La mémoire des armistices de 1940

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Par Vincent Giraudier - Chef du département de l’Historial Charles de Gaulle, musée de l’Armée

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"Le Wagon de l’Armistice". France, 1940. Métal (3,9 x 8 x 3,3 cm). © Laure Ohnona/La Contemporaine

Certaines mémoires sont vouées à n’être qu’un temps. Il en va de celles des armistices de l’année 1940, qui entérinent la défaite française et mettent fin aux combats. Bien que l’Allemagne s’en réjouisse sur l’instant, cet épisode ne laissera pas place à des commémorations régulières. En France, s’il est timidement célébré par le régime de Vichy, il est rapidement remplacé par la remémoration du refus. En effet, l’appel du 18 juin constitue aujourd’hui un marqueur important dans le calendrier commémoratif.

Corps 1

Le 17 juin 1940, le maréchal Pétain, nouveau président du conseil remplaçant Paul Reynaud démissionnaire depuis la veille, annonce qu’il faut "cesser le combat". Date majeure de la campagne de France, cette annonce est significative à bien des égards.

Elle indique en effet tout d’abord, aux yeux du monde, que le gouvernement Français, à l’inverse des autres pays envahis, ne continuera pas la guerre en exil. Elle annonce aussi, qu’à l’instar de l’Allemagne de l’automne 1918 acculée par sa situation militaire, la France fait le choix d’une sortie de guerre au moyen d’un acte de nature politique, négocié d’État à État, qui permet de dédouaner le haut commandement militaire de ses responsabilités. Ce discours du 17 juin est d’ailleurs en contradiction avec les propres définitions de ce qu’est un armistice – un accord négocié de cessation conditionnelle des combats – puisqu’il est rendu public avant même que l’ennemi n’ait fait savoir s’il accepte, ou non, d’entrer en négociation.

Les combats se poursuivent donc en parallèle des "négociations" imposées par le vainqueur, qui choisit la clairière de Rethondes, lieu de l’armistice du 11 novembre 1918, pour faire signer la France, le 22, puis impose aussi une autre convention avec l’Italie, le 24, signature qui permet la fin des combats, le 25. C’est donc non pas une date, mais bien une série de dates (les 17, 22, 24 et 25 juin), qui prépare le vote du 10 juillet 1940, acte législatif fondateur du nouveau régime qui s’installe à Vichy.

Aux lendemains des signatures

Pour l’Allemagne nazie, la signature du 22 juin est alors bien plus qu’un acte juridique provisoire permettant, au prix d’une relative modération des conditions, comme le maintien d’un territoire non occupé et le respect d’un semblant de souveraineté nationale, de laisser l’Empire britannique continuer seul la guerre. L’armistice du 22 juin est organisé comme une véritable cérémonie expiatoire du 11 novembre 1918 : humiliation de faire signer la France sur le même lieu, "pas de danse" d’Hitler devant les caméras des actualités, transfert du wagon de Foch comme trophée en Allemagne, destruction des monuments commémoratifs français. Des soldats en permission dans Paris achètent en souvenir de leur victoire les modèles réduits du wagon datant du temps de son exposition aux Invalides. Un traité de paix, suite naturelle d’un armistice et une victoire nazie aurait peut-être entraîné des célébrations régulières. Mais la guerre s’est poursuivie… Le 22 juin 1941, Hitler ne commémore pas l’armistice signé avec la France mais lance l’opération Barbarossa.

C’est à Vichy que se déroule la seule "commémoration" de cet événement. Le 17 juin 1941, la radio diffuse une allocution, largement reprise par les actualités cinématographiques, qui s’appuie sur la rediffusion du disque du discours du 17 juin 1940. Après avoir ainsi fait écouter aux Français cette voix cassée par l’émotion qui était alors la sienne, le Maréchal enchaîne avec une voix "raffermie" censée démontrer le "relèvement" du pays avant d’asséner cette formule : "Français, vous avez vraiment la mémoire courte".

Si ce premier anniversaire est donc commémoré, il n’en est plus de même les années suivantes avec un discours plus modeste le 17 juin 1942 et aucune référence particulière en 1943 et 1944. Après la guerre et le décès du Maréchal, ses nostalgiques choisissent de commémorer l’anniversaire de sa naissance, dans sa maison natale dont ils sont devenus les propriétaires, l’anniversaire de sa mort sur l’Île d’Yeu, ainsi que les dates du 11 novembre et du 1er mai, version maréchaliste de la "fête du travail". La défaite de 40 n’a donc pas, à leurs yeux, ce statut de "défaite fondatrice", comme la France a l’habitude de s’en créer.

Mais la décision prise en juin 1940 de cesser le combat et de négocier des armistices n’est pas seulement l’acte fondateur du régime de Vichy. Le refus de cette défaite et la volonté de continuer le combat entraînent le départ de Charles de Gaulle pour Londres et sa prise de parole, le 18, en réponse au discours du 17. Infiniment moins entendu que le Maréchal, ce premier "Appel" débute une série d’interventions qui marque la naissance de la France libre.

"Un armistice nul et non advenu"

La sémantique des discours et messages de guerre du général de Gaulle est significative de la manière dont il juge les événements de juin 1940. Si le terme d’armistice est absent de l’appel du 18, il apparaît tout d’abord confondu avec celui de "capitulation" dans le discours du 22 juin, le premier dont nous conservons l’enregistrement : "On peut donc dire que cet armistice serait, non seulement une capitulation, mais encore un asservissement". Ce terme, repris le 24 juin et dans l’intervention du 2 juillet, disparaît alors au profit du terme exact juridiquement d’armistice, qualifié tour à tour de déshonorant (le 26 juin), puis, à partir du 30 juillet, "d’abominable", formule reprise cinq fois du 30 juillet au 27 août.

La signature des accords Churchill/de Gaulle, qui posent les bases de la relation entre la France libre et le gouvernement britannique, puis le ralliement de territoires de l’Empire, permettent au mouvement gaulliste de se présenter comme détenteur de la souveraineté nationale et de remettre en cause la légitimité des gouvernements issus de l’armistice.

Le 29 août, fort des ralliements des territoires de l’Afrique équatoriale, le général de Gaulle déclare que : "Le crime de l’armistice, c’est d’avoir capitulé comme si la France n’avait pas d’Empire". Il proclame alors que : "La France libre ne veut pas de ce soi-disant armistice. Ce soi-disant armistice est, pour elle, nul et non advenu".

La non reconnaissance des armistices de juin 1940 par le général de Gaulle entraîne la quasi disparition du terme dans ses écrits de guerre, la dernière occurrence datant du 18 juin 1942. Les grands discours ou déclarations qui marquent les différentes étapes du combat pour la légitimité de son action n’y font jamais allusion. Le terme est absent de la déclaration de Brazzaville du 27 octobre 1940 dénonçant le gouvernement "inconstitutionnel et soumis à l’envahisseur", comme du discours programmatique du 15 novembre 1941 de l’Albert Hall ou de l’ordonnance du 9 août 1944 "relative au rétablissement de la légalité républicaine".

La "mémoire" des armistices a donc, dès la guerre, disparu au profit de celle de son refus, célébré dès le 18 juin 1941, et devenue une de nos grandes dates mémorielles, revendiquée comme telle par le discours d’Alger du 18 juin 1944 : "Si l’appel du 18 juin 1940 a revêtu sa signification, c’est simplement parce que la nation française a jugé bon de l’écouter et d’y répondre…".

 

Vincent Giraudier - Chef du département de l’Historial Charles de Gaulle, musée de l’Armée