Le tourisme de mémoire, un enjeu national
Sommaire
En résumé
DATE : 26 novembre 2015
LIEU : École militaire, Paris
ISSUE : Troisième édition des Rencontres du tourisme de mémoire
ORGANISATION : ministère de la Défense et ministère chargé du Tourisme
PRÉSIDENTS : Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire
Matthias Fekl, secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger
Le tourisme de mémoire constitue un enjeu majeur pour l’État et particulièrement pour le ministère de la défense : un enjeu civique et pédagogique pour la transmission du patrimoine mémoriel aux jeunes générations, un enjeu culturel et touristique aussi, pour la préservation des témoignages de l’histoire et le développement des territoires.
Sépultures de guerre, hauts lieux de la mémoire nationale, musées nationaux, musées de tradition et autres sites mémoriels…, en France comme à l’étranger, le ministère de la défense dispose d’un patrimoine historique et mémoriel d’une richesse extraordinaire, qu’il est impératif d’entretenir, de rénover, de mettre en valeur. C’est donc tout naturellement que le ministère de la défense, qui est le deuxième opérateur culturel de l'État, est devenu un partenaire pour les territoires qui œuvrent en faveur du tourisme de mémoire.
LES HAUTS LIEUX : LA MÉMOIRE DES CONFLITS CONTEMPORAINS
Lieux de souvenir et de recueillement, les neuf hauts lieux de la mémoire nationale sont le théâtre des cérémonies commémoratives nationales. En rendant hommage à la mémoire et au sacrifice des combattants, ils participent aussi à l’éducation à la citoyenneté des jeunes, en transmettant les valeurs de la République. Ces hauts lieux évoquent chacun un aspect de la mémoire des conflits contemporains. Parmi eux, on retrouve les deux plus emblématiques cimetières militaires de France : les nécropoles nationales de Notre-Dame de Lorette, dans le Pas-de-Calais, et de Douaumont avec la Tranchée des Baïonnettes, dans la Meuse, rappellent le sacrifice des soldats tombés pendant la Grande Guerre. Cinq autres hauts lieux sont consacrés à la Seconde Guerre mondiale : le Mémorial de la France combattante au Mont-Valérien à Suresnes (Hauts-de-Seine), le Mémorial national de la prison de Montluc à Lyon, le Mémorial des martyrs de la Déportation, situé sur l’Île de la Cité à Paris, le site de l’ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof en Alsace et le Mémorial du débarquement et de la libération en Provence, au Mont-Faron à Toulon. Pour la période de la décolonisation, deux hauts lieux rendent hommage aux combattants des conflits coloniaux : le Mémorial des guerres en Indochine, à Fréjus, et le Mémorial de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie, sur le quai Branly à Paris.
Chaque année, les hauts lieux attirent près de trois cent mille visiteurs. La hausse de la fréquentation, l’adaptation de l’offre aux nouvelles attentes du public, l’absolue nécessité de transmettre la mémoire aux jeunes générations ont conduit la DMPA à entreprendre, depuis plusieurs années, un important programme de travaux dans ces sites mémoriels. Il a débuté avec la création du Centre européen du résistant déporté (CERD) au Struthof, livré en 2005. De même, au Mémorial de Fréjus, la salle pédagogique rénovée a ouvert au public en 2010. Une exposition permanente et un centre de documentation ont été aménagés au Mont-Valérien. Depuis, ce programme se poursuit avec notamment les rénovations du Mémorial des martyrs de la Déportation et du Mémorial du Mont-Faron.
LE RICHE PATRIMOINE CULTUREL ET HISTORIQUE DE LA DÉFENSE
Trois musées nationaux sont rattachés au ministère de la défense : le musée de l’Armée aux Invalides, le musée de l’Air et de l’Espace au Bourget, le musée national de la Marine au Trocadéro et ses quatre annexes portuaires de Brest, Port-Louis, Rochefort et Toulon. Ces trois établissements publics, qui bénéficient de l’appellation "musée de France", accueillent plus de deux millions de visiteurs par an.
Le ministère détient également 17 autres musées répartis sur tout le territoire. 16 musées d’armes qui illustrent l’histoire, les traditions, les métiers et les techniques des différentes armes et services composant l’armée de Terre (artillerie, arme blindée, cavalerie, troupes de marine, Légion étrangère, parachutistes, génie, transmissions, matériel, train et équipages, troupes de montagne, aviation légère de l’armée de Terre…) et le musée du Service de santé des armées.
Par ailleurs, de nombreux édifices prestigieux protégés au titre des Monuments historiques sont propriété de l’État et confiés au ministère de la défense : l’Hôtel national des Invalides, l’École militaire, le château de Vincennes ou encore les citadelles de Vauban. Attachés à la sauvegarde et à la mise en valeur de ce patrimoine exceptionnel, les ministères de la défense et de la culture ont signé, depuis 35 ans déjà, un protocole de financement annuel des projets de restauration de monuments programmés sur l’ensemble du territoire national.
PRENDRE SOIN DES SÉPULTURES DES SOLDATS TOMBÉS POUR LA FRANCE
Près de 900 000 corps reposent dans 266 nécropoles nationales, 2 200 carrés militaires communaux et sept cimetières militaires étrangers en métropole. Un millier de lieux de sépultures sont aussi présents dans 80 pays où reposent 230 000 soldats français. Un programme pluriannuel (2011-2018) a été établi pour la restauration prioritaire des cimetières de la Première Guerre mondiale. Il prévoit la rénovation, en métropole, de plus de quarante nécropoles nationales et divers carrés communaux, ce qui représente près de 100000 tombes et 66 ossuaires, sans compter des travaux dans des sites à l’étranger, notamment en Belgique et sur l’ancien front d’Orient. Un programme de remplacement des panneaux d’information historique, implantés dans ces nécropoles et dans les principaux carrés militaires communaux, a également été lancé en 2014. Enfin, une charte paysagère, élaborée en 2015, établit les principes généraux d'aménagement et de mise en valeur des sites afin de permettre aux visiteurs de se recueillir dans de bonnes conditions, mais aussi d’apprendre et de comprendre l’histoire du lieu et des soldats qui y reposent.
Nécropole nationale de Metz Chambière, Moselle. © ECPAD/J. Lempin
ACCOMPAGNER LES PROJETS AU PLUS PRÈS DES TERRITOIRES
S’il est un acteur majeur du tourisme de mémoire, le ministère de la défense s’en fait aussi le promoteur en encourageant le développement de partenariats locaux pour améliorer ou réhabiliter les sites. Le ministère apporte son soutien aux collectivités et aux associations porteuses de projets mémoriels cohérents et de qualité. D’ores et déjà une vingtaine de projets ont été soutenus sur l’ensemble du territoire. Ainsi, le ministère a participé à la mise en valeur du Hartmannswillerkopf (Haut-Rhin) avec la rénovation de la crypte, du monument-ossuaire et la construction d'un historial franco-allemand, inauguré fin 2015.
De même, les actions conduites par le conseil départemental de la Meuse sont soutenues depuis six ans : réhabilitation du Centre mondial de la Paix à Verdun, restauration de l’ossuaire de Douaumont, travaux sur les forts de Vaux et de Douaumont, et rénovation du Mémorial de Verdun qui vient de rouvrir au public. Le ministère de la défense est également engagé aux côtés du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais dans un ambitieux projet de valorisation et de développement touristique de sites mémoriels, comme l’anneau de la mémoire et le Centre d’histoire Guerre et Paix à Souchez, à proximité de la nécropole nationale de Notre-Dame de Lorette.
Dans la Somme, le ministère participe à la refonte de la muséographie de l'Historial de la Grande Guerre à Péronne et au Centre d'interprétation de Thiepval. La création du Mémorial du camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), inauguré en octobre 2015 par le Premier ministre, la réhabilitation de l’ancienne gare de Bobigny (Seine-Saint-Denis) ou la mise en place d’un chemin de mémoire consacré à la Résistance en Morvan (Nièvre) ont aussi fait l’objet d’un soutien financier.
Le ministère de la défense accompagne également les lieux de mémoire dans leur programme de valorisation, en finançant des actions culturelles (expositions temporaires, publications…), des projets pédagogiques ou encore des outils touristiques comme des parcours de mémoire. Des conventions de partenariat sont passées dans ce sens avec divers sites comme l’Historial de Péronne, le Mémorial du Camp des Milles (Aix-en-Provence) ou le Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement dans le Loiret et la déportation juive (CERCIL).
En raison de l’intérêt que portent de nombreux pays à la mémoire des conflits contemporains, la politique de mémoire de l’État sort des frontières de la France pour prendre une dimension internationale : des monuments en hommage aux pays engagés dans les deux guerres mondiales sont rénovés ou créés. Ainsi, un monument français sera édifié au sein du Memorial Park de Wellington, en Nouvelle-Zélande. La France rend aussi hommage à ses alliés et plusieurs projets, comme la rénovation du Mémorial de l’escadrille La Fayette à Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine) ou la construction d’un monument canadien à Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais) devraient attirer les touristes étrangers en France.
STRUCTURER LE SECTEUR : LE RÔLE DU MINISTÈRE ET LA CONSTITUTION D’UN RÉSEAU
La France dispose donc d’une offre aussi précieuse qu’impressionnante en matière de tourisme de mémoire. Pour fédérer les sites mémoriels et les partenaires du tourisme de mémoire, le ministère de la défense a créé le réseau des musées et mémoriaux des conflits contemporains (MMCC). Ce réseau professionnel favorise les synergies entre ses membres, coordonne leurs initiatives et facilite leur insertion, tant dans le cadre de la politique de mémoire portée par l'État que dans celle menée localement pour promouvoir les équipements touristiques.
De plus, le ministère de la défense et le ministère en charge du tourisme ont signé une convention de partenariat en 2004 pour structurer le tourisme de mémoire. L’objectif est de faire émerger une offre d’excellence à visibilité internationale, au-delà des commémorations liées aux deux guerres mondiales. La première action consiste à mesurer la fréquentation et le poids économique de ce secteur touristique. En 2010-2011, la première étude nationale consacrée au tourisme de mémoire a été réalisée. Elle a révélé que les sites historiques relatifs aux conflits contemporains ont attiré plus de six millions de personnes en 2010 et produit près de 45 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Pour suivre l’évolution de ce véritable engouement, une plateforme d'observation, développée en partenariat avec le ministère chargé du tourisme et son opérateur "Atout France", a été mise en ligne en 2015. Cet outil permet de mesurer l'évolution du secteur, les grandes tendances et l'impact des grandes commémorations. Ainsi, la fréquentation des sites mémoriels est en augmentation constante : en 2014, le nombre de visiteurs s'élevait à 14 millions, soit une augmentation de 42% par rapport à l’année précédente.
Par exemple, le site du Struthof a accueilli 172 745 visiteurs en 2014 (+ 5% par rapport à 2013). L’ossuaire de Douaumont a compté 419000 visiteurs la même année (+ 72% par rapport à 2013).
La deuxième action vise à mettre en place un label "Qualité TourismeTM" spécifique aux lieux de mémoire. Cette démarche s’appuie sur la marque nationale "Qualité TourismeTM", portée par le ministère chargé du tourisme. L’objectif est d’améliorer l'accueil dans les établissements recevant du public. Une autre action consiste à participer aux contrats de destination "Grande Guerre" et "Tourisme de mémoire en Normandie". L’État est ainsi partenaire de ces deux contrats, avec "Atout France" et les collectivités territoriales concernées. Ces projets assurent aussi la promotion des deux destinations à l’étranger, visent à développer la professionnalisation des territoires en matière de tourisme de mémoire, en particulier autour de l’accueil.
La dernière action doit permettre de développer des outils de médiation innovants. Les deux ministères encouragent l’utilisation des nouvelles technologies afin de faciliter la compréhension de l’histoire et d’accompagner le cheminement des visiteurs dans les lieux de mémoire. Ils ont participé, en 2015, à un appel à projets numériques au profit du contrat de destination Normandie. De son côté, le ministère de la défense subventionne des projets autour des technologies numériques qui mettent en avant la mise en valeur des lieux de mémoire. L’an dernier, il a financé notamment un circuit de mémoire sur la "Bataille d’Abbeville" dans la Somme.
Formidable outil d’animation, le réseau des musées et mémoriaux des conflits contemporains regroupe aujourd’hui plus de 90 membres répartis sur l’ensemble du territoire. Depuis quelques mois, il s’ouvre aux sites étrangers qui souhaitent le rejoindre, comme le musée "In Flanders Fields" à Ypres en Belgique.
La prison de Montluc à Lyon, haut lieu de la mémoire nationale
Visiteurs devant le mur des fusillés à la prison de Montluc à Lyon, Rhône. © ECPAD/A. Karaghezian
Comme Jean Moulin et les enfants d’Izieu, près de 10 000 personnes ont été internées dans la prison de Montluc durant l’Occupation allemande. Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo de Lyon, y sera emprisonné symboliquement en 1983, avant le procès qui le condamna en 1987 à la réclusion à vie pour crime contre l’humanité.
Devenu mémorial, ce lieu rend hommage aux résistants, Juifs et otages qui transitèrent par Montluc, avant d’être déportés, exécutés ou exterminés.
Le site, géré par l’ONAC-VG, propose plusieurs activités, notamment une exposition permanente sur l’histoire de la prison de Montluc, des visites guidées et des ateliers pour les scolaires, mais aussi plusieurs commémorations liées aux différentes mémoires du site.
Le monument des fraternisations, Neuville-Saint-Vaast
Inauguration du monument par le président de la République. © Présidence de la République
Pendant la Première Guerre mondiale, des fraternisations entre les soldats français, britanniques et allemands ont eu lieu sur le front, de la Belgique à la frontière suisse. À l’initiative du réalisateur Christian Carion et de l’association "Noël 14", la Communauté urbaine d’Arras a souhaité ériger un monument à Neuville-Saint-Vaast, à proximité des cimetières militaires français, tchécoslovaque, allemand et britannique, et des sites incontournables du tourisme de mémoire du Nord-Pas-de-Calais.
L’ouvrage réalisé par Gérard Collin-Thiebaut et le paysagiste Sensomoto a été inauguré le 17 décembre 2015 par le président de la République. Le ministère de la défense a participé à ce projet.
Le tourisme de mémoire en Belgique, l'action du ministère de la défense
Nécropole de Maissin, Belgique. © SGA-DMPA/G. Pichard
114 cimetières regroupent les corps de 34 556 soldats français tués au cours des deux guerres mondiales. Le Consulat général de France à Bruxelles, opérateur de la DMPA pour l'entretien, la rénovation et la mise en valeur des cimetières militaires français, s'attache à préserver la mémoire de ces soldats : il effectue les travaux de remise en état, de valorisation (mise en œuvre d’une charte paysagère) et participe aux nombreuses commémorations.
Dans le cadre du développement du tourisme de mémoire, le Consulat a soutenu le principal musée de la Grande Guerre en Belgique, "In Flanders Fields", à Ypres. Une base de données regroupant les noms et les lieux d’inhumation des soldats morts sur le sol belge en 14-18 sera bientôt accessible. En 2016, "In Flanders Fields" intègrera le réseau des musées et mémoriaux des conflits contemporains animé par le ministère de la défense.
Auteur
Laure Bougon - Chef de la section tourisme de mémoire, DMPA
Articles de la revue
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L’évènement
Les rencontres du tourisme de mémoire 2015
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L’acteur
Se souvenir des déportés
Implanté à la pointe de l’Île de la Cité à Paris, derrière le chevet de la cathédrale Notre-Dame, le Mémorial des martyrs de la Déportation a bénéficié d’un vaste programme de restauration. Sa nouvelle muséographie sera inaugurée en avril 2016, à l’occasion de la Journée nationale du souvenir de la ...Lire la suite -
L’entretien
Christian Berger
Directeur de Nord-Pas-de-Calais Tourisme, Christian Berger assure la promotion des sites de mémoire de la région au niveau national et international. Hier, terre d’affrontements et de combats, le Nord-Pas-de-Calais est aujourd’hui une terre d’histoire, de patrimoine et de culture.
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