Selbstschutzpolizei : des collabos dans la police
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Par Thomas Fontaine - Historien, chercheur associé au Centre d’histoire du XXe siècle, Paris 1
Début janvier 1944, les Allemands portent au pouvoir, à Vichy, Joseph Darnand, le chef de la Milice, qui devient secrétaire général au maintien de l’ordre. Alors que le débarquement allié n’est plus qu’une question de temps, que Pétain n’a plus la confiance de l’occupant, l’heure est à la radicalisation avec cette nomination d’un "ultra" de la collaboration.
Une police supplétive composée d’ultras de la collaboration
Joseph Darnand, le nouvel homme fort, prend la main sur l’ensemble des forces de police : police nationale, gendarmerie, garde-mobile, groupes mobiles de réserve, Préfecture de police à Paris, sapeurs-pompiers, garde des communications, services pénitentiaires et polices spéciales. Des hommes de la Milice sont nommés à plusieurs postes clés de l’appareil répressif français.
Mais, parallèlement, les services allemands n’oublient pas le rôle armé que peuvent alors jouer des partis collaborationnistes qui, depuis plusieurs mois, ne cessent de demander de passer à l’action. Ainsi, alors même qu’ils confient à Darnand les rênes des polices françaises, les chefs des services policiers nazis à Paris entendent créer une nouvelle force paramilitaire sous commandement allemand : la Selbstschutzpolizei ("police d’autoprotection"), officiellement dirigée "contre le Bolchevisme", qui doit être composée de membres des partis collaborationnistes.
Dans ce but, le 9 novembre 1943, les chefs des principaux partis concernés (Rassemblement national populaire, Parti populaire français, Mouvement social révolutionnaire) avaient participé à Paris à une conférence avec les responsables des services policiers nazis. Comme le note le compte rendu, il s’agit de créer une "police supplétive en cas de débarquement", luttant contre les "terroristes" et assurant aussi des missions de surveillance et de protection des dépôts de ravitaillement. Côté allemand, on s’attend à un autre succès : "ces hommes peuvent servir d’activistes […] sur leurs lieux de travail. On espère aussi favoriser de cette manière une prise de conscience politique parmi les collaborateurs". Le chef de la SIPO-SD à Paris (Sicherheitspolizei und Sicherheitsdienst, police de sûreté d’État et services de sécurité du parti nazi) se chargera de l’instruction "politique" et de la recherche de renseignements, alors que celui de la police d’ordre allemande s’occupera de la formation "technique" et de la logistique - dont des armes automatiques jusque-là refusées à la police française. Le 13 novembre, l’idée est validée lors d’une conférence dans les bureaux de Karl Oberg, le chef des services policiers nazis en France occupée. Le 24 novembre, le Commandement militaire allemand à Paris donne son accord et met à disposition le Château de Vaucelles à Taverny, au nord-ouest de Paris, pour l’instruction des nouvelles recrues.
Le texte de Karl Oberg officialisant cette Selbstschutzpolizei n’est finalement daté que du 12 février 1944 (voir diaporama). Il indique qu’il s’agit de permettre "aux membres des partis français autorisés en zone occupée et à des ressortissants français qui [ne sont] pas liés à un parti [d’] intervenir pour le calme et l’ordre aux côtés des polices allemande et française et [d’] être engagés à des missions spéciales dans le cas de troubles intérieurs ou d’une attaque contre la France".
Une force limitée mais néfaste
L’engagement dans la Selbstschutz est différent de celui dans la Milice. Ses membres sont nommés par les services policiers nazis et sont dotés d’un Ausweis (voir diaporama). Mais, comme le constate fin mars 1944 un cadre policier nazi, malgré les bonnes volontés manifestées, "la valeur du potentiel humain reste moyenne. Les activistes convaincus sont en majorité, mais il demeure de nombreux opportunistes. Les inaptes et les incertains ont été éliminés au cours de l’instruction". De plus, tous les partis collaborationnistes n’ont pas envoyé d’hommes, d’abord parce qu’ils n’étaient pas capables de présenter des candidats sérieux. Aucun n’a servi de cadre lors de l’instruction : "les difficultés rencontrées au cours de la formation, de l’équipement et de l’armement étaient et sont très grandes" conclut le responsable allemand.
Aussi, s’il était d’abord prévu de former à Taverny 150 personnes affectées dans la capitale, ainsi que plusieurs groupes de 50 membres devant être envoyés dans différentes régions, les premières unités ne sont opérationnelles qu’à compter de mai 1944, dans les régions de Rennes, Toulouse, Dijon et Chaumont, avec à chaque fois, des équipes d’une quinzaine d’hommes seulement, dirigées par un officier allemand.
Mais ces unités ont opéré et ont porté des coups à la Résistance. Comme le montre un rapport policier allemand du 1er juin, celle qui arrive à Rennes le 9 mai est en action quatre jours plus tard et procède à une soixantaine d’arrestations contre des réfractaires au Service du travail obligatoire (voir diaporama). Le 16 mai, ce sont 14 "terroristes" qui sont cette fois appréhendés lors d’un combat qui tue un des membres de la Selbstchutz. Durant les jours qui suivent, l’unité est utilisée pour monter la garde et procéder à plusieurs contrôles routiers.
Au total, si le nombre et l’efficacité de ces membres des partis collaborationnistes peuvent sembler bien maigres, le symbole est fort : ils ont combattu volontairement en France pour l’Allemagne, alors même que la libération du pays avait commencé.
Thomas Fontaine - Historien, chercheur associé au Centre d’histoire du XXe siècle, Paris 1