Les déportations de France
La déportation organisée depuis la France par les nazis a recouvert de multiples situations regroupées sous un même terme générique.
Ce terme de déportation se définit originellement comme "une peine consistant en un exil forcé dans un lieu déterminé". Son sens contemporain est forgé à partir de 1942 pour rendre compte d'un "internement dans un camp de concentration situé à l'étranger" par les Allemands.
Les camps de concentration répressifs
Vue des baraques et de l'usine de munitions dans l'une des premières photos du camp de concentration de Dachau. Dachau, Allemagne, mars ou avril 1933.
Source : The United States Holocaust Memorial Museum
Ceux-ci, conçus en Allemagne à partir de 1933, autour du "camp modèle" de Dachau, ont pour but l'élimination de tous les opposants politiques, religieux et philosophiques aux nazis et de tous ceux considérés comme asociaux par le régime.
Différentes catégories de déportés.
Une classification est mise au point pour distinguer ces différentes catégories, les politiques portant un triangle rouge, les droits communs un triangle vert, les homosexuels un triangle rose, les témoins de Jéhovah un triangle violet, les asociaux un triangle noir, les Tsiganes un triangle marron, les Juifs enfin un triangle ou une étoile jaune. La première vague d'internement des Juifs dans les camps de concentration, suit le pogrom de la "nuit de cristal" du 9 novembre 1938 lorsque 32 000 Juifs allemands sont arrêtés pour les inciter à fuir le pays.
À partir de 1938, les succès allemands tant diplomatiques que militaires amènent à une expansion considérable de la population concentrationnaire, tous les opposants des pays vaincus pouvant potentiellement y être envoyés, de nouveaux camps voient le jour, plus modernes et mieux organisés.
Magdeburg, un magasin juif détruit après la "Nuit de cristal" du 11 septembre 1938. Source : Deutsches Bundesarchiv
La déportation "de répression" en France
L'occupation de la France en 1940 amène à la mise en place des structures de répression nazie sur le territoire français. Cette répression (1) peut définir "tous les types d'action entendant arrêter une manifestation ou le développement d'une activité, d'un sentiment, d'un geste jugé dangereux par l'autorité nazie d'occupation car la mettant en cause". A partir de 1941 et devant l'échec des formes traditionnelles de répression et notamment des fusillades d'otages, un flux régulier de déportés de France "pour ce qu'ils avaient fait ou étaient soupçonnés de vouloir faire" est envoyé vers les camps de concentration du IIIème Reich. Ne pas savoir où ils sont conduits est alors considéré comme une arme psychologique redoutable par les théoriciens de la répression.
Plaque commémorative des victimes françaises au camp de concentration de Hinzert, en utilisant les expressions "Nuit et Brouillard" et "NN-Déportés".
Source : GNU Free Documentation License
Cette logique est portée à son comble avec l'instauration des décrets NN "Nacht und Nebel Erlass" rédigés par Hitler en décembre 1941 (décrets Keitel) qui créent un nouveau type de mesures répressives s'appliquant aux résistants d'Europe occidentale. La principale disposition prévoit la déportation secrète (dans la nuit et le brouillard) sur le territoire du Reich pour la personne arrêtée. Là, elle est internée ou assignée dans un camp de concentration dans l'attente théorique de son jugement par les tribunaux répressifs allemands. Les procès se déroulent à huis clos et dans tous les cas, aucune nouvelle n'est donnée à la famille du déporté. Les prisonniers sont alors condamnés à de lourdes peines, voire souvent à la mort.
Les détenus au travail, à la carrière de Flossenbürg. Source : The United States Holocaust Memorial Museum
Les prisonniers NN français constituent la majeure partie de ceux qui sont envoyés notamment à Gross Rosen, Flossenbürg ou Buchenwald, puis à partir de juillet 1943 au camp de Natzweiler, situé près du lieu-dit le "Struthof" dans le massif vosgien à 50 kilomètres de Strasbourg.
Projets d'aménagement du camp, 1942. Source : Collection Hisler / Musée de Struthof
La faim. Dessin de Henri Gayot. Source : Collection Hisler / Musée de Struthof
Le chiffre total jusqu'en 1945 de la population déportée de répression depuis la France est aujourd'hui estimé à 86 827 personnes selon les travaux de la Fondation pour la mémoire de la déportation. Les statistiques précédentes faisant état d'un chiffre de 65 000 s'expliquent par la prise en compte dans cette étude de la situation des étrangers arrêtés en France et notamment des Républicains espagnols engagés volontaires dans l'Armée française, faits prisonniers et envoyés dès 1940 depuis les Stalags dans les camps de concentration.
La déportation de persécution
La déportation dite de persécution, qui comprend notamment la déportation homosexuelle, celle des témoins de Jéhovah, et des Tsiganes, s'applique à ceux "déportés pour ce qu'ils sont" et non pour ce "qu'ils font".
La villa Marlier à Wannsee où se déroula la conférence. Source : la GNU Free Documentation License
Cette forme de déportation touche principalement les Juifs, coupables d'être nés ainsi, et de fait considérés comme l'ennemi héréditaire et absolu du peuple allemand, et source de tous ses malheurs. Leur extermination est programmée par le régime notamment lors de la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942. Un réseau de camps "d'extermination" est mis en place "à l'est" pour "traiter" l'ensemble des communautés juives européennes.
Panneau indicateur de la gare de Treblinka, exposé aujourd'hui à Yad Vashem. Source : GNU Free Documentation License
Venant après le camp de Chelmno, premier du genre, différents centres de mises à mort sont ouverts (Treblinka, Sobibor, Belzec..) pour appliquer ce programme. Dans cette optique d'extermination, Auschwitz II-Birkenau (2), véritable capitale de la mort industrielle est choisie pour recevoir notamment la population juive de France. Dès lors, en France, à la suite du processus de recensement puis d'exclusion mené tant par les Allemands que par les autorités de Vichy, un processus de déportation vers Auschwitz démarre, rendu possible par la collaboration du régime de l'Etat français du maréchal Pétain.
Un premier convoi de Juifs de France part vers Auschwitz le 27 mars 1942.
Sobibór - Mémorial sur le site du camp. Source : Licence Creative Commons
Plus de 75 000 Juifs de France (hommes, femmes et enfants) sont acheminés ainsi jusqu'en août 1944, promis pour la plupart à une mort certaine dans les chambres à gaz, ou parfois "sélectionnés pour le travail". Ils rejoignent alors le lot commun des déportés, dans les camps de concentration promis à une élimination lente par le travail.
Seule 3% de la population juive déportée de France survit et rentre au pays en 1945. Largement présents dans la résistance française, un certain nombre de juifs sont déportés pour "ce qu'ils ont faits" et non "ce qu'ils sont". Par exemple, Denise Vernay, la sœur aînée de Simone Veil, est déportée à Ravensbrück pour fait de résistance.
Denise Vernay. Source : coll.particulière
En plein effort de guerre, les opposants de toute l'Europe déportés dans les camps de concentration nazis sont d'abord une main d'œuvre servile, exploitée jusqu'à l'épuisement et la mort notamment dans les grands complexes industriels allemands comme Buna-Monowitz dit Auschwitz-III pour IG-Farben. L'inflation de la population concentrationnaire - en 1944, 700 000 personnes, dans les 22 camps principaux-, les conditions extrêmes en matière de nourriture et d'hygiène, entraînent une surmortalité terrible aggravée par les épidémies.
1941, usine de Buna et Montan de IG Farben, près d'Auschwitz. Source : Deutsches Bundesarchiv
La libération des camps et le retour des déportés
Photo (sans doute reconstituée) de la libération d'Auschwitz. Source : Presse soviétique
Cette libération résulte de la défaite allemande et de l'effondrement militaire du Reich. Chronologiquement, c'est l'offensive soviétique du 12 janvier 1945 qui va provoquer l'évacuation du camp d'Auschwitz-Birkenau puis son "ouverture" par les Soviétiques le 27 janvier. Ils n'y trouvent que 7 000 déportés malades et mourants, 58 000 d'entre eux ayant été évacués "vers l'ouest" dans un scénario de "marches de la mort" qui se répète à chaque percée alliée.
Un soldat américain et des prisonniers libérés du camp de concentration de Mauthausen. Source : The United States Holocaust Memorial Museum
Le 7 mars 1945, l'offensive anglo-américaine à l'ouest du Reich provoque un scénario similaire, la première armée française entre en Allemagne après avoir passé le Rhin le 31 mars 1945.
Des soldats américains et des prisonniers libérés à l'entrée principale du camp de concentration de Buchenwald, mai 1945.
Source : The United States Holocaust Memorial Museum
Les conditions de libération
Pour chaque armée alliée, l'ouverture d'un camp de concentration est d'abord une surprise teintée d'incompréhension puis d'horreur, renforçant finalement la détermination des troupes. Eisenhower déclare ainsi après la libération du camp d'Ordhruf, le 5 avril, que "si certains (dans son armée) ne savaient pourquoi ils se battent, maintenant ils le savent". Quant aux déportés, malades, frappés par les épidémies, ils souhaitent, pour la plupart "rentrer au plus vite" mais ce vœu ne peut être exaucé.
Retour par avion de déportés épuisés, printemps 1945. Source : FNDIRP
D'une part, les libérateurs ont prévu initialement de rapatrier en priorité les prisonniers de guerre, et d'autre part les conditions sanitaires imposent la plupart du temps des mesures de quarantaine. De plus, les moyens matériels de transport ne sont pas toujours disponibles dans l'immédiat. Ces contraintes, génèrent un sentiment d'incompréhension chez les déportés, aggravé lors de leur retour en France. En effet, la population française, qui estime avoir souffert de l'occupation et reste surtout préoccupée par les problèmes de la vie quotidienne, ne les comprend pas.
Accueil des déportés à l'hôtel Lutetia à Paris. Source : FNDIRP
Le retour des déportés, à l'instar des autres "absents" (prisonniers de guerre,...s'il se déroule dans les meilleures conditions possibles compte tenu des contraintes de l'heure, entraîne des polémiques. Les déportés ne veulent, ne peuvent et n'osent parler de ce qu'ils ont vécu. Cette incommunicabilité est souvent rappelée dans les témoignages ultérieurs. Cette mémoire se manifeste progressivement au cours des années suivantes, tant par l'action associative et commémorative que par la mise en valeur des témoignages dans les médias, parallèlement à la recherche historique menée sur ces sujets.
Dans l'immédiat après-guerre, la victoire est privilégiée et la résistance mise en avant, parfois au détriment d'autre chose, ce qui peut expliquer en partie l'occultation de la spécificité d'Auschwitz. De ce point de vue, l'appellation statutaire des déportés dans le cadre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, peut apparaître révélatrice, dans la mesure où la législation française distingue les "déportés résistants" (loi du 6 août 1948) et les "déportés politiques" (loi du 9 septembre 1948).
À aucun moment la déportation juive n'est explicitement incluse dans ce dernier texte.
L'émergence des mémoires de la déportation
1946, premier anniversaire de la libération des camps. Source : FNDIRP
Dans les années 1950, pour maintenir le souvenir de leurs camarades morts en déportation, les associations de déportés créent des lieux de mémoire, autour desquels elles organisent des cérémonies spécifiques. Elles expriment le souhait de voir inscrite dans le calendrier une date réservée au souvenir de la déportation. La loi n° 54-415 du 14 avril 1954 consacre le dernier dimanche d'avril au souvenir des "victimes de la déportation et morts dans les camps de concentration du IIIème Reich au cours de la guerre de 1939-1945". Cette loi, adoptée à l'unanimité par le Parlement, fait de ce dimanche une journée de célébration nationale.
Journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation du 24 avril 2011. Marche silencieuse jusqu'au monument des martyrs de la déportation.
Source : SGA/DMPA - Jacques Robert
Quelques décennies plus tard, la France souhaite rendre un hommage spécifique aux victimes des crimes racistes et antisémites et aux personnes qui se sont efforcées de protéger les Juifs persécutés. Elle entend ainsi distinguer cette commémoration de celle de la déportation, dédiée à tous les déportés, que ce soit pour des motifs raciaux, politiques, pour leurs moeurs ou pour des actes de Résistance, et reconnaître officiellement la responsabilité du régime de Vichy dans les persécutions et les crimes contre les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-45).
Monument en hommage aux victimes des persécutions racistes et antisémites. Source : SGA/DMPA - Jacques Robert
De 1993 à 2000, deux textes fixent successivement les modalités de cette commémoration nationale. Le décret n° 93-150 du 3 février 1993, institue "une journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite "gouvernement de l'État français" (1940-1944)". Le 16 juillet, date anniversaire de la rafle du Vélodrome d'Hiver (16 juillet 1942), est retenu pour cette commémoration si ce jour est un dimanche, sinon celle-ci a lieu le dimanche suivant. La loi n° 2000-644 du 10 juillet 2000 reprend et modifie le décret de 1993, afin d'y insérer notamment un hommage aux "Justes" de France.