Chloé Duvivier
Doctorante en histoire militaire contemporaine à l’Université de Lorraine, Chloé Duvivier
Vous collectez la parole des anciens combattants de la guerre d’Indochine. Pouvez-vous nous présenter votre travail et sa finalité ?
Il me semblait essentiel d’interroger les officiers de cette période, de comprendre et consigner ce qu’ils ont vécu, vu et ressenti : à la remémoration et l’étude du passé s’ajoute en effet l’analyse d’un présent, où l’officier ayant achevé sa carrière juge et mesure le jeune lieutenant d’alors. L’ "histoire vivante" permet d’outrepasser les vides et silences des archives institutionnelles. Cette démarche s’inscrit dans une étude d’histoire militaire et sociale, ou plutôt, d’une tentative d’histoire d’une génération d’officiers construite autour d’une question : la guerre d’Indochine est-elle vraiment "une guerre de lieutenants et de capitaines", comme la qualifiait, à son arrivée en Extrême-Orient, le général de Lattre ? Quel rôle ont-ils joué et, avant tout, qui étaient-ils ? Pour y répondre, j’ai constitué une base de données rassemblant les éléments biographiques de ces 3 800 officiers, issus des promotions de Saint-Cyr Nouveau Bahut (1945-47), Général Leclerc (1946-48), Rhin et Danube (1947-49), Général Frère (1948-50), Garigliano (1949-51), Extrême-Orient (1950-1952) et Maréchal de Lattre (1951-53). Cette base s’inscrit dans le programme de recherche ARES dirigé par le professeur Julie d’Andurain, directrice de thèse.
Par des études qualitatives et quantitatives, en entreprenant une démarche prosopographique [NDLR : outil méthodologique permettant de cerner la composition d’un groupe, d’en observer les principales caractéristiques, les traits communs et les évolutions], il s’agit de faire une analyse fine des parcours de ces lieutenants sortis d’école et envoyés en Indochine.
Quels sont les points communs entre ces officiers ?
Ces officiers sont de la même génération : nés entre 1920 et 1930, ils ont grandi pendant la guerre, ont pour certains participé à la Résistance, ou se sont engagés pour les combats de la Libération. Ils ont, pour une majorité d’entre eux, un père ancien combattant de la Grande Guerre, voire officier, et pour certains, saint-cyrien. Ces origines familiales influencent grandement le choix de vie et la vocation de ces jeunes hommes à une époque charnière. Quelques-uns avouent d’ailleurs qu’ils n’imaginaient pas d’autre métier que celui des armes. Ce désir d’engagement leur est commun et croît face à l’embrasement de l’Indochine : il s’agit simplement pour eux de faire la guerre pour la France et son Empire, sans grand questionnement politique ou philosophique à leur jeune âge.
Entretiennent-ils des relations avec leurs anciens camarades de combat et participent-ils régulièrement aux commémorations de ce conflit ?
Certains ont totalement coupé les ponts avec l’institution militaire, à leur démission après la guerre d’Algérie ou plus tard, une fois reconvertis ou retraités. Ils sont devenus de parfaits civils anonymes, bien qu’un patriotisme demeure. Majoritairement, d’autres gardent un lien très fort avec leur promotion ou leurs camarades de combat. Mais l’Indochine n’est qu’une partie de leur carrière, certes fondatrice, à l’origine même de leur vie d’officier : pour certains, leurs expériences postérieures ont été plus marquantes. Plus rarement, cette guerre les a tellement marqués du fait de leur expérience personnelle qu’ils ne souhaitent pas en parler ou en faire état, ni publiquement ni intimement.
Comment perçoivent-ils l’attitude de la population française vis-à-vis de cette guerre ? Hier ? Aujourd’hui ?
A l’époque, cette guerre était particulièrement politisée par le Parti communiste en France. Mes interlocuteurs me parlent souvent de leur départ ou retour, depuis le port de Marseille. Les dockers s’en prenaient violemment à eux, aux cercueils de leurs camarades, ou faisaient grève et bloquaient le départ des bateaux. Ils racontent aussi les armes et munitions sabotées, les manifestations pour la paix au Vietnam, et les sympathies de la gauche française pour le Vietminh.
"Aujourd’hui, la guerre d’Indochine n’est pas méprisée ou méconnue. Elle est simplement ignorée" m’expliquait un vétéran. Et nous le savons : l’ignorance est le plus grand des mépris. Cette méconnaissance commence au sein même des familles où ce témoignage est parfois relégué aux archives d’antan et peu considéré.
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