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Israël, un engagement déjà ancien

Des instructrices d'infanterie se préparent à un exercice de combat, 16 novembre 2010. © Iris Lainer/Israel Defense Forces

Les Israéliennes sont, dès la création de leur jeune État en 1948, étroitement associées à sa défense puis astreintes au service militaire. L’égalité affichée entre combattants et combattantes s’avère toutefois jusqu’à nos jours très relative, tant demeure genrée la répartition entre fonctions de soutien et de combat.

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Avec 34 % de femmes dans son effectif permanent, l’armée israélienne (communément appelée Tsahal, abréviation de Tsva Haganah Le’Israel – Forces de défense d’Israël) est l’une des plus féminisée qui soit, loin devant les pays les plus en pointe en ce domaine comme le Canada ou l’Afrique du Sud. Il est vrai que Tsahal joue un rôle majeur dans la société israélienne, tant en termes de formation que pour l’accès à certaines aides sociales, voire à certaines carrières au service de l’État ou dans les secteurs de l’industrie et de la sécurité. L’armée fait également partie du cursus honorum pour la plupart des fonctions politiques. C’est pourquoi de nombreuses femmes candidatent au Kadaz akdam tzvair, le cours préparatoire à l’armée, réservé aux jeunes de 17 ans avant leur intégration, l’équivalent d’une préparation militaire. En effet, Israël est l’un des rares États à avoir, dès sa création, rendu la conscription obligatoire pour les femmes autant que pour les hommes, une décision inspirée par une réalité démographique (une population réduite) et sociale (une société matriarcale) comme par l’engagement indéniable des femmes, tant à l’époque de la Haganah [ndlr : entre 1920 et 1948, organisation paramilitaire juive de Palestine] que lors de la guerre d’indépendance. Cette forte représentation féminine participe de l’image de Tsahal, notamment au sein du bataillon Karkal, composé à 70 % de femmes. Cependant, elle prête à débat quant au rôle exact assigné aux femmes. En effet, si la figure de la femme soldat israélienne est largement déclinée par la propagande, elle reste souvent cantonnée à des tâches administratives, en dépit d’une revendication désormais ancienne de participer, aux côtés des hommes, aux actions de combat.

Un engagement militaire féminin précoce

Formée le 28 mai 1948 par David Ben Gourion, fondateur et premier chef de gouvernement de l’État d’Israël, l’armée israélienne est, d’emblée, une armée en guerre, confrontée à la guerre d’indépendance qui a débuté treize jours plus tôt par l’offensive de la ligue des États arabes. Lors de cette guerre, les femmes sont largement associées à la défense du jeune État, mais au lendemain d’un conflit coûteux en vies humaines (5 700 morts et 12 000 blessés soient 2,5 % de la population israélienne), on constate que sur les 470 femmes tuées (soit 8 % des pertes totales), la majorité est constituée de non combattantes. Néanmoins, la légende des femmes montant à l’assaut aux côtés des soldats s’installe. Au lendemain de ces premiers combats, la loi sur la défense nationale du 8 septembre 1949 instaure une conscription qui impose aux femmes israéliennes un service militaire à l’instar de leurs camarades masculins.

 

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Des instructrices d'infanterie se préparent à un exercice de combat, 16 novembre 2010. © Iris Lainer/Israel Defense Forces

 

Une division genrée des tâches

Toutefois, les régimes diffèrent : les exemptions sont multiples (actuellement, plus du tiers des femmes susceptibles d’être enrôlées en bénéficient), la période de conscription est de 21 mois pour les femmes (dont 15 % ne vont pas jusqu’au bout) quand elle est de 30 mois pour les hommes, et la période de réserve est diminuée à 34 ans, soient 11 années de moins que les hommes. Surtout, il s’agit d’un service militaire aménagé : le parlement israélien, s’il a accepté le principe d’une conscription universelle, s’oppose à ce que des femmes puissent être engagées dans des combats. De fait, le débat dans la société israélienne est intense : la présence même de femmes dans l’armée a rencontré une forte opposition des milieux orthodoxes. Il s’agit donc de protéger et d’encadrer les éléments féminins, ce qui suppose des institutions dédiées. L’intégration des femmes dans l’armée israélienne se fait par le biais d’un corps d’auxiliaires féminines créé le 8 septembre 1949, sur le modèle du Women’s Army Auxiliary Corps (WAAC) anglais de la Première Guerre mondiale : le Hen (Hel Nashim – corps féminin). C’est, note l’historien Pierre Razoux, une "chaîne administrative parallèle" qui se met en place. À l’origine, le Hen recrute 10 362 femmes, dont les fonctions se répartissent entre le secrétariat, l’intendance, les communications, l’infirmerie et la manutention. Seul un petit groupe de femmes pilotes, formées avant ou pendant la guerre, a accès au corps des pilotes, et elles ne sont pas remplacées à leur départ. Dans cette armée nouvelle et officiellement paritaire, le combat demeure une affaire masculine.

Le cas Alice Miller

Les conséquences de cette division sexuée du travail sont manifestes. N’ayant pas accès à des postes exposés, les femmes n’ont pas les carrières de leurs homologues masculins et accèdent rarement aux grades supérieurs, en dépit de revendications qui s’appuient sur la loi pour l’égalité des femmes de 1951. Cette situation évolue cependant avec l’affaire Alice Miller, une pilote brevetée d’Afrique du Sud, tout juste émigrée en Israël, recrutée par l’armée, et qui demande son incorporation au sein de l’aviation, dans le cours des officiers. Le procès, qui s’ouvre en 1995 devant la cour suprême d’Israël, se conclut par un arrêt en faveur de la plaignante, autorisée à candidater à l’examen d’entrée du cours des officiers (Alice Miller échoue finalement). Dans la foulée, le parlement israélien adopte la même année un amendement qui garantit l’égalité dans l’Armée, et qui entraîne, en 2000, la dissolution du Hen. Cela pousse de nombreuses Israéliennes à solliciter leur entrée dans des troupes opérationnelles, un combat notamment porté par la propre fille de Moshe Dayan, la députée travailliste Yaël Dayan.

Le mythe de l'égalité

C’est lors de la deuxième guerre du Liban, en 2006, que les femmes sont à nouveau engagées dans les unités combattantes, conquérant progressivement une place qui reste mesurée. Il faut attendre 2012 pour qu’une femme parvienne au grade de générale, en charge des ressources humaines. Et la présence de femmes dans les unités combattantes ne dépasse pas 5 %, essentiellement affectées aux opérations de police. Si la participation des femmes dans Tsahal est une réalité très médiatisée, elle demeure contrainte par une représentation encore conservatrice de la femme soldat, en dépit des combats des Israéliennes pour une parité réelle.

 

Gilles Ferragu - Service historique de la Défense