L’internement des Tsiganes en France pendant la Seconde Guerre mondiale
Par Marie-Christine Hubert[1]
Entre 1940 et 1946, plus de 6 500 hommes, femmes et enfants ont été internés en France dans une trentaine de camps pour le seul fait d’être considérés comme Tsiganes par les autorités allemandes et françaises. Cette histoire appartient tout autant à celle des persécutions raciales mises en œuvre par l’Allemagne nazie qu’à celle de la répression du nomadisme, politique menée par nombre de démocraties occidentales comme la France.
À partir de 1912, les autorités françaises mirent en place un dispositif visant à surveiller les itinérants français et étrangers. Une attention particulière fut portée aux Tsiganes avec la création du régime des nomades et l’utilisation du carnet anthropométrique d’identité qui permettaient une surveillance des déplacements et une identification des « nomades ». Environ 40 000 personnes étaient ainsi fichées avant-guerre.
Le 6 avril 1940, la Troisième République interdit sur le territoire métropolitain et pour toute la durée de la guerre la circulation des nomades et les assigna à résidence. Le 4 octobre 1940, les autorités d’occupation ordonnèrent aux préfets de la zone occupée d’interner les Tsiganes. Les gendarmes ont alors arrêté prioritairement les familles assignées à résidence en avril et les porteurs du carnet anthropométrique. Furent également internés des forains, des travailleurs itinérants, des clochards et des sédentaires marginalisés, c’est-à-dire toutes les personnes soupçonnées d’être Tsiganes tant par les autorités allemandes que françaises.
Rassemblés dans la précipitation dans des carrières et des châteaux abandonnés, les familles furent transférées rapidement dans des camps plus structurés administrés par les préfectures et surveillés par des gendarmes comme à Mérignac (Gironde), Moisdon-la-Rivière (Loire-Atlantique), Poitiers (Vienne). Fin 1941, les Tsiganes furent regroupés dans des camps régionaux comme Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), Mulsanne (Sarthe), Jargeau (Loiret), Saint-Maurice-aux-Riches-Hommes (Yonne).
Le froid, la faim, l’absence d’hygiène eurent raison des plus fragiles, les jeunes enfants et les vieillards. Les familles pouvaient sortir du camp et être assignées à résidence à proximité même si les conditions nécessaires (domicile fixe, travail, accord des différentes autorités) étaient difficiles à obtenir sans aide de l’extérieur. L’internement comme la libération était avant tout une décision arbitraire résultant du bon vouloir des préfets et des Allemands.
En zone libre, la règle était l’assignation à résidence. Toutefois, les Tsiganes expulsés d’Alsace-Lorraine à l’été 1940 ont été internés dans les camps d’Argelès-sur-Mer, Barcarès puis Rivesaltes. En mai 1942, le gouvernement de Vichy créa à Saliers (Bouches-du-Rhône) un camp réservé au Tsiganes[2]. Objet de propagande et construit selon une architecture particulière, il accueillit à l’automne 1942 les Tsiganes de Rivesaltes mais aussi des nomades que les préfets de la zone libre jugeaient indésirables. Dans les Hautes-Pyrénées, le camp de Lannemezan était destiné aux nomades étrangers[3].
Les Tsiganes ne furent pas libérés en 1944 comme les autres internés administratifs. L’internement fut assimilé à une mesure d’assignation à résidence, le décret du 6 avril étant toujours en vigueur. Ce n’est qu’avec le décret du 10 mai 1946 officialisant la fin de la guerre, que les derniers nomades, furent libérés du camp des Alliers (Charente)… bien après les collaborateurs.
Le décret d’Himmler du 16 décembre 1942 ordonnant la déportation à Auschwitz des Tsiganes du Grand Reich ne s’appliquait pas à la France. Néanmoins, 145 Français arrêtés dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais rattachés à la Belgique ont été déportés par le convoi Z du 15 janvier 1944. Les hommes internés à Poitiers furent quant à eux déportés en 1943 dans les camps de Sachsenhausen et Buchenwald dans le cadre de l’opération Meerschaum qui alliait une nouvelle politique de répression via la déportation massive des opposants politiques et l’approvisionnement des camps en main-d’œuvre forcée.
Après la guerre, ces familles démunies et meurtries furent de nouveau soumises au régime des nomades. En 1969, le carnet anthropométrique d’identité fut remplacé par un carnet de circulation moins contraignant mais tout aussi discriminatoire. Ce n’est qu’en 2010 et 2016 que la France reconnut officiellement sa responsabilité dans l’internement d’une frange de ses concitoyens, les Tsiganes internés étant en effet à plus de 90 % de nationalité française.
[1] Emmanuel Filhol, Marie-Christine Hubert, Les Tsiganes en France : un sort à part 1939-1946, Perrin, 2009.
[2] Mathieu Pernot, Un camp pour les Bohémiens. Mémoires du camp d’internement pour nomades de Saliers, Actes Sud, 2001.
[3] Voir les ouvrages autobiographiques de Matéo Maximoff.