1917 - l'Année incertaine
Désormais, les soldats des deux camps se battent pour quelques villages ou une ligne de crête. La lassitude des gouvernements, le désarroi des troupes, l'épuisement de la machine de guerre et l'impatience des populations caractérisent l'entrée dans cette "année trouble".
Clemenceau sur le front en 1917. Source : MINDEF/SGA/DMPA
La prolongation de la guerre et l'absence de résultat militaire décisif engendrent dans les deux camps des crises morale, sociale et politique. La défection russe permet aux Allemands de se concentrer sur le front occidental. Mais l'entrée en guerre des Etats-Unis fait bénéficier les Alliés de la puissance industrielle américaine et de troupes fraîches, même si celles-ci ne sont pas immédiatement opérationnelles. Au front, la lassitude gagne les soldats. Une crise morale, qui s'accompagne de grèves et de manifestations, touche la population. La hausse des prix, les pénuries, les difficiles conditions de travail, les bombardements aériens, les deuils minent le "front intérieur", en Autriche et en Allemagne comme dans les pays de l'Entente, et créent un climat favorable aux premières tentatives de paix menées par le pape Benoît XV et le nouveau souverain autrichien, Charles 1er.
En Allemagne, l'état-major veut renoncer aux coûteux combats sur le front ouest et acculer la Grande-Bretagne à la reddition par la rupture des liaisons maritimes avec l'Amérique, même au prix d'un conflit avec les Etats-Unis. Disposant d'une redoutable flotte de sous-marins, Guillaume II ordonne la guerre sous-marine à outrance le 1er février 1917. Les marines alliées en subissent les conséquences, mais l'instauration des convois, l'amélioration des moyens de lutte anti-sous-marine et l'entrée en guerre des Etats-Unis, le 6 avril, permettent d'infléchir la courbe des pertes.
2ème D.A., les dunes près de la Panne, février 1917. Source : MINDEF/SGA/DMPA
La guerre commerciale est perdue pour l'Allemagne, qui ne peut pas construire plus de sous-marins que les Alliés n'en coulent. Après la reprise de Douaumont, en décembre 1916, le général Nivelle, successeur à la tête de l'armée française du général Joffre écarté, reprend un plan offensif. Entre Soissons et Reims, sur les monts que couronne le Chemin des Dames, il prévoit de reconduire sa tactique du "barrage roulant" d'artillerie, minuté pour précéder l'avance des fantassins.
Convaincu de percer le front, Nivelle fait face au scepticisme de certains responsables tant politiques que militaires comme, par exemple, le général Pétain. Il impose et maintient son projet malgré les replis allemands sur une double ligne fortifiée "Hindenburg". 54 divisions, soutenues par plus de 5300 canons, 1930 pièces lourdes et 128 chars, engagés pour la première fois, doivent attaquer cette ligne fortifiée. La préparation d'artillerie débute le 2 avril 1917. Le 9 avril, les Britanniques s'emparent d'Arras et les Canadiens prennent la crête de Vimy.
Le 16 avril, les Français attaquent à leur tour. Mais les Allemands ont eu connaissance de leur plan. Malgré les bombardements, l'offensive est un échec total : les Français se trouvent face à des nids de mitrailleuses intacts, les chars ne peuvent progresser. Pour cette première journée, les pertes sont très lourdes: près de 20000 morts. Nivelle insiste et relance ses attaques, mais son autorité s'effondre. Des parlementaires et Paul Painlevé, ministre de la guerre, réclament l'arrêt des opérations. Les armées françaises enlèvent le moulin de Laffaux, le plateau de Craonne, s'engagent sur les monts de Champagne et peuvent s'arrêter sur des positions moins exposées. Mais, du 16 avril au début de mai, elles ont perdu 147000 hommes, dont 40000 morts.
La vie des poilus, troubles et réformes
Le désarroi s'empare à nouveau des troupes. Des refus d'obéissance et des manifestations éclatent dès le 17 avril. Les actes d'indiscipline se propagent et vont concerner les deux tiers des divisions françaises jusqu'au mois de juin. Les "grèves de soldats" marquent le refus de massacres inutiles et répétés. Elles sont aussi l'expression de besoins: améliorer les cantonnements, la nourriture, l'organisation des permissions. Pourtant, les idées pacifistes ou révolutionnaires n'ont pas de réelle prise sur les "grévistes". Le 15 mai, Nivelle est remplacé par Pétain. Celui-ci met fin aux offensives inutiles mais fait prendre en conseil de guerre des mesures fermes à l'encontre des principaux meneurs. Les tribunaux militaires prononcent environ 500 condamnations à mort. Une cinquantaine est suivie d'une exécution. Dans le même temps, il améliore le sort des Poilus. Il crée des coopératives militaires, réforme la réglementation et l'organisation des permissions, entreprend de lutter contre l'alcoolisme. Les actes de désobéissance cessent progressivement. Pétain organise alors deux offensives limitées qui sont des succès militaires redonnant confiance aux soldats, à l'arrière et aux Alliés. Le 23 octobre, les Français passent à l'attaque du fort de la Malmaison, prélude à la reprise du Chemin des Dames.
La boue, la pluie, les bombardements, les gaz
Après leur offensive sur l'Artois, les Britanniques, renforcés par deux divisions portugaises - le Portugal est entré en guerre en mars 1916 -, lancent deux nouvelles attaques sur le saillant d'Ypres, en juin et juillet 1917, pour soulager les Français. Les combats durent jusqu'en novembre. Mais la boue, la pluie et les bombardements incessants, avec l'utilisation pour la première fois du gaz moutarde par les Allemands, enlisent les Anglais, qui n'avancent que de 8 km, au prix de 300000 hommes hors de combat. Malgré ces pertes, le général Haig relance une offensive en novembre à Cambrai. Les réserves insuffisantes en hommes et en chars ne permettent pas d'exploiter la percée de 10km. Haig perd le peu de confiance que le Premier ministre britannique, Lloyd George, lui conservait. Sur le front Est, les sacrifices russes - près d'un million de victimes - lors de l'offensive du général Broussilov, de juin à septembre 1916, ont suscité l'agitation et bientôt les troupes refusent la guerre. Le 12 mars 1917, la garnison de Petrograd se révolte. C'est le début de la révolution russe. Kerenski, nouveau président du conseil, et Broussilov organisent de nouvelles offensives arrêtées par les Allemands. Le chaos s'installe en Russie et le 7 novembre 1917, Lénine et les Bolcheviks prennent le pouvoir. L'armistice est signé avec les Austro-Allemands en décembre 1917. La Russie est la première des grandes puissances belligérantes à céder et à offrir une paix séparée.
Athènes en juillet 1917. Source : MINDEF/SGA/DMPA
Sur le front d'Orient, si le gouvernement grec, dirigé par Vénizélos, déclare la guerre aux Puissances centrales le 29 juin, l'effondrement russe permet aux Austro-Allemands de se retourner contre la Roumanie, qui doit signer un armistice en décembre. En revanche, l'armistice russe soulage la Turquie, qui doit cependant céder aux Anglais Bagdad en mars et Jérusalem en décembre.
Au printemps 1917, puis en août, l'Italie participe à l'effort allié avec des offensives sur l'Isonzo. Mais elle connaît des manifestations et des grèves populaires, et subit de plein fouet le contrecoup de la situation russe. Avec les Autrichiens, qui ont ramené leurs meilleures troupes du front russe, et la 14e armée allemande, Ludendorff veut en finir avec le front italien. Le 24 octobre, la 2e armée italienne est détruite à Caporetto. Le désastre est total. La retraite s'arrête sur la Piave, grâce à l'aide de 11 divisions françaises et britanniques. La défection russe est compensée par l'arrivée progressive des premières troupes américaines.
Soldats américains. Source : SHD
La décision américaine ne s'appuie pas seulement sur des affinités politico-culturelles avec l'Entente ou sur le rejet de l'impérialisme allemand, elle est aussi dictée par des considérations économiques et politiques. Une défaite des Alliés serait préjudiciable à la récupération des énormes prêts consentis par les Américains. Une neutralité prolongée empêcherait les États-Unis de renforcer leur rôle politique à l'échelle mondiale. A cela s'ajoutent les pressions interventionnistes de l'opinion publique américaine, indignée par les attaques des sous-marins allemands contre les navires marchands des pays neutres et par les propositions allemandes d'alliance avec le Mexique. Mais l'aide militaire américaine n'est pas tout de suite décisive.
Dans un premier temps, la contribution des États-Unis consiste dans l'envoi massif de fournitures et de ravitaillement en Europe. Pourtant, au fil des mois, la présence militaire se fait plus significative et à la fin de 1917, près de 150 000 Américains sont en France. Cependant, la balance des forces penche toujours en faveur de l'Allemagne. Les sous-marins allemands continuent de perturber les lignes de ravitaillement alliées. La Russie est sortie du conflit et les Allemands, transférant leurs troupes de l'est à l'ouest, retrouvent une supériorité en effectif. Sur le front ouest, il y a quatre Allemands pour trois Alliés. Voulant profiter de cet avantage, le général Ludendorff prépare une offensive, qu'il espère décisive, avant l'arrivée en nombre des Américains, tandis que le général Pétain, qui a jugulé la grave crise de l'armée, déclare "attendre les Américains et les chars". Au terme de cette année incertaine, et après une crise gouvernementale, Georges Clemenceau est nommé président du Conseil, le 14 novembre, et annonce sa ferme volonté de mener le pays à la victoire.
Les Canadiens à Vimy
Le lundi de Pâques, 9 avril, 4 divisions canadiennes sous le commandement du Lieutenant Général Sir Arthur Currie prennent d'assaut la crête de Vimy dans le Pas-de-Calais et la conquièrent, dans les rafales de vent charriant neige et grésil. Quatre jours plus tard, l'ennemi a été repoussé de 10 kilomètres, au prix de la vie de 3 598 Canadiens. En hommage à leurs compatriotes qui ont combattu lors de la Première Guerre mondiale et en particulier à ceux qui ont donné leur vie, les Canadiens ont érigé, sur la crête de Vimy, un monument commémoratif conçu par l'architecte Walter Allward et inauguré en 1936. Sur son socle sont inscrits les noms des 11 285 Canadiens tués en France et qui n'ont pas de sépulture connue. C'est dans l'un des cimetières canadiens des environs que la dépouille d'un soldat non identifié a été choisie pour représenter tous les Canadiens qui ont combattu depuis la création de la Confédération en 1867. Le 25 mai 2000, les honneurs ont été rendus à ce soldat inconnu au pied du monument avant que son cercueil ne soit transféré à Ottawa pour être inhumé au monument commémoratif de guerre du Canada au pied duquel le sarcophage en granit du Québec conservera éternellement les restes de l'inconnu de Vimy.
Monument commémoratif du Canada à Vimy. Source : MINDEF/SGA/DMPA - J. Robert
Georges Guynemer
Timbre à l'effigie de Georges Guynemer. Source : Oeuvre de Achille Ouvré - D'après un tableau de Lawrence - Musée de l'Armée - Paris
En 1914, Georges Guynemer veut s'engager. De santé fragile, il est refusé dans l'infanterie puis dans la cavalerie, avant d'être incorporé dans l'aviation. Après ses classes, en juin 1915, il rejoint, à Valenciennes. l'escadrille des Cigognes. Le 19 juillet 1915, il remporte sa première victoire. Il est promu sergent et reçoit la Légion d'Honneur, récompense de l'énergie dont il fait preuve. Le 12 mars 1916, il est blessé sur le front de Verdun. Reprenant le combat en mai 1916. il participe à la bataille de la Somme et remporte 21 victoires officielles en 6 mois. Le 5 juillet 1917, le capitaine Guynemer est fait officier de la Légion d'Honneur. Les journaux le rendent célèbre dans la France entière.
En juillet 1917, l'escadrille est mutée en Flandres. Devenu commandant, il obtient 54 victoires. Le 11 septembre 1917, il décolle de Saint-Pol-sur-Mer vers Poelcapelle, en Belgique. Selon les Allemands, il est abattu par un de leurs avions. Une patrouille allemande découvre son corps et rapporte ses papiers d'identité. Mais dans la nuit du 11 au 12 septembre, un intense duel d'artillerie bouleverse le terrain. Le corps du pilote disparaît. Héros légendaire de l'aviation française, sa devise "faire face" a été adoptée par l'Ecole de l'Air.
Les chars partent à l'assaut
La guerre des tranchées, qui a succédé à la guerre de mouvement dès l'automne 1914, rend difficile la percée sur le front occidental. Un officier français, le colonel Estienne, est persuadé que la victoire reviendra à ceux qui monteront des canons sur des véhicules blindés. Polytechnicien à 19 ans, mathématicien, passionné par les techniques nouvelles, il imagine un cuirassé terrestre armé d'un canon. Au début de 1917, l'armée française dispose de 208 chars ("tanks"), Schneider de 13,5 tonnes et Saint-Chamond de 23 tonnes.
Char Schneider du musée des blindés de Saumur en présentation le 11 novembre 1997 sous l'Arc de Triomphe. Source : MINDEF/SGA/DMPA - J. Robert
C'est lors de l'offensive Nivelle, en direction du Chemin des Dames, que sont lancés les premiers chars appelés "artillerie d'assaut". Mais les chars Schneider engagés sont lourds, peu maniables et vulnérables avec leurs réservoirs d'essence placés à l'avant: 60% d'entre eux sont détruits. Malgré son échec, cette "première" fut cependant "la date et le lieu de naissance de la future armée blindée française", selon le général Jean Delmas, ancien chef du service historique de l'armée de terre. Dans les opérations qui suivent, les blindés s'illustrent notamment lors de l'offensive de la Malmaison le 23 octobre 1917. Leur utilité, surtout les chars légers FT 17 Renault (8,5 tonnes) est démontrée lors des combats de 1918.
"Naguère, la mort était l'étrangère cruelle, la visiteuse à pas de laine. Aujourd'hui, c'est le chien fou de la maison"
Georges Duhamel, La vie des martyrs - 1917.
Revue "Les Chemins de la Mémoire n° 115" - mars 2002 pour MINDEF/SGA/DMPA
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