1943 : les conséquences du STO dans la création des maquis

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Par Fabrice Grenard Historien et chef du département « recherche et pédagogie » à la Fondation de la Résistance

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L’année 1943 dont nous commémorons le 80ème anniversaire fut cruciale pour la Résistance. Le débarquement allié en Afrique du nord en novembre 1942 laisse entrevoir la possibilité d’une libération prochaine et augmente la légitimité de la Résistance alors que la majorité des Français a définitivement rompu avec Vichy. Surtout 1943 marque la naissance des premiers maquis. Ce phénomène, qui se développe au départ de façon spontanée dans le contexte des réquisitions pour le travail en Allemagne, contribue à changer considérablement la Résistance.

Corps 1

Une vision téléologique de l’histoire de la Résistance a parfois pu donner le sentiment que l’évolution vers des groupes armés dans les forêts et montagnes s’inscrivait dans un processus logique. En réalité, la création des premiers maquis n’entrait pas dans les plans des instances clandestines. Le traumatisme de la défaite de 1940 et le choix de l’armistice expliquent que la France n’ait pas vu se développer immédiatement des actions de guérilla menées par des francs-tireurs comme cela a pu être le cas dans d’autres pays d’Europe (Yougoslavie, Grèce). S’il prône la lutte armée contre l’occupant depuis l’été 1941 alors que l’attaque de l’URSS par le Reich a mis fin à la période du pacte germano-soviétique, le Parti communiste et sa branche armée des Francs-tireurs et partisans (FTP), souhaitent initialement limiter leurs actions dans les villes considérées comme plus stratégiques pour une insurrection. Les mouvements non communistes (Combat, Franc-tireur, Libération) disposent de formations paramilitaires spécifiques qui sont unifiés en novembre 1942 au sein d’une Armée Secrète (AS). Mais celle-ci n’a pas pour consigne d’entrer en action avant le débarquement.
 

  • La loi du 4 septembre 1942 entraîne la naissance des premiers camps

Les réquisitions pour le travail en Allemagne changent la donne. Les toutes premières interviennent dès l’automne 1942. Alors que le sort de la guerre s’inverse, Berlin décide de prélever dans les territoires occupés la main-d’œuvre destinée à remplacer les travailleurs allemands mobilisés dans l’armée. Pierre Laval annonce en juin 1942 la politique dite de la « relève » qui consiste à obtenir la libération d’un prisonnier de guerre contre le départ volontaire de trois ouvriers. Mais les engagements restent trop peu nombreux et Vichy décide de recourir à la contrainte. Une loi du 4 septembre 1942 permet de réquisitionner pour le travail en Allemagne sur critères professionnels. Alors que pèse un risque de réquisition, des petits groupes d’ouvriers travaillant dans les vallées industrielles de la zone sud décident de gagner à la toute fin 1942 les massifs les plus proches afin de se cacher dans des fermes isolées, des chalets d’alpages, des bergeries abandonnées.

© Service historique de la Défense, Vincennes
Affiches de propagande pour la "Relève", mise en place par le régime de Vichy
© Service historique de la Défense, Vincennes


Les tous premiers camps apparaissent dans ce contexte. En décembre 1942, des ouvriers originaires de Grenoble s’installent à la ferme d’Ambel qui deviendra le camp n°1 du maquis du Vercors. En Haute-Savoie, des chalets situés sur les massifs dominant la vallée de l’Arve servent de refuge aux travailleurs des usines de décolletage. Dans le Bugey, des ouvriers se rassemblent autour du mont de l’Avocat, notamment à Montgriffon, dans une ferme nichée au fond d’une gorge. Les Cévennes servent de refuge pour les ouvriers des petits centres industriels situés dans la partie méridionale du Massif Central (Alès). Le plateau de Millevaches (Corrèze) constitue un repli pour les travailleurs de Brive, Limoges, Tulle.
 

  • Le tournant du STO

Alors que les exigences allemandes ne cessent de s’accentuer, le gouvernement de Vichy adopte un nouveau dispositif de réquisitions avec la loi du 16 février 1943 qui institue le « service du travail obligatoire » (STO). Tous les jeunes français nés en 1920, 1921 et 1922 déclarés aptes après une visite médicale doivent partir travailler en Allemagne pour deux ans. D’importantes mises en garde sont immédiatement adressées à ceux qui n’obéiraient pas. Les sanctions auxquelles ils s’exposent  sont des amendes allant de 200 à 100 000 francs et des peines d’emprisonnement allant de 3 mois à 5 ans, susceptibles, en cas de récidive, d’être portées au double[1].

Alors que la France est le seul pays occupé d’Europe où les réquisitions ne sont pas la conséquence d’ordonnances allemandes mais d’une loi adoptée par l’État français, l’instauration du STO constitue aux yeux de l'opinion le moment où Vichy s'enfonce dans la collaboration la plus extrême. Chaque famille ou presque comprend un jeune adulte susceptible d'être requis pour le travail en Allemagne. Avec cette loi, le mythe selon lequel Vichy pouvait constituer un écran protecteur face aux Allemands s’effondre totalement. « La population ne considère plus le gouvernement comme une autorité effective et estimant ne plus jouir d’aucune protection, elle se montre disposée à se protéger elle-même, à se grouper et à préparer une résistance active » constate fin mars 1943 la synthèse mensuelle des Renseignements généraux[2].

© Service historique de la Défense, Vincennes
Manifestations de résistance contre le S.T.O, Couhé-Verac, Vienne. Tous les manifestants seront déportés.
© Service historique de la Défense, Vincennes
 
  • « Pas un homme pour l’Allemagne »

 La Résistance accentue les appels à désobéir et à refuser tout départ vers l’Allemagne, qu’elle avait commencés à développer en 1942 contre la Relève.

Depuis Londres sur la BBC, une campagne intense est menée contre le départ des travailleurs français en Allemagne. Maurice Schumann lance un appel aux futurs requis : « Le recensement est un traquenard. N’y allez pas ! Résistez ! Les temps sont révolus où la délivrance apparaissait comme lointaine. Nous vous aiderons, soyez unis entre vous, avec nous [3]». Le slogan « ne va pas en Allemagne » chuchoté par Jean Oberlé sur l’air des lampions devient un rituel des émissions de la France libre, en étant répété au moins 1500 fois au cours de l’année 1943.

En métropole, une « déclaration commune de tous les groupements français de résistance » est adoptée fin février 1943 afin d’appeler l’ensemble de la société française à se mobiliser pour faire obstacle au STO. Des initiatives sont également adoptées pour saboter les réquisitions. L’une des opérations les plus spectaculaires est la destruction dans l’Ain du fichier départemental du STO par un commando des FUJ (Forces unies de la jeunesse), le 21 mai 1943.

Les appels de la Résistance sont entendus. La loi sur le STO accroît considérablement le phénomène des réfractaires qui avait commencé à se développer dans le cadre de la Relève. Au niveau national, le phénomène n’est toutefois pas immédiat : les contingents de la première tranche, avec plus de 250 000 départs en Allemagne entre février et avril 1943, remplissent globalement les objectifs allemands. Ce n’est qu’à partir du mois d’avril que s’opère un effondrement[4]. Mais sur un plan plus local, dans certains départements de la zone Sud, où les réquisitions développées dans le cadre de la loi du 4 septembre 1942 s’étaient déjà heurtées à d’importantes résistances et où les possibilités de se cacher apparaissaient plus faciles, les refus du STO se font sentir dès les premières semaines qui suivent l’instauration de la loi. Deux départements tiennent plus particulièrement « la vedette [5]» des refus, la Haute-Savoie et la Corrèze. En Haute-Savoie, à la date du 25 mars 1943 sur les 1038 hommes qui avaient satisfait aux examens médicaux, 120 seulement s’étaient présentés volontairement aux points de rassemblement fixés pour le départ[6]. Le préfet régional de Limoges signale en mars 1943 « une résistance passive sérieuse qui s’est organisée en Corrèze, en particulier dans l’arrondissement de Tulle, où les défections ont atteint jusqu’à 50 % [7]».
 

  • Des camps refuges aux maquis combattants

Si quelques camps pionniers s’étaient déjà développés depuis la fin de l’année 1942, c’est bien le STO qui favorise véritablement la naissance du phénomène « maquis ». Un processus d’essaimage de camps se développe au cours du printemps 1943 à partir des premiers regroupements opérés depuis la fin 1942 dans les Alpes, le Jura ou le Massif Central. Le mouvement ne concerne plus uniquement les zones montagneuses et s’étend aux territoires forestiers du Sud-Ouest (Dordogne, Corrèze, Haute-Vienne) et du Centre (Creuse, Indre, Cher). A l’exception des Vosges et du Morvan, les maquis ne se développent pas en 1943 en zone nord en revanche. Le contexte y est moins favorable. Plus urbaine, moins montagneuse, la zone nord ne possède pas les conditions géographiques propices et la présence militaire allemande y est beaucoup plus dense.

© Service historique de la Défense, Vincennes
Maquis de Vachères en Quint, dans la Drôme, près de Die. Réfractaires au S.T.O.
© Service historique de la Défense, Vincennes


Cette première génération de camp n’a dans un premier temps qu’une fonction de refuge pour les réfractaires qui refusent de partir en Allemagne. Leur sort provoque au printemps 1943 une crise au sein des instances dirigeantes de la Résistance. Certains sont favorables à la mise en place d’un encadrement destiné à transformer les réfractaires en combattant. C’est le cas notamment d’Henry Frenay mais aussi des communistes qui cherchent rapidement à affilier les premiers camps à l’organisation des FTP dans les « campagnes rouges » où le parti est bien implanté. D’autres au contraire considèrent que les jeunes réfractaires n’ont pas assez d’expérience militaire et que les moyens sont insuffisants pour les former au maniement des armes. Cette position est notamment défendue par Jean Moulin en mars 1943 alors que les mouvements sollicitent une aide accrue de Londres pour encadrer les camps.

L’afflux croissant de réfractaires dans les camps montre cependant que le phénomène est irréversible. Ceux qui étaient d’abord réticents finissent par se rallier à l’idée que leur encadrement est indispensable. Laisser les réfractaires livrés à eux-mêmes présente le risque de provoquer des dérives et des actions indisciplinées. Pour les résistants non communistes, il faut également éviter de laisser le champ libre aux FTP qui multiplient les initiatives pour que les groupes de réfractaires les rejoignent. La France libre accepte à partir d’avril d’augmenter les budgets alloués aux mouvements en faveur des maquis. Les Mouvements unis de résistance (MUR) mettent en place les institutions nécessaires pour transformer les « camps refuges » en maquis combattants. Une école de cadres est confiée à Robert Soulage, un ancien officier qui a quitté l’armée en avril 1942. Un Service national maquis (SNM) est institué fin avril 1943 sous la direction de l’avocat Michel Brault. Les instructions du SNM insistent sur la discipline qui doit régner au sein des camps, précisent les actions à mener et les comportements à adopter. Elles jouent un rôle crucial pour définir le statut du « maquisard ».

À l’automne 1943, les maquisards sont entre 30 000 et 40 000 environ. Ils ne représentent cependant que 15 à 20 % des réfractaires au STO. Beaucoup préfèrent trouver une couverture avec un emploi dans une exploitation agricole. D’autres continuent à se cacher dans des camps, mais ne sont pas forcément prêts à la discipline militaire et aux risques encourus. Des camps refuges n’ayant aucune fonction militaire existent jusqu’à la Libération.

Pour les maquis désormais intégrés aux structures mises en place par les MUR ou les FTP, les choses ont considérablement changé en quelques mois. Le 1er septembre 1943 les responsables régionaux du SNM tiennent leur première réunion à Lyon. S’ils soulignent la persistance de nombreuses difficultés, liées notamment au manque d’armes et de finances, tous témoignent des avancées réalisées depuis le printemps 1943. Dans son rapport de synthèse, Brault souligne que « tous les chefs signalent une amélioration énorme de la discipline et de l’encadrement ». Ces efforts ont permis d’intégrer les maquis à la Résistance alors que les premiers camps s’étaient constitués en dehors d’elle. A l’occasion du 11 novembre 1943, dans de nombreux bourgs et villages, les maquisards organisent des défilés destinés à montrer aux populations locales qu’ils appartiennent à des unités militaires disciplinées et ne sont pas de simples « bandits » comme tente de le faire croire la propagande vichyste. Le plus important et le plus retentissant de ces défilés se déroule à Oyonnax dans l’Ain où 150 maquisards défilent en rang derrière leur chef Romans-Petit et se rendent au monument aux morts de la ville pour y déposer une gerbe comportant la mention « Les vainqueurs de demain à ceux de 14-18 ».

 
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Fabrice Grenard
Historien et chef du département « recherche et pédagogie » à la Fondation de la Résistance. Il est notamment l’auteur de l'ouvrage "Ils ont pris le maquis", aux Editions Tallandier.

 




[1] Le Petit Dauphinois, 17 février 1943, « Les lois nouvelles : le service obligatoire du travail »

[2] ADHS, 8 W 12, bulletin mensuel d’information, 25 mars 1943 (n° 1543)

[3] Maurice Schumann, émission du 3 mars 1943, Les voix de la Liberté, La Documentation française, 1975

[4] Raphaël Spina, Histoire du STO, Perrin, 2016

[5] L’expression est utilisée par le préfet régional de Limoges dans son rapport de juin 1943

[6] ADHS, 8 W 12, Rapport des Renseignements généraux (n° 1580), 29 mars 1943

[7] Rapport du préfet régional de Limoges, mars 1943