Lucie Aubrac

Sous-titre
Par Laurent Douzou - Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Institut d’études politiques de Lyon

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Fresque murale en hommage à Lucie Aubrac réalisée par l’artiste barcelonaise B-TOY à Bagneux (Hauts-de-Seine), avril 2022. © Sébastien Bellanger

Lucie Aubrac est l’une des figures les plus emblématiques et les plus romanesques de la Résistance. Celle dont le nom incarne le combat juste, pour la liberté et l’honneur, la paix et les droits de l’homme, est souvent citée dans la liste des candidates proposées à une "panthéonisation".

Corps 1

Le nom de Lucie Aubrac est indissociable de l’histoire de la Résistance française. Compte tenu du courage et de l’efficacité dont cette femme a fait preuve entre 1940 et 1944, il n’est pas anormal qu’il en soit ainsi. Sa vie vaut pourtant d’être considérée dans son ensemble pour mieux cerner sa personnalité et comprendre son action sous l’Occupation.

Enfance chahutée

Fille de paysans pauvres originaires du Mâconnais, Lucie Bernard naît à Paris le 29 juin 1912. Ses parents, montés à la capitale pour s’arracher à leur dure condition de journaliers, y louent un bistrot. Le père ayant contracté la typhoïde, il leur faut abandonner ce commerce prometteur. Ils travaillent dans une blanchisserie à Dugny, près du Bourget, avant de s’installer dans l’Eure où ils louent leurs services comme jardinier et laitière. Mobilisé comme soldat de 2e classe dans l’infanterie en août 1914, Louis Bernard est gravement blessé le 10 octobre 1915 au Hartmannswillerkopf. En 1918, le couple retourne en Saône-et-Loire. Louis Bernard cultive des légumes que sa femme vend au marché de Blanzy. Lucie, qui a alors 6 ans, mène une vie plus sereine au sortir d’une petite enfance chahutée. En juillet 1925, elle obtient le certificat d’études primaires. Ses parents se dévouent corps et âme pour que leurs deux filles - pupilles de la Nation en raison des séquelles de guerre de leur père - fassent des études. En 1927, Lucie entre au cours complémentaire de filles de Montceau-les-Mines. Elle y réussit suffisamment bien pour viser l’exigeant concours de l'École normale d’institutrices du boulevard des Batignolles, à Paris. Pour mettre toutes les chances de son côté, ses parents déménagent à Vitry-sur-Seine et travaillent en usine. En 1931, à sa troisième tentative, Lucie est admise.

Un avenir prometteur...

Contre toute attente, elle renonce à l’école normale. Ayant pris conscience de son potentiel intellectuel, elle veut poursuivre des études supérieures. Elle vit à Paris, en chambre de bonne, dans un grand dénuement, tantôt serveuse, tantôt vacataire en maternelle. Tout en militant activement aux Jeunesses Communistes, auxquelles elle a adhéré vers 1930, et en fréquentant les Quakers dont les conférences gratuites élargissent son horizon, elle passe ses deux bacs. Elle entreprend ensuite des études d’histoire qui requièrent une culture classique qu’elle n’a pas reçue au cours complémentaire. Au terme d’un intense effort sur fond de constantes privations, cette étudiante douée qui impressionne ses professeurs est reçue en 1938 à l'agrégation d'histoire et géographie. Nommée au Lycée des Pontonniers à Strasbourg, elle rencontre Raymond Samuel - plus tard Aubrac dans la clandestinité, pseudonyme qu’ils prendront pour patronyme après la Libération -, ingénieur des Ponts, mobilisé comme officier du génie. Ils se marient le 14 décembre 1939. Fin août 1940, alors qu’il est prisonnier de guerre à Sarrebourg, elle organise son évasion. Ils gagnent Lyon. Il y exerce son métier d'ingénieur. Elle obtient un poste au lycée de jeunes filles Edgar Quinet. Le couple ne se résout pas à accepter la défaite, l’occupation et l’État français du maréchal Pétain qui a mis fin à la République. Mais que faire ?

... bousculé par la guerre

À l'automne de 1940, à Clermont-Ferrand, avec le philosophe Jean Cavaillès, elle rencontre Emmanuel d'Astier de la Vigerie en quête de gens désireux de "faire quelque chose". Ce petit noyau, qui prend pour nom La dernière colonne, vivote faute de pouvoir recruter. Pour briser cet isolement, il décide de faire paraître une feuille clandestine. Lucie Samuel y travaille tout en accouchant d'un garçon, Jean-Pierre, en mai. En juillet, paraît le premier numéro de Libération. C’est le début de l’implantation du mouvement en zone sud. Les époux Samuel font partie de sa direction. Raymond Samuel prend en charge les groupes paramilitaires de Libération avant de devenir, sous l’autorité du général Delestraint, un des dirigeants de l’Armée secrète. Lucie multiplie les missions. Inventive et transgressive, elle se spécialise dans l’évasion de camarades arrêtés.

Arrêté le 15 mars 1943 à Lyon, remis en liberté provisoire le 10 mai, Raymond est à nouveau arrêté le 21 juin à Caluire en compagnie de Jean Moulin. Quatre mois plus tard, enceinte de cinq mois, Lucie organise à Lyon une opération armée : à la tête d’un groupe franc, elle libère son mari des griffes de la Gestapo. Dès lors activement recherché, le couple vit de refuge en refuge avant qu’un avion les emporte avec leur fils à Londres, le 8 février 1944. Le 12, Lucie Aubrac y donne naissance à une fille. En juillet, elle participe à la mise en place des Comités de Libération dans les zones libérées. Elle rejoint ensuite son mari, commissaire régional de la République à Marseille. Quand il est révoqué en janvier 1945, elle regagne Paris et siège à l'Assemblée consultative.

Engagée jusqu'à la fin

Lucie Aubrac reprend ensuite son métier de professeur qu'elle exerce avec passion, successivement au Lycée d'Enghien, au Maroc et à Rome. La retraite venue, le couple s’installe à Paris. Sollicitée par les historiens, les journalistes, elle accède à une forte notoriété que la publication, en 1984, d’un journal recomposé des années 1943-1944, Ils partiront dans l’ivresse, accroît encore. Sa notoriété fait du couple une cible pour l’avocat du SS Klaus Barbie, - jugé à Lyon pour crimes contre l’humanité et condamné à perpétuité en 1987 - qui les accuse d’être à l’origine de l’arrestation de Jean Moulin. Lucie et Raymond Aubrac font crânement face à cette diffamation qui les meurtrit. Ils continuent leur combat dans le droit fil de leur engagement passé, par exemple en signant, avec d’autres résistants, un appel à la jeunesse en 2004 pour faire vivre les "idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle" de la Résistance. Jusqu’à son décès en 2007, la voix forte et le verbe clair, d’abord simple, Lucie sillonne la France pour témoigner de l’expérience de la Résistance auprès des jeunes de tous les degrés d’enseignement.

 

Laurent Douzou - Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Institut d’études politiques de Lyon