Le tourisme de mémoire dans les Hauts-de-France

Lors du centenaire de la Première Guerre mondiale, les Hauts-de-France ont accueilli des temps commémoratifs majeurs, au cours desquels la France et de nombreux pays européens et du Commonwealth ont rendu un hommage vibrant à leurs soldats tombés lors de la Grande Guerre.

Dans les cinq départements qui composent la région, le Centenaire a été l’occasion d’un formidable coup de projecteur sur les initiatives prises en accompagnement des cérémonies. Car si le patrimoine de mémoire reste le révélateur des ravages causés par les deux conflits mondiaux dans la région, il convient de souligner la conviction et l’implication volontariste des collectivités territoriales des Hauts-de-France et de certains gouvernements étrangers pour que cette histoire subie devienne un vecteur de développement culturel et touristique.

Il en ressort une dynamique forte entretenue depuis les années 1990, qui apporte la double preuve de l’incroyable vitalité de cette mémoire des conflits mondiaux partagée avec de nombreux pays et celle de la capacité de rebond permanente des Hauts-de-France face aux multiples épreuves traversées tout au long du 20e siècle.

Un carrefour mémoriel international

Après le premier conflit mondial, d’Ypres en Belgique jusqu’à la Somme, les nations de l’Empire britannique confient à la Commonwealth War Graves Commission le soin de pérenniser les cimetières militaires qui jalonnent l’ancien champ de bataille et d’ériger des mémoriaux pour tous les soldats qui n’auraient pas de tombe connue.

En même temps que la Couronne leur accorde une autonomie accrue, les dominions de l’Empire britannique forgent leur récit national propre autour de sites 14-18, emblématiques témoins de leurs hauts faits d’armes : le Canada sur la Crête de Vimy dans le Pas-de-Calais ; la Nouvelle-Zélande au Quesnoy dans le Nord ; l’Afrique du Sud à Longueval et l’Australie à Villers-Bretonneux près d’Amiens dans la Somme. Dans ce même département, le mémorial de Thiepval devient le lieu central de la mémoire britannique, en hommage à tous les soldats portés disparus lors de la bataille de la Somme de 1916.

Les Hauts-de-France connaissent ainsi de longue date l’implication forte du Canada et de l’Australie. Sur les deux sites majeurs de Vimy (Pas-de-Calais) et Beaumont-Hamel (Somme), le gouvernement canadien entretient un programme mémoriel de grande qualité qui mêle préservation de secteurs du champ de bataille, accueil physique sur site et médiation par des jeunes étudiants-guides canadiens volontaires. L’Australie a par ailleurs développé l’Australian Remembrance Trail along the Western Front au départ du Centre d’interprétation Sir John Monash et de son mémorial national de Villers-Bretonneux (Somme) où se tient une prenante cérémonie chaque 25 avril à l’aube à l’occasion de l’ANZAC Day.

De son côté, la France fait le choix de créer de vastes nécropoles nationales au sein desquelles sont regroupés les corps de ses soldats tombés dans un même secteur du Front. Ces sites, propriétés de l’État, sont placés sous la responsabilité du ministère des armées, qui en assure la préservation et la valorisation, par l’intermédiaire de l’un de ses opérateurs pour ces questions, l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre. Avec Verdun dans la Meuse, le pays accorde dans sa mémoire une place particulière au secteur du Chemin des Dames dans l’Aisne, où d’éprouvants combats se sont déroulés en 1917 au point d’amener certains soldats à exprimer leur refus de monter au feu.

Les Hauts-de-France voient également l’action conduite par le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge pour l’entretien des cimetières militaires allemands sur les anciens champs de bataille et dans les territoires ayant subi l’occupation, ainsi que celle de l’American Battle Monuments Commission pour les cimetières américains de l’Aisne où reposent nombre de Sammies qui ont combattu aux côtés de l’armée française en 1917 et 1918.

Les connexions mémorielles qui lient les Hauts-de-France avec ces différentes nations participent au rayonnement international et d’attractivité touristique de la région. Aussi, l’accueil des visiteurs venant se recueillir sur la tombe d’un des leurs ou découvrir une page majeure de leur histoire nationale est de longue date un domaine d’intervention des collectivités territoriales.

Une stratégie touristique innovante portée par les acteurs locaux

Dès la fin des années 1980, la Somme et l’Aisne adoptent une stratégie innovante invitant à l’itinérance au départ d’un lieu de compréhension global.

Dans la Somme, l’Historial-Musée de la Grande Guerre à Péronne créé en 1992 est positionné comme le point de départ d’un circuit du Souvenir balisé qui révèle notamment les lieux de mémoire de la bataille de la Somme de 1916, repère mémorial majeur des nations du Commonwealth pour avoir été la plus grande offensive conduite par l’armée britannique au cours de la Première Guerre mondiale.

Dans l’Aisne, le Conseil départemental pilote l’évolution de la Caverne du Dragon pour en faire le lieu de compréhension de l’espace historique du Chemin des Dames, théâtre des combats déclenchés le 16 avril 1917 par les forces françaises. Cette offensive se solde par un échec dont les soldats français ressortent meurtris, au point de refuser de poursuivre les combats comme l’exprime la fameuse Chanson de Craonne.

À l’issue du 90e anniversaire de l’Armistice de 1918, le Nord-Pas-de-Calais développe à son tour quatre "Chemins de mémoire de la Grande Guerre en Nord-Pas-de-Calais". À côté d’un itinéraire longeant l’ancienne ligne de front où se sont déroulées de multiples batailles (notamment les batailles d’Artois en 1914 et 1915, la bataille de Fromelles en 1916, la bataille d’Arras et la bataille de Cambrai en 1917, la bataille de la Lys en 1918), trois chemins complémentaires viennent éclairer des aspects méconnus du conflit : la guerre de mouvement et la première occupation allemande, l’organisation des armées alliées le long du Littoral de la Manche et de la Mer du Nord, et enfin les exemples de la Reconstruction au lendemain de la guerre.

Alors que les derniers Poilus disparaissaient dans une Europe occidentale unie et pacifiée, les commémorations liées au Centenaire ont trouvé une résonance citoyenne forte, invitant chacun à se pencher sur cette page marquante de l’histoire européenne et mondiale. Se rassembler pour mesurer l’impact du conflit et rendre hommage à ceux qui en ont été les victimes, c’est le sens de l’Anneau de la mémoire érigé par le Conseil régional Nord-Pas-de-Calais face à la Nécropole nationale de Notre-Dame de Lorette dans le Pas-de-Calais. Inaugurée en 2014, cette oeuvre rend ainsi hommage aux 580 000 soldats tombés dans le Nord et le Pas-de-Calais durant le premier conflit mondial, en classant leurs noms par simple ordre alphabétique, sans distinction de nationalité, de grade ou de religion.

La perspective du centenaire de la Première Guerre mondiale a également suscité la mise en valeur du patrimoine de mémoire du département de l’Oise autour du "Musée de territoire 14-18" et de l’itinéraire "Ligne Rouge". Le territoire de l’Oise abrite la Clairière de l’Armistice à Compiègne, véritable épicentre de l’histoire contemporaine française, où seront signés deux armistices : celui du 11 novembre 1918 qui consacra la victoire de la France et celui du 21 juin 1940 qui marque la défaite du pays face aux troupes nazies à l’issue de la bataille de France.

De plus, les professionnels du tourisme (hébergeurs, restaurateurs, guides, lieux de visite et offices de tourisme…) ont formé des réseaux d’établissements engagés à parfaire leurs connaissances sur les attentes et les repères mémoriels de leurs clientèles afin de mieux les accueillir. Cette dynamique lancée par Somme Tourisme avec les "Somme Battlefields Partners" a inspiré la création d’autres réseaux accueillants dans le Nord-Pas-de-Calais avec les "Northern France Battlefields Partners" et "les Passeurs de mémoire" dans l’Aisne.

Toutefois, même si l’attention s’est beaucoup portée sur les sites témoins de la Première Guerre mondiale à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre, le patrimoine mémoriel des Hauts-de-France compte également plusieurs sites emblématiques de l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale devenus des lieux majeurs de visite pour la destination régionale.

La Coupole d’Helfaut, Centre d’histoire et planétarium 3D. © La Coupole

Commémorer la Seconde Guerre mondiale

Pour les Hauts-de-France, l’année 2020 est l’occasion de remettre en avant différents lieux mémoriels et structures d’interprétation dans le cadre du 80e anniversaire de la Bataille de France et du 75e anniversaire de la libération des camps de concentration et d’extermination nazis.

Trois pôles mémoriels d’envergure nationale et internationale donnent un éclairage singulier sur l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale :

• Dans le Nord, le Musée Dunkerque 1940 – Opération Dynamo et le Fort des Dunes de Leffrinckoucke évoquent l’histoire de la bataille de Dunkerque qui scelle la déroute des forces françaises et britanniques lors de la Campagne de France en mai-juin 1940, ainsi que celle de l’Opération Dynamo qui permet le repli de 340 000 soldats vers l’Angleterre.

• Du fait de sa proximité avec l’Angleterre, le Pas-de-Calais devient un secteur stratégique majeur pour l'Allemagne nazie : ancien site de lancement des fusées V2, l’impressionnante Coupole d’Helfaut près de Saint-Omer raconte l’histoire particulière de l’occupation du Nord et du Pas-de-Calais et celle des avancées scientifiques nazies qui permettront les programmes de conquêtes spatiales après la guerre.

• À Compiègne dans l’Oise, non loin de la Clairière de l’Armistice, le camp militaire de Royallieu est transformé par l’occupant allemand en camp de détention et camp de transit pour des résistants, internés politiques, civils et Juifs en partance vers les camps de la mort. Le Camp est aujourd’hui devenu Mémorial de l’Internement et de la Déportation.

Plusieurs autres musées et lieux de mémoire viennent apporter des éclairages complémentaires sur la dureté de l’occupation en Nord-Pas-de-Calais (sous administration allemande) et en Picardie (demeurée sous administration française), l’essor des mouvements de résistance, mais aussi les déportations, actes de répression et exactions commises par l’occupant : le Musée de la Résistance et de la Déportation de Picardie à Vassogne dans l’Aisne, le Fort de Bondues, le Mémorial du Massacre d’Ascq et le Mémorial du Train de Loos dans la métropole lilloise ou encore le Mur des Fusillés de la Citadelle d’Arras.

De plus, l’année 2020 marque les 130 ans de la naissance du général de Gaulle, les 80 ans de son célèbre appel du 18 juin 1940 et les 50 ans de sa disparition. Pour l’occasion, le département du Nord achèvera la requalification de la Maison natale du général à Lille, alors que la région Hauts-de-France coordonnera une programmation culturelle riche "Année de Gaulle Hauts-de-France 2020".

Au moment de leur création en 2015 par la fusion du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie, les Hauts-de-France ont ainsi regroupé des territoires ayant déjà révélé les lieux de mémoire emblématiques pour la compréhension des deux conflits mondiaux dans la région.

Alors que la fin du cycle du centenaire de la Grande Guerre a fait définitivement basculer la découverte des sites 14-18 dans un tourisme d’histoire, la région Hauts-de-France s’est engagée à travailler à cet "après" : en coopération avec les acteurs de la mémoire et du tourisme, l’émergence d’une offre de visite cohérente à l’échelle des Hauts-de-France, appuyée par des propositions de visite et de médiation innovantes et adaptées aux attentes des visiteurs, sera la meilleure clé pour maintenir la renommée et l’attractivité des lieux de mémoire pour l’avenir.

La restauration des mosaïques de la basilique de Notre-Dame de Lorette

Intérieur de la basilique de Notre-Dame de Lorette. © Guillaume Pichard

Au coeur de la plus grande nécropole française, élevée au rang de haut lieu de la mémoire nationale en 2014 et dans laquelle reposent plus de 42 000 soldats français morts sur le front de l’Artois et des Flandres, se dresse une basilique de type romano-byzantin, inaugurée le 2 août 1925. Conçue par l’architecte Louis-Marie Cordonnier, elle possède des vitraux et des mosaïques remarquables.

Dans le cadre de sa politique de conservation du patrimoine mémoriel, le ministère des armées a achevé en 2019 la restauration des mosaïques qui avaient souffert du temps, révélant ainsi un site unique d’une grande richesse.

Le réseau Mem’Histo

Plaquette de présentation. © Réseau Mem'Histo

Afin de promouvoir la richesse et la diversité des musées d’histoire et de mémoires contemporaines des Hauts-de-France, 14 structures se sont rassemblées sous la bannière commune du réseau Mem’Histo.

Ces musées porteurs de la mémoire ouvrière et industrielle, mais aussi de celles de la Première et de la Seconde Guerre mondiales, peuvent se visiter virtuellement via une plateforme digitale interactive. Le dispositif, consultable en quatre langues, est disponible à l’adresse suivante : www.memhisto.com.

L’innovation numérique

Dispositif "1917 Bullecourt 360°". © David Quérin

Le numérique est un levier majeur utilisé pour faciliter la compréhension des lieux et de l’histoire du territoire. Le ministère des Armées a ainsi soutenu, dans le cadre des deux appels à projets nationaux "Services numériques innovants et tourisme de mémoire en France", trois projets issus des Hauts-de-France, dont la technologie immersive "1917 Bullecourt 360°" développée au musée Jean et Denise Letaille-Bullecourt 1917. Par ailleurs, le mémorial 14-18 de Notre-Dame de Lorette et le Louvre Lens Vallée accueilleront en 2021 un séminaire professionnel du réseau des musées et mémoriaux des conflits contemporains consacré à l’innovation numérique.