Des musées normands en rénovation
Pour concilier qualité de l'expérience visiteur et préservation des collections, le musée du débarquement d’Arromanches et l’Airborne Museum de Sainte-Mère-Église font peau neuve. Les directeurs des deux établissements reviennent sur les projets de transformation qui sont à l’œuvre.
Dès 1945, les conseils municipaux des communes du débarquement se réunissent pour coordonner la reconstruction d’après-guerre. Ils proposent d’organiser des anniversaires, des cérémonies, et présentent au préfet de Normandie des plans d’aménagement, ainsi que la construction de "monuments signaux". C’est dans ce contexte que deux associations décident de construire, à Arromanches (Calvados) et à Sainte-Mère-Église (Manche), des musées mémoriaux.
Face à des problématiques communes, que sont la faible capacité d’accueil des bâtiments au regard de la fréquentation (30 millions de visiteurs pour les deux musées depuis leur ouverture), l’évolution des normes liées à la conservation des collections et la nécessaire amélioration des muséographies et scénographies, le musée du débarquement d’Arromanches et l’Airborne Museum de Sainte-Mère-Église ont lancé un vaste programme de restructuration.
Arromanches, un musée de site
Le musée d’Arromanches jouit d’une situation exceptionnelle au coeur du circuit des plages du débarquement et face aux vestiges d’un extraordinaire défi technologique.
L’échec du raid anglo-canadien sur Dieppe en 1942 conduit les Alliés à penser qu’aucun port, élément pourtant essentiel pour l’approvisionnement des troupes débarquées, ne pourra être pris à l’ennemi. Winston Churchill a alors l’idée de construire des ports préfabriqués en Angleterre, tractés à travers la Manche et installés en Normandie, c’est l’opération Mulberry. Un port sera installé en secteur de débarquement américain à Saint-Laurent-sur-Mer (Mulberry A) et un second à Arromanches (Mulberry B). Narrer l’histoire de ce Mulberry B est la raison d’être du musée d’Arromanches. Inauguré en 1954, l’établissement fermera ses portes définitivement le 2 novembre 2022 pour laisser place à une nouvelle structure.
Débutera alors une course contre la montre pour transférer les collections, les socler et être prêt à accueillir les visiteurs en mars 2023 dans un nouvel écrin. Le bâtiment destiné à recevoir ces collections est, à l’instar du Mulberry B, entièrement en béton brut préfabriqué en usine et monté sur place. L’ensemble de trois niveaux sera vitré toute hauteur et un toit terrasse viendra le couvrir.
Nouvel établissement signifie également nouvelle approche muséographique. Sur une surface d’exposition doublée, la collection se déploiera de façon plus conforme aux standards d’aujourd’hui. Un juste équilibre entre muséographie traditionnelle et multimédia sera mis en place. Le coeur de métier de cet établissement, qui est d’expliquer l’histoire des ports artificiels, sera réaffirmé et replacé dans le contexte du débarquement en Normandie. Composé de huit espaces, le parcours muséographique se terminera par une projection monumentale en réalité virtuelle superposée aux vestiges de Mulberry B, puis un accès au toit terrasse surplombant ces mêmes vestiges.
L’année 2023 verra l’adjonction d’une seconde tranche de bâtiment en lieu et place du musée actuel. Celle-ci sera consacrée à l’administration ainsi qu'aux réserves, qui respecteront les normes de conservation (température, hygrométrie, éclairage, etc.). Parallèlement, deux espaces extérieurs seront créés. À l’est, un jardin dit "des pins", à vocation de déambulation et d’exposition temporaire extérieure, et, à l’ouest, une esplanade mémorielle desservant l’entrée du musée. Le coût de cette refonte s'élève à 10 millions d'euros.
Vue extérieure de l’Airborne Museum. © Airborne Museum/PY Lemeur
Airborne Museum, un musée protéiforme
L’Airborne Museum a ouvert ses portes le 6 juin 1964 avec un seul bâtiment en forme de parachute (410 m² de plainpied). La pièce maitresse de ce lieu est un planeur Waco datant de 1943. Puis une seconde construction s’est adjointe en 1983 (700 m² de plain-pied). Elle abrite notamment un avion américain C-47. En 2014, le musée s’est élargi avec un bâtiment de 1 200 m² (opération Neptune) qui présente une scénographie très immersive avec usages du son, de la lumière, et approche au plus près des collections. Enfin, en 2016, un centre de conférences a ouvert avec une salle de cinéma (120 places) et une salle d’expositions temporaires (100 m²).
Après la phase d’extension, le musée a souhaité rénover ses deux bâtiments les plus anciens mais également engager une réflexion sur sa muséographie. En effet, du fait de l’histoire du site de mémoire, il était nécessaire de se questionner sur son identité ainsi que sur le discours et la chronologie proposés.
L’Airborne Museum a des marqueurs identitaires très forts :
- un "musée-parc", avec ses pavillons thématiques ;
- un "musée d’histoire(s)", avec une mise en récit et la valorisation de points de vue incarnés ;
- un dispositif mémoriel assumé, qui évolue de la collecte/collectionnite vers une présentation muséale raisonnée.
Dans un musée, les objets sont importants mais il faut les enrichir d’un appareillage didactique. Le musée a augmenté sa part de médiation en démultipliant les supports de contenus qui, jusqu’à présent, se limitaient à des panneaux de textes et à des regroupements de photos anciennes. Cette réorganisation des contenus et des collections s’accompagne d’un renouvellement et d’une modernisation de la scénographie. Elle intègre désormais des dispositifs multimédias et laisse une place de choix à l’image. De façon générale, l’ambition est de contextualiser les objets de collection et de les rendre dynamiques au travers de mises en scène moins figées. Cette volonté passe également par l’apport de témoignages, d’images fixes et animées, en jouant sur les sens, notamment par de la manipulation. Il s’agit enfin de tirer profit des nouvelles technologies pour restituer des ambiances et transmettre une émotion afin de maintenir l’intérêt des visiteurs tout au long du parcours.
Dans cet esprit, le bâtiment C-47 a été rénové et a rouvert en octobre 2021. Pour le bâtiment Waco, le projet a évolué. En effet, le bâtiment originel est conservé pour abriter une exposition permanente ayant pour thème "Sainte-Mère-Église sous l’Occupation", tandis qu’un nouveau bâtiment (1 000 m²) abritant le planeur sera dédié à celui-ci. Cette dernière phase sera inaugurée le 6 juin 2024. Le coût de ces rénovations est de 8,7 millions d’euros.
De la mémoire à l’histoire
Les deux établissements, forts d’une fréquentation en croissance constante, se doivent d’être au rendez-vous du 80e anniversaire du débarquement et de la bataille de Normandie qui aura lieu dans deux ans. En effet, dans la perspective de la disparition des témoins directs de ces événements, ces musées, dont le discours reposait essentiellement sur la célébration de la victoire des Alliés, entament une mue profonde dans le but de passer de la mémoire à l’Histoire. Ils deviennent de facto des lieux privilégiés de transmission vers les jeunes générations, et ce avec le soutien financier de la direction de la mémoire, de la culture et des archives du ministère des Armées.
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