée, Vendémiaire, 2016, pp. 49-51.
[6] Ali HAROUN, La 7e Wilaya en France. La guerre du FLN en France, Seuil, 1986, p. 111.
[7] Gregor MATHIAS, Les SAS pendant la guerre d’Algérie, entre idéal et réalité, L’Harmattan, 1994.