Honoré d'Estienne d'Orves (1901-1941)

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Honoré d'Estienne d'Orves en 1930. Source : Service Historique de la Défense (SHD) *
Honoré d'Estienne d'Orves en 1930. Source : Service Historique de la Défense (SHD) *
Corps 1

Dès la signature de l'Armistice, le 22 juin 1940, Henri Louis Honoré d'Estienne d'Orves, officier de marine, choisit la clandestinité pour combattre l'Allemagne nazie. Un an plus tard, ce pionnier de la résistance est condamné à mort pour espionnage. Le 29 août 1941, il est exécuté par les nazis au fort du Mont-Valérien, avec deux compagnons de résistance, Maurice Barlier et Yan Doornik.

I - D'Estienne d'Orves avant 1940 : un officier de marine ouvert sur le monde 1901

 

Le 5 juin, naissance de Henri Louis Honoré, comte d'Estienne d'Orves, à Verrières-le-Buisson (Essonne). Il est issu d'une longue lignée nobiliaire : les d'Estienne, famille d'origine provençale, par son père, et les Vilmorin, par sa mère.

Corps 2

1917 - D'Estienne d'Orves passe son baccalauréat.

1921 - D'Estienne d'Orves intègre l'École Polytechnique. Ses condisciples le décrivent comme un homme affable, spirituel et d'un esprit curieux.

1923 - En août, à sa sortie de Polytechnique, d'Estienne d'Orves sert dans la marine. En octobre, il est élève à bord de la Jeanne d'Arc. Ses embarquements successifs l'emmènent vers de nouveaux horizons : du Brésil à la Chine, du Maroc à Bali. Les escales sont pour lui autant d'occasions d'apprendre, de tenter de comprendre les hommes et leurs cultures.

1929 - D'Estienne d'Orves épouse Éliane de Lorgeril. De cette union naîtront cinq enfants.

1939 - Début de la Seconde Guerre mondiale Le 3 septembre 1939, la France et le Royaume-Uni (les Alliés) déclarent la guerre à l'Allemagne nazie, en réponse à l'invasion de la Pologne par les troupes d'Hitler.

Le lieutenant de vaisseau d'Estienne d'Orves est affecté sur le croiseur Duquesne, à l'état-major de la Force "X" qui, sous les ordres de l'amiral Godfroy, doit renforcer la flotte britannique de l'amiral Cunningham en Méditerranée orientale.

 

II - D'Estienne d'Orves en 1940 : un pionnier de la résistance contre l'Allemagne nazie 22 juin 1940 -

 

Le gouvernement Pétain signe l'armistice Lorsque l'Armistice intervient, d'Estienne d'Orves est, avec la Force "X", à Alexandrie. Un accord tacite entre les amiraux français et anglais évite l'affrontement entre les alliés de la veille, mais les bateaux français sont immobilisés. D'Estienne d'Orves choisit alors de poursuivre le combat et de désobéir à ses supérieurs hiérarchiques. Sa décision n'est pas prise sans déchirement, car il place très haut le devoir d'obéissance. Il est pourtant assuré qu'un combat n'est jamais vraiment perdu tant que subsiste la possibilité d'une action libre.

Juillet 1940 - D'Estienne d'Orves choisit la résistance contre l'Allemagne nazie Dans une lettre datée du 10 juillet, adressée à l'amiral Godfroy, d'Estienne d'Orves fait part de son choix de continuer la lutte contre l'Allemagne nazie en ces termes : "... Vous devinez mes sentiments. J'ai été élevé dans le culte de la Patrie - mes camarades aussi, j'en suis sûr - mais 1870 et 1914 ont tellement marqué sur mes parents et sur moi-même que je ne puis concevoir l'asservissement actuel de la France. Sans me permettre de juger le Département, je ne puis me croire qualifié pour reconstruire la France ainsi qu'on nous le propose. Tant qu'il y aura une lueur d'espoir, je combattrai pour débarrasser mon pays de l'emprise de cet homme qui veut détruire nos familles et nos traditions..."

D'Estienne d'Orves prend le pseudonyme de "Châteauvieux" (du nom de l'une de ses aïeules). Il met sur pied un commando de quelques hommes, des officiers et des marins venant des bâtiments de la force "X" : le 1er Groupe marin. Il propose ses services au général Legentilhomme, commandant des troupes françaises à Djibouti, qui souhaite rallier la colonie au général de Gaulle. Avec quelques marins, il gagne Suez où il rencontre le colonel de Larminat qui vient de rejoindre la France Libre. Le 23 juillet 1940, d'Estienne d'Orves débarque de l'Antenor à Aden pour apprendre que Legentilhomme a échoué dans son projet. Il décide alors de gagner la Grande-Bretagne où des bâtiments français attendent des équipages.

Septembre 1940 - D'Estienne d'Orves rejoint la France Libre, en Grande-Bretagne Embarqués le 2 août, d'Estienne d'Orves et ses compagnons arrivent à Londres fin septembre. Le 1er octobre, d'Estienne d'Orves est promu capitaine de corvette. Il est affecté au 2e Bureau de l'état-major des Forces navales françaises libres. Adjoint du colonel Passy, chef du Bureau central de renseignement et d'action (BCRA), d'Estienne d'Orves jette les bases du réseau Nemrod. La tâche primordiale du service de renseignements de la France Libre est de connaître le mouvement des troupes ennemies dans les territoires occupés, l'emplacement des aérodromes, les positions des batteries, etc. Plusieurs agents ont déjà été envoyés dans ce but sur les côtes françaises pour établir des contacts. Le 6 septembre 1940, Maurice Barlier était le premier à gagner la France . le 1er octobre, Yan Doornik le suivait. D'Estienne d'Orves veut aller lui-même sur place pour coordonner l'action de ses hommes, nouer les contacts indispensables, recruter d'autres agents. Il prend alors la tête du service, Passy étant appelé temporairement à d'autres fonctions.

Décembre 1940 - D'Estienne d'Orves, dit "Jean-Pierre", revient en France pour développer le service de renseignements de la France Libre Le 21 décembre, le chalutier la Marie-Louise part de Newlyn, en Cornouailles, avec à son bord d'Estienne d'Orves - devenu "Jean-Pierre" - et un jeune radio alsacien, Alfred Gaessler, dit "Marty". Le soir même, ils débarquent non loin de la Pointe du Raz, puis ils sont hébergés à Chantenay, près de Nantes. A Lorient et à Nantes, ils rencontrent les membres du réseau Nemrod.

Le 25 décembre, la première liaison radio entre la France occupée et Londres est établie. Barlier est chargé de prospecter la région bordelaise, d'Estienne d'Orves s'occupant du Nord et de la région parisienne. Le 27 décembre, d'Estienne d'Orves est à Paris. Il rencontre les responsables des autres réseaux de Résistance. De Bretagne, "Marty" envoie régulièrement d'importants messages vers Londres. Il se montre toutefois très imprudent, multipliant les indiscrétions.

 

III - D'Estienne d'Orves en 1941 : un héros de la France Libre exécuté par les nazis au fort du Mont-Valérien Janvier 1941 -

 

D'Estienne d'Orves et ses compagnons sont dénoncés et arrêtés Le 19 janvier 1941, d'Estienne d'Orves est de retour à Nantes. Il décide de ramener "Marty" avec lui en Angleterre, lors de son prochain voyage. Cependant, "Marty", fils d'un Alsacien pro-nazi, germanophile lui-même, a contacté ce même jour le contre-espionnage allemand, donnant les noms des trente-quatre membres du réseau. Dès lors, les arrestations se succèdent. Dans la nuit du 21 au 22 janvier, d'Estienne d'Orves est arrêté. A Nantes, les prisonniers subissent les premiers interrogatoires. Puis ils sont successivement transférés à Angers, Paris et Berlin, tandis que "Marty" émet, jusqu'en février, de faux messages vers Londres.

Février 1941 - D'Estienne d'Orves et ses compagnons sont incarcérés à Paris Le 26 février 1941, d'Estienne d'Orves et ses compagnons sont de nouveau incarcérés à Paris, dans la prison du Cherche-Midi.

Mai 1941 - D'Estienne d'Orves est condamné à mort pour espionnage Le 13 mai 1941, d'Estienne d'Orves et vingt-six de ses compagnons comparaissent devant la cour martiale allemande de Paris. Au cours du procès, qui dure douze jours, d'Estienne d'Orves couvre ses co-détenus. Les juges militaires prononcent neuf sentences de mort et des peines de prison, non sans avoir rendu hommage aux condamnés. Des recours en grâce sont déposés. Le sursis dont bénéficie d'Estienne d'Orves est diversement expliqué : certains y voient le désir de von Stülpnagel, le commandant militaire en France, d'attendre une occasion spectaculaire pour frapper les esprits . d'autres rappellent que la condamnation provoqua une forte émotion dans la marine, à Londres mais aussi à Vichy, au point que l'amiral Darlan intervint auprès des autorités allemandes. Dans la prison du Cherche-Midi, puis dans celle de Fresnes, d'Estienne d'Orves lit, médite, prie, commente les grands classiques littéraires, entretient le moral de ses co-détenus. Surtout, il écrit. Son journal est un témoignage, presque au sens religieux du terme : il raconte aux siens son enfance, justifiant son engagement en tant que chrétien et que soldat. Espoirs et déceptions se succèdent au fil des jours. Son avocat, l'Oberleutnant Mörner, paraît confiant.

Août 1941 - D'Estienne d'Orves est exécuté par les nazis au Fort du Mont-Valérien Le 21 août, un soldat allemand, l'aspirant Moser de la Kriegsmarine, est abattu à Paris, dans la station de métro Barbès-Rochechouart. Le 22 août, le général Schaumburg, commandant du "Gross Paris", signe une ordonnance transformant les Français arrêtés en otages. Parallèlement, von Stülpnagel, le commandant militaire en France, trouve sans doute l'occasion de faire un "exemple", en exécutant des prisonniers déjà condamnés à mort.

Le 28 août, dans sa dernière lettre écrite à sa soeur, d'Estienne d'Orves évoque la France : "Je meurs pour elle, pour sa liberté entière, j'espère que mon sacrifice lui servira" D'Estienne d'Orves avait aussi écrit : "N'ayez à cause de moi de haine pour personne, chacun a fait son devoir pour sa propre patrie. Apprenez au contraire à connaître et à comprendre mieux le caractère des peuples voisins de la France". Le 29 août, Barlier, Doornik et d'Estienne d'Orves sont emmenés au fort du Mont-Valérien. Leurs six autres compagnons ont été graciés. Quelques minutes avant de mourir, l'officier de marine se montre égal à lui-même, pardonnant publiquement à ses juges. Il demande à ne pas avoir les mains liées ni les yeux bandés. A 6h30, les trois hommes sont fusillés. Le 30 août 1941, les Parisiens apprennent, par une affiche jaune bordée de noir placardée sur les murs de la capitale, que Henri Louis Honoré, comte d'Estienne d'Orves, condamné à mort pour espionnage par un tribunal allemand, a été fusillé la veille, ainsi que Maurice Barlier et Yan Doornik.

1943 - Louis Aragon publie un poème, en hommage à deux héros de la résistance Le 11 mars 1943, Louis Aragon fait paraître son poème "La Rose et le Réséda", qui évoque le combat commun de "celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas", en hommage à Honoré d'Estienne d'Orves et Gabriel Péri. Pour en savoir plus : De Montety Étienne, Honoré d'Estienne d'Orves - Un héros français, 2001. Honoré d'Estienne d'Orves Rose et Philippe, Honoré d'Estienne d'Orves - Pionnier de la Résistance, 1990.

Nota (*) Les archives privées du capitaine de frégate Honoré d'Estienne d'Orves - correspondance, notes, cahiers et albums - sont pour l'essentiel conservées au Service historique de la défense (département marine).


Sources
Source : Collection "Mémoire et citoyenneté", N°17, Publication Ministère de la défense SGA/DMPA

  • Photo de couverture : Honoré d'Estienne d'Orves en 1930. Source : Service Historique de la Défense (SHD) *
  • Honoré d'Estienne d'Orves, entré à l'École Polytechnique en 1921. Source : Service Historique de la Défense (SHD) *
  • Honoré d'Estienne d'Orves, officier d'ordonnance de l'amiral Basire, commandant les forces navales françaises d'Extrême-Orient. Source : Service Historique de la Défense (SHD) *
  • La maison où fut hébergé Honoré d'Estienne d'Orves en débarquant d'Angleterre, à Plogoff, près de la Pointe du Raz. Source : Service Historique de la Défense (SHD) * Le poste-émetteur du réseau Nemrod. Source : Service Historique de la Défense (SHD) *
  • Extrait de la dernière lettre écrite le 28 août 1941 par le commandant d'Estienne d'Orves à sa soeur. Source : Service Historique de la Défense (SHD) *
  • Plaque commémorative apposée dans la cour d'honneur de l'École Polytechnique. Source : Collection Ecole Polytechnique