Cimetière des "mutilés du cerveau" de Cadillac

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Cimetière des Oubliés à Cadillac (Gironde, France). Source : Licence Creative Commons. Photo : Henry Salomé.

L'enceinte de l'hôpital psychiatrique de Cadillac a accueilli 98 "mutilés du cerveau". Son ancien cimetière en garde le souvenir.

L'enceinte de l'hôpital psychiatrique de Cadillac-sur-Garonne, bastide fondée au XIIIème siècle avec l'appui du roi d'Angleterre, a accueilli 98 mutilés de la face et du cerveau de la Première Guerre mondiale.

Son ancien cimetière en garde le souvenir ... Parmi les belligérants de la Première Guerre mondiale, ce sont la France et l'Allemagne qui ont mobilisé le plus d'hommes en âge de porter les armes : 80 % des quinze à quarante-neuf ans.

La paix signée, à côté des familles des 1 375 800 morts et disparus, la patrie doit s'occuper de 4 266 000 blessés, au nombre desquels figurent dix à quinze mille mutilés de la face, les "Gueules cassées" selon l'expression du colonel Yves Picot. Mais Il s'agit là seulement des blessés physiques. Comme le déplore le Médecin Général Louis CROCQ, : "En France, aucune comptabilité des blessés psychiques n'a  été établie, tant pour les manifestations psychiques aiguës observées lors des combats, que pour les séquelles durables, ce qui reflète le manque d'intérêt des pouvoirs publics à leur égard" . Ces hommes "dont le physique intact cache un psychisme bouleversé" ne sont que rarement reconnus et éligibles à pensions et réparation. Ils  doivent réapprendre la vie civile, si tant est qu'ils le peuvent, ou survivre à l'asile, démunis de tout secours, affronter leur solitude et le regard d'une nation embarrassée de ces héros non "Morts pour la France".

Entrée du cimetière de l'hôpital. En arrière-plan, le pavillon de l'unité pour malades difficiles. Source : M. Bajolle


En raison du très grand nombre de décès survenus à l'Asile le Cadillac pendant ces années de guerre, la ville décide en 1918 d'acquérir un terrain pour agrandir le cimetière communal. Il est situé au lieu-dit « Quartier Saint Martin », au nord-est de la bastide. Il n'accueille aucun défunt n'appartenant pas à l'hôpital. Parmi eux se trouvent de nombreux blessés psychiques.
 

Cimetière des Oubliés à Cadillac (Gironde, France). Source : Licence Creative Commons.  Photo : Henry Salomé.


C'est le Ministère des Pensions qui, en 1937, prescrit le regroupement dans un carré spécial des tombes des militaires enterrés dans les cimetières des asiles, suivant un plan soumis à l'approbation du ministère. Ce carré comprend 100 emplacements, mais 98 sépultures.

Seuls 29 de ces soldats ont pu être identifiés et leur biographie reconstituée grâce au minutieux travail de recherche mené par Chemins de Mémoire. Pour les 70 autres, les plaques nominatives, fort anciennes, ont disparu sous les effets conjugués du temps et des événements climatiques, leurs tombes  sont aujourd'hui devenues anonymes. Certains reposent également à d'autres emplacements de ce même lieu.

Le cimetière des Oubliés de CADILLAC-sur-GARONNE est un des rares exemples où ce carré militaire subsiste encore.

Deux plaques  leur rendent hommage, notamment la plus grande ainsi libellée : "les Anciens combattants de la Gironde, A la mémoire de leurs camarades mutilés du cerveau victimes de la guerre 1914-1918", avec la date du 26 juin 1937.

Stèle à la mémoire des anciens combattants 1914-18 « mutilés du cerveau ». Source : Licence Creative Commons.  Photo : Henry Salomé.


Il importe à ce niveau de reconnaître le rôle essentiel joué par George Cuvier en faveur de ces soldats et de leurs familles souvent réduites à la misère. Né à Langon en 1884, G. CUVIER est étudiant en médecine au moment de son incorporation. Il sera affecté d'abord au 43eme, puis au 162ème régiment d'infanterie comme téléphoniste, et enfin dans la 18ème section d'infirmiers militaires. Lui-même souffre d'une diminution d'acuité auditive. Après l'armistice il est nommé à Cadillac comme curateur pour s'occuper des Anciens Combattants internés. Il s'investit pleinement dans sa mission et crée en 1930 l’Association d'aide aux mutilés du cerveau. L'expression « mutilé du cerveau » lui paraît moins stigmatisante que « fou » ou « aliéné », et, surtout, elle renvoie à la figure plus noble du blessé de guerre.

En 1937, quand le ministère des Pensions prescrit le regroupement des tombes des militaires enterrés dans les cimetières des asiles, Georges CUVIER se charge d'organiser la cérémonie. C'est à cette occasion qu'il commande la plaque financée par l'asile et par des dons. La palque dévoilée, les participants observent une minute de silence avant de se réunir autour d' un vin d'honneur offert par l'asile.

Les autres carrés de part et d'autre du carré des mutilés du cerveau totalisent plus de 4000 défunts. Parmi eux, plus de 1000 patients, dont certains survivants de 14-18, sont décédés à l'asile entre 1939 et 1945 des suites de l'occupation allemande, victimes de la surpopulation de l'asile, de la promiscuité, du froid et, surtout, de la faim !

L'association des « Amis du Cimetière des Oubliés  de Cadillac-sur Garonne», créée en avril 2009 pour « assurer la protection, la sauvegarde et la valorisation du cimetière  », a su en démontrer l'intérêt en tant que « lieu de mémoire », et obtenir sa protection au titre des Monuments historiques, précisément pour le carré des « Mutilés du cerveau » .

Elle veille à « inscrire le Cimetière des Oubliés dans son histoire mémorielle » et à la transmettre.

Dernièrement enfin, Le site a fait l'objet d'une restauration et mise en valeur diligentées par la commune de Cadillac-sur-Garonne et la région Nouvelle Aquitaine. L es noms de patients identifiés ou soldats ont été inscrits : sur le mur des combattants au sens large, et qui n'inclue pas les Anciens Combattants du carré, et mur du fond pour les autres défunts. La maison du Fossoyeur a été aménagée en « espace muséal » qui rappelle et documente la situation de ces blessés de guerre et l'evolution de la psychiatrie au XXeme siècle.

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Cadillac