Les Français dans la campagne d'Italie (1943-1944)
Sous-titre
Colonel (ER) Jacques Vernet, Docteur en histoire
«Le Garigliano est une grande victoire. La France le saura un jour. Elle comprendra» a déclaré Juin à ses officiers le soir de son départ d'Italie.
La campagne d'Italie fut dure et le coût humain élevé. Elle est de ces mémoires quelque peu «oubliées», alors que les soldats du Corps expéditionnaire français ont, selon les propres mots du général américain Clark, «ajouté un nouveau chapitre d'épopée à l'histoire de la France».
Goumiers d'un Tabor marocain montant en ligne. Photo DMPA
Les combats menés en Afrique, après la défaite de 1940, par tous les Français décidés à combattre pour la liberté sont plus gravés dans les mémoires que les batailles livrées lors de la campagne d'Italie. La victoire que fut la prise de Rome dans la nuit du 4 au 5 juin 1944 pâtit du retentissement du débarquement en Normandie, qui allait occulter la gloire des combattants d'Italie pendant de longues années, avant que ne soit donné, en 1966, le nom de «Pont du Garigliano», à l'ouvrage qui remplace sur la Seine le vieux viaduc d'Auteuil.
Pour les Français de métropole, l'année 1944 a été celle du Jour J et du début de la Libération et, dans leur euphorie, ils oubliaient que, depuis un an, l'Armée française se battait dans la péninsule. Pourtant, le Corps expéditionnaire français (CEF) fit preuve de ses qualités et ses chefs surent convaincre des Alliés sceptiques depuis la dramatique campagne de 1940.
Les combats se sont déroulés dans les pires conditions : cohésion encore vacillante, campagne d'hiver, guerre en montagne et ennemi rodé par quatre années de guerre. Ce contexte ne donne que plus de valeur à l'assaut du Belvédère (février 1944) ou à la percée des Monts Aurunci (mai 1944), mieux connue comme bataille du Garigliano, où le général Juin réussissait à faire traverser cette rivière à ses quatre divisions et à les pousser dans la montagne pour percer la Ligne Gustav et s'ouvrir la route de Rome. En ce soixantième anniversaire de ces actes héroïques et mal connus, sont évoquées ici les unités françaises engagées en Italie, le terrain et l'adversaire, ainsi que les opérations qui vont les mener à travers l'Italie Centrale, de Naples à Sienne en passant par Rome.
Libération de Rome. Défilé des troupes. Photo DMPA
Entrée des troupes françaises dans Rome libérée. Photo DMPA
La constitution du Corps expéditionnaire français
Le cadre du Plan d'Anfa, décidé par Roosevelt et Giraud en janvier 1943, cinq divisions d'infanterie sont progressivement mises sur pied à partir des unités de l'Armée d'Afrique - qui a déjà participé à la campagne de Tunisie -, des troupes coloniales venues d'Afrique Occidentale, et des Forces de la France Libre arrivant du Moyen Orient ou de l'Afrique Centrale après deux ans de guerre. Si les éléments de la 4ème Division Marocaine de Montagne (DMM) du général Sevez participent à la libération de la Corse (septembre - octobre 1943), la première grande unité engagée en tant que telle est la 2ème Division d'Infanterie Marocaine (DIM) du général Dody qui arrive à Naples fin novembre 1943 et rejoint le front au sein de la Vème Armée américaine du général M.W. Clark. Puis la 3ème Division d'Infanterie Algérienne (DIA) du général de Monsabert débarque fin décembre.
Après les durs combats d'hiver, elles sont rejointes fin février par la 4ème DMM et la 1ère Division de Marche d'Infanterie (DMI) du général Brosset, plus connue comme 1ère Division Française Libre (1ère DFL).
La dernière grande unité, la 9ème Division d'Infanterie Coloniale du général Magnan sera engagée, plus tard, dans la conquête de l'Ile d'Elbe.
Ces quatre divisions sont subordonnées au détachement d'Armée A, confié au général Alphonse Juin, qui transforme cette appellation en Corps expéditionnaire français (CEF) en Italie par souci de modestie et de discrétion.
Dans Sienne occupée par les troupes françaises, les généraux Clark, Juin et Alexander. Photo DMPA
Clark a décidé d'engager dans la montagne les unités françaises dont les soldats nord- africains sont aguerris à ce type de terrain. Fin 1943, le front allié s'aligne entre Gaète sur la Méditerranée et Pescara sur l'Adriatique, par une série de points hauts (Monts Aurunci, Monte Cairo, Monte Micetto, etc.), et le verrou de Monte Cassino qui commande la vallée du Liri vers Rome. Les monts Apennins sont un véritable imbroglio de chaînons tantôt parallèles, tantôt divergents, donnant une profondeur avantageuse pour la défense allemande. Celle-ci est confiée au maréchal Kesselring qui a sous ses ordres la valeur de dix divisions, dont la solide 1ère de Parachutistes. Il a l'avantage d'être en défensive, s'appuyant sur un réseau d'obstacles, de destructions et de champs de mines, formant les lignes Gustav (au contact) et Hitler (au sud de Rome). À peine débarquée, la 2ème DIM rejoint le 6ème Corps d'armée américain et est engagée, le 16 décembre 1943, contre le massif du Pantano puis contre le Monna Casale, enlevés par le 5ème Régiment de Tirailleurs Marocains (RTM), le 8ème RTM s'emparant, lui, de la Mainarde le 26 décembre.
Les pertes sont lourdes (300 tués au 5ème RTM), mais ce premier résultat rehausse l'image des Français auprès des Américains.
La route de Rome est ouverte
La 3ème DIA est alors engagée dans le secteur de Venafro, au nord de Cassino. Son 4ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens (RTT) s'empare du Belvédère et du Colle Abate dans des combats acharnés, prenant, et reprenant pitons et villages, entre le 25 janvier et le 1er février. Ses trois régiments ont chèrement payé leur victoire : 1 500 tués, dont son colonel, au 4ème RTT. L'adversaire, la 5ème Division de montagne allemande, s'est défendue avec fermeté. Cependant, l'absence de réserves empêche d'exploiter ce succès. Dès lors, les Allemands surveillent avec attention les secteurs où les Français sont signalés. Les deux divisions sont remises en condition et le CEF se complète avec les 1ère DMI et 4ème DMM, tandis qu'en février-mars 1944, les assauts obstinés de la Vème Armée américaine contre Monte Cassino restent vains.
Bataille du Bevédère devant la ville d'Acquafondata au nord-est du Monte Cassino. Photo DMPA
Dès janvier, le général Juin a compris que pour s'ouvrir la route de Rome, il faut, non pas attaquer de front, mais manouvrer et passer par une zone où l'ennemi n'imaginerait pas que l'attaque puisse se produire.
Tel est le cas des Monts Aurunci, au nord du Garigliano, où les Allemands n'ont pas un dispositif aussi serré et puissant que sur le Rapido. C'est donc là que, dans sa note à Clark du 4 avril 1944, Juin suggère que se fasse l'effort allié et que celui-ci soit confié au CEF dont les troupes sont bien adaptées aux terrains difficiles et assez aguerries pour être engagées utilement. Clark agrée aux suggestions de Juin et, dans la plus grande discrétion, le CEF relève le 10° Corps d'armée britannique, tandis que se mettent en place les appuis d'artillerie, les moyens de franchissement, les dépôts de munitions et les unités de second échelon.
Dans la nuit du 11 au 12 mai, l'attaque est lancée après une puissante préparation d'artillerie de 2 400 tubes de tous calibres. L'abordage est rude. La 71ème Division d'infanterie. allemande se défend jusqu'au soir où Castelforte est enlevée par la 3ème DIA et le Monte Faito par la 2ème DIM. Il faut maintenir la pression sur l'ennemi qui rompt après deux jours de combats sans pitié : le 13 mai, San Andrea, Girofano, Cesaroli et le massif du Monte Majo sont conquis.
Pendant ce temps, la 1ère DFL nettoie la boucle du Garigliano et se présente sur la rive droite du Liri. Le massif du Monte Petrella est le dernier obstacle de la Ligne Gustav à faire sauter. Formant le «Corps de Montagne» sous les ordres de Sevez, avec la 2ème DIM et les Tabors Marocains du général Guillaume (1er, 3ème et 4ème Groupements), Juin les lance dans la bataille. L'objectif est entre leurs mains le 15 au soir. Dès lors, il faut avancer vers Rome.
Le CEF maintien le rythme du combat par la relève systématique des divisions de tête par le second échelon après trois ou quatre jours d'engagement. La 3ème DIA et la 1ère DFL arrivent aux portes de Rome. Mais, alors que le CEF est très en pointe, des arguments de prestige veulent que Rome soit libéré par des unités américaines. L'entrée dans Rome a été occultée, on l'a dit, par le débarquement allié en Normandie. Une parade triomphale, le 11 juin, marque la victoire alliée et Clark pourra écrire : «Je suis fier que le CEF appartienne à la Vème Armée». Puis c'est la remontée vers Florence et l'Arno.
Les 3ème DIA, 1ère DFL et 2ème DIM, restées en tête, se heurtent à un combat retardateur mené par les unités allemandes et achèvent leur campagne d'Italie à Sienne, le 2 juillet. En effet, les divisions du CEF sont retenues pour débarquer en Provence, et le CEF a été dissous en tant que tel le 23 juillet. Le général de Larminat succède à Juin à la tête des «éléments français de la Vème Armée américaine». Les unités françaises, retirées de la ligne de contact au pied des Abruzzes, gagnent les zones de regroupement dans le sud de l'Italie. Elles sont relevées par des unités indiennes, néo-zélandaises ou polonaises. La campagne d'Italie du CEF «a offert à la France, écrit J-C Notin, l'occasion de prouver aux Alliés, mais aussi, et surtout, à elle-même, qu'elle demeurait une grande nation.»
Opération «Brassard», la conquête de l'Ile d'Elbe (17-19 juin 1944)
Située entre la Corse et l'Italie, l'Ile d'Elbe contrôle les mouvements en mer de Ligurie tout en surveillant les activités sur la côte toscane. Sa possession aurait été fort utile aux Alliés lors de l'invasion de l'Italie, mais l'occasion d'un coup de main depuis la Corse fut manquée en octobre 1943. La question reprit de son intérêt lorsque le XVème Groupe d'Armées se trouva arrêté devant la Ligne Gustav, mais les délais de mise sur pied de l'opération Brassard furent tels que celle-ci ne pouvait être engagée qu'en juin 1944.
La 9ème Division d'Infanterie Coloniale (général Magnan), qui n'avait pas encore vu le feu, allait avoir l'occasion de se mesurer à l'ennemi.
L'Ile d'Elbe, au relief tourmenté et accidenté, est tenue par plusieurs Festung Battalionen. Leur chef, le général Gall, a fait savoir que l'île serait défendue. Dans la nuit du 16 au 17 juin, un détachement de commandos d'Afrique et le Bataillon de Choc du commandant Gambiez sont débarqués pour neutraliser les principales batteries, couper les communications et tenir certains carrefours. Au matin du 17, le vrai débarquement a lieu dans la calanque de Marina di Campo, avec l'appui naval britannique.
La résistance est partout énergique, mais en fin de journée, la côte nord est atteinte. Le lendemain, avec le 2ème groupement de Tabors marocains, les 4ème et 13ème Régiment de Tirailleurs Sénégalais s'étendent vers l'Est. Porto Ferraio, la capitale, est occupée à la mi-journée et au soir du 18, l'île est virtuellement conquise. Gall réussit à s'échapper en sous-marin à l'aube du 19 juin. Les pertes, 250 tués et 650 blessés dans les rangs français, 700 tués et 2 000 prisonniers du coté allemand, traduisent la férocité des combats.