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L'internement des tsiganes en France 1940-1946

Femmes et enfants tsiganes internés dans le camp de transit de Rivesaltes. France, printemps 1942
Femmes et enfants tsiganes internés dans le camp de transit de Rivesaltes. France, printemps 1942. Source : US Holocaust Memorial Museum
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Selon l'historien Denis PESCHANSKI, environ 3 000 Tsiganes - vivant pour la plupart en France - ont été regroupés dans près de 30 camps d'internements entre 1940 et 1946. Si le gouvernement de Vichy et les troupes d'occupation allemande portent la responsabilité des mesures prises à l'encontre de cette population, il faut cependant rappeler que celles-ci ont trouvé leurs justifications dans les lois votées dés le début du XXème siècle par les responsables politiques de la IIIème République.

Ainsi, le 16 juillet 1912, le gouvernement français promulgue une loi sur « l'exercice des professions ambulantes et la réglementation et la circulation des nomades ». Destiné à contrôler plus efficacement et de manière systématique le déplacement des Tsiganes, ce texte leur impose la possession, dés l'âge de 13 ans, d'un carnet anthropométrique d'identité à faire viser, lors de chaque nouvelle installation sur une commune, par un représentant de la force publique. Etat civil, empreintes digitales, données morphologiques sont quelques-unes des informations figurant sur ce sinistre document, réservé à l'origine à l'identification des criminels.

 

Roger Demetrio, 1944. Photographie extraite de son carnet anthropométrique – Coll. Archives départementales des Bouches-du-Rhône.

 

Objet de toutes les méfiances, étroitement surveillés durant la Grande Guerre, les Tsiganes sont soumis, lors du déclenchement du second conflit mondial, à de nouvelles vexations. En effet, le 6 avril 1940 un décret-loi signé d'Albert Lebrun, dernier Président de la IIIème République, interdit la circulation des nomades sur l'ensemble du territoire métropolitain et les assigne à résidence. Si l'invasion de la France en mai 1940 et la débâcle permettent à un bon nombre d'entre eux d'échapper à cette loi, les choses changent radicalement après l'armistice.

Dès le mois de septembre, les premiers Tsiganes d'Alsace-Lorraine sont expulsés par les autorités allemandes, puis enfermés dans les camps d'internement de la zone libre. On dénombre ainsi 382 nomades dans le camp d'Argelès-sur-mer, dans les Pyrénées-Orientales, en novembre 1940.

Il faut d'ailleurs préciser que ces lieux d'Internement sont mixtes . seul le camp de Saliers, près d'Arles (Bouches du Rhône), est exclusivement destiné aux populations nomades. Créé le 25 mars 1942, celui-ci devait devenir, pour Vichy, un modèle pour contrer les attaques de la presse étrangère dénonçant l'existence de camps d'internement en zone libre.

Les premières familles - 300 personnes en provenance de Rivesaltes - arrivent donc le 27 novembre 1942 dans un camp inachevé. Saliers, outil de propagande au service de Vichy, se révèle vite un échec en raison notamment d'un manque d'hygiène évident et d'une sous-alimentation chronique. Il ferme ses portes le 15 octobre 1944.

Au nord de la ligne de démarcation, le commandement militaire allemand ordonne le 4 octobre 1940 l'internement des Tsiganes se trouvant en zone occupée dans des camps surveillés par des policiers français. 10 centres, situés pour la plupart à l'ouest et au sud-ouest de la zone occupée accueillent ainsi 1 700 nomades à la fin de l'année 1940. Ce sont ceux de Linas-Montlhéry dans la Seine-et-Oise, Poitiers dans la Vienne, les Alliers près d'Angoulême (Charentes), ou bien encore la Morellerie à Avrillé-les-Ponceaux, en Indre-et-Loire.
 

Le camp de Montreuil-Bellay vu du mirador côté Loudun (1944). Photo Jacques Sigot

 

Les baraquements en bois du camp de Montreuil-Bellay , côté Loudun (1944) Photo Jacques Sigot

 

A l'est du territoire occupé, en revanche, l'ordonnance est appliquée plus tardivement, à partir du printemps 1941. Au total, en novembre, on dénombre 3 200 nomades internés dans une quinzaine de camps de la zone occupée, parmi lesquels Arc-et-Senans (Doubs), Saint-Maurice-aux-Riches-Hommes (Yonne), Jargeau (Loiret), Coudrecieux (Sarthe) et surtout Montreuil-Bellay dans le Maine-et-Loire. Ouvert le 8 novembre 1941, ce dernier camp - à l'origine une cité destinée à accueillir le personnel d'une poudrerie construite au cours du premier semestre 1940 pour le ministère de l'Armement - compte, en août 1942, jusqu'à 1 086 nomades. Les conditions d'hygiène y sont déplorables. Entre la fin de l'année 1942 et le début de l'année 1943, en raison notamment de la sous-alimentation et du froid, une soixantaine d'internés, principalement des clochards raflés à Nantes au cours du printemps précédent, mais aussi des Tsiganes, dont quelques enfants décèdent à Montreuil-Bellay.

 

Adultes et enfants dans le camp de Montreuil-Bellay (1944). Photo Jacques Sigot

 

Jargeau : La stèle dans la cour du collège. Source : Cliché : J. Sigot

 

Mais, au-delà de ces chiffres, il convient de s'interroger sur les conditions de vie à l'intérieur de ces camps d'internement. Les Tsiganes sont internés par familles entières, vieillards et enfants compris - ces derniers représentant 30 à 40% des effectifs - dans des lieux insalubres. Les locaux mis à leur disposition sont inhabitables . glacées l'hiver, suffocantes l'été, les baraques disposent rarement de l'eau courante et les lits ne sont bien souvent que des châlits sans matelas ni couverture. Dans ces conditions, les familles qui le peuvent préfèrent s'installer dans leur roulotte quand elle est entrée avec leurs propriétaires dans les camps, ce qui n'est pas le cas à Montreuil-Bellay.. De plus, les conditions sanitaires déplorables et la faim aggravent cette situation. Enfin, ces populations ne reçoivent pratiquement aucune aide extérieure.

Aussi, pour subvenir aux besoins des familles, certains adultes sont amenés à travailler à l'extérieur du camp pour le compte d'entreprises privées. D'autres sont même réquisitionnés afin de travailler en Allemagne pour le compte de l'organisation Todt ou du STO. Cette dernière remarque permet d'ailleurs de poser la question de la Déportation des Tsiganes.

 

Anonyme. Petits garçons à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales) 1942. © Mémorial de la Shoah/CDJC

 

D'après les recherches de l'historienne Marie-Christine HUBERT, auteur d'une monumentale thèse de Doctorat ayant pour titre " les Tsiganes en France. 1939-1946. Assignations à résidence, internement, déportation ", on sait que la préfecture de la Vienne, voulant éviter le départ vers l'Allemagne de jeunes du département, les a remplacés par des Tsiganes du camp de Poitiers. Or, pour des raisons encore difficiles à expliquer aujourd'hui, certains d'entre eux ont été déportés vers des camps de concentration nazis. 70 nomades ont ainsi quitté Poitiers le 13 janvier 1943 en direction d'Orianenbourg-Sachsenhausen, et 25 autres seraient partis le 23 juin 1943 pour le camp de Buchenwald. 351 Tsiganes en provenance de Malines en Belgique ont également été déportés à Auschwitz par le convoi Z (Zigeuner) du 15 janvier 1944. Parmi eux, 145 français, arrêtés dans les départements du Nord de la France - alors rattachés au commandant militaire de la Belgique - entre le 22 octobre et le 9 décembre 1943. Il s'agirait des rares cas de déportation de nomades, vivant ou internés sur le territoire français, vers des camps de concentration ou d'extermination nazis. Or, sachant qu'entre 50 000 et 80 000 Tsiganes (selon l'historien Denis PESCHANSKI) ont été exterminés durant la seconde guerre mondiale, on peut estimer qu'il s'agit là d'une spécificité française. Il est vrai que l'internement avait avant tout pour objectif de contraindre les populations Tsiganes à se sédentariser. Certaines familles ont pu d'ailleurs être libérées lorsqu'elles trouvaient une habitation fixe.

Néanmoins, cette exception française n'excuse pas l'extrême précarité dans laquelle ont vécu, pendant près de cinq années, plusieurs milliers de tsiganes, et le traumatisme qu'a représenté pour eux cette sédentarisation forcée. Car les camps d'internement de nomades se sont prolongés au-delà de la guerre. Il faut attendre en effet la loi du 10 mai 1946 portant fixation de la date légale de cessation des hostilités pour que le décret du 6 avril 1940 soit enfin abrogé et que le dernier camp - celui des Alliers - soit définitivement fermé le 1er juin 1946.

Plus de 60 ans après les évènements, cette histoire douloureuse reste encore trop peu connue du grand public. Elle est pourtant essentielle. N'oublions pas que les mesures d'exclusion prises à l'encontre de la communauté Tsigane visaient avant tout l'éradication, en France, du nomadisme. Un mode de vie, aujourd'hui encore, difficilement compris et accepté.

 
Source : Etudes tsiganes

 

site internet externe : Site de l'association Etudes Tsiganes