Les chutes du réseau "Alliance"
Sous-titre
Par Thomas Fontaine (Historien, chercheur associé au Centre d’histoire du XXe siècle, Paris 1) et Cédric Neveu (Historien, spécialiste de la répression et des polices nazies)
Spi-Fall Dellagnolo - Matrose (matelot) et Spionage Organisation Alliance : ces noms de code révèlent les étapes de l’enquête conjointe menée par la Gestapo de Strasbourg et la SIPO-SD parisienne pour faire tomber, à deux reprises, les membres du réseau Alliance, créé par Georges Loustaunau-Lacau dès le printemps 1941.
Un premier réseau démantelé
L’affaire débute le 12 novembre 1942, lorsqu’un certain Ferdinand Dellagnolo est arrêté à Strasbourg. Son interrogatoire révèle qu’il avait rencontré en octobre, à Vichy, deux agents d’un réseau "important" et qu’il s’était proposé pour recueillir des renseignements en Alsace annexée de fait. Formé à Marseille, il avait fait la connaissance du "prétendu chef de l’organisation […] portant le pseudo de ‘Lion’" et d’une cadre "portant le pseudo de ‘Hérisson’". La Gestapo de Strasbourg le comprend vite : il s’agit respectivement de Léon Faye et de Marie-Madeleine Bridou-Méric (connue aussi sous le nom de Fourcade-Méric), des proches de Georges Loustaunau-Lacau. Ce dernier avait été arrêté le 18 juillet 1941.
Si ce sont les policiers du BdS Paris qui opèrent l’essentiel des arrestations, c’est au BdS Strasbourg qu’est confiée l’instruction des dossiers des principaux coupables dans l’affaire dite "Dellagnolo" (voir diaporama), sans doute du fait de son point de départ et de son ampleur. C’est ce qui explique les parcours souvent considérés comme très particuliers des victimes. La plupart des membres du réseau, réunis à la prison de Fresnes, sont déportés le 27 mai et le 29 juin 1943 dans les prisons de Buhl, Offenburg ou Wolfach, comprises dans le Gau Oberrhein auquel appartient l’Alsace annexée. Le temps que les services du BdS Strasbourg constituent le dossier de police en vue d’un jugement. La nature militaire des informations transmises en Angleterre par Alliance explique sans doute que ce soit le Reichskriegsgericht (Rkg), la juridiction militaire suprême du Reich, qui juge ses membres. C’est le 14 décembre, à Fribourgen-Brisgau, qu’un premier procès se tient. S’y retrouvent les membres des secteurs des Bouches-du-Rhône, de l’Hérault et du sud-ouest : tous sont condamnés à mort et exécutés le 1er avril 1944 à Karlsruhe. Un second procès a lieu en février 1944, entraînant des exécutions près de Ludwigsburg le 23 mai.
Une seconde vague de répression
Toutefois, les chefs du réseau n’ont pas été pris lors de cette première chute. Si Marie-Madeleine Bridou-Méric rejoint Londres, Faye reprend seul la tête d’une nouvelle structure. Mais les services allemands sont en éveil dans ce qui devient, pour eux, l’affaire "Alliance II". Or, dès le 11 juin 1943, Ernest Siegrist, le chef de la sécurité, et Louis Payen son adjoint, sont arrêtés à Lyon. Au cours de la perquisition qui suit, une grande quantité de documents est saisie. Les conséquences sont graves car, comme le souligne un rapport de la SIPO-SD, cela permet aux services allemands "d’avoir une vue d’ensemble plus complète sur [l’] organisation" et de disposer de noms et d’adresses. Dès août, différents agents de liaison tombent, dont celui de Faye, Pierre Dayné. Couplées à des trahisons de membres du groupe - dont celle de Jean-Paul Lien mise en avant après la guerre -, les informations recueillies vont rapidement toucher la tête du réseau. Le message annonçant le retour de Londres de Faye – "La pêche à la baleine est un métier du diable" - est connu des Allemands. Le chef d’Alliance est arrêté peu de temps après sa descente d’avion, le 16 septembre 1943. Dans les semaines qui suivent, ce sont au moins 220 agents qui tombent.
Encore une fois, c’est la Gestapo de Strasbourg (voir diaporama) qui se charge de l’instruction des dossiers, pour les présenter au Rkg. Un premier transport d’au moins 35 détenus quitte Paris pour l’Alsace le 16 décembre 1943 au soir. Faye ne s’y trouve pas : il a déjà été déporté le 27 novembre, en urgence et secrètement, à la suite d’une tentative d’évasion. L’essentiel de l’état-major du réseau, en grande partie démantelé, et les résistants des secteurs ouest d’Alliance partent un mois plus tard, fin janvier 1944, pour les prisons de Kehl ou de Pforzheim. Entre mars et juin, des dizaines de détenus d’autres régions d’Alliance rejoignent le camp de Schirmeck en Alsace, où leurs dossiers sont instruits. Juger prend du temps et un seul procès important se tient pour condamner les résistants d’"Alliance II", à Fribourg le 28 juin 1944. Léon Faye est le premier condamné à mort : il est exécuté le 30 janvier 1945 à la prison de Sonnenburg, alors que ses camarades jugés avec lui l’ont été le 21 août 1944 à Heilbronn, dont Ferdinand Dellagnolo. Les autres membres du groupe furent déportés et exécutés à l’approche des armées alliées : 107 dans la nuit du 1er au 2 septembre 1944 au camp de concentration de Natzweiler-Struthof, puis des dizaines durant les semaines qui suivirent dans les prisons d’Allemagne.
Au total, plus de 400 membres du réseau sont exécutés. Cela révèle l’importance que les Allemands accordent aux organisations de résistance associées pour eux aux services giraudistes et qui fournissent des renseignements militaires aux Anglais.
Thomas Fontaine - Historien, chercheur associé au Centre d’histoire du XXe siècle, Paris 1
Cédric Neveu - Historien, spécialiste de la répression et des polices nazies