1944-45 : Interroger les agents des réseaux
Sous-titre
Par Jérôme Blondet - Archiviste au Service historique de la défense
La Libération venue, il est nécessaire d’identifier et de recenser les agents des réseaux mais aussi de retracer leurs actions et de reconnaître leurs droits. Il s’agit également de vérifier qu’aucun ennemi, aucun traître, aucun usurpateur n’a pu se glisser parmi eux et de s’appuyer sur ceux qui ont fait la preuve de leur engagement pour préparer l’avenir.
Dès la Libération, la Direction de la sécurité militaire (DSM) charge la 4e section (protection des agents) de son 3e bureau (contre-espionnage préventif) de collecter, en France, des déclarations, des informations et des renseignements. Cela doit se faire dans le cadre d’une campagne d’interrogatoires et d’enquêtes menées auprès des anciens agents des réseaux de résistance. À cet effet, dans chaque région militaire, une antenne de la 4e section est mise en place. Les anciens résistants commencent par remplir un questionnaire de plusieurs pages, puis ils sont interrogés par des officiers de renseignement.
Identifier et recruter les résistants
Ce questionnaire (voir diaporama) porte sur l’état-civil, la composition de la famille, la scolarité et l’activité professionnelle. Il concerne aussi le parcours militaire : avant 1939, au moment de la mobilisation et pendant la campagne de 1940. Viennent ensuite des questions sur les activités résistantes proprement dites. Les agents doivent indiquer les circonstances qui les ont amenés à s’engager dans un réseau, donner le nom de leur recruteur, résumer leur activité, retracer l’organigramme du réseau et dresser la liste des autres agents avec lesquels ils ont travaillé (identités et multiples pseudos).
Cette campagne poursuit trois grands objectifs.
Le premier d’entre eux vise à reconstituer l’ordre de bataille des réseaux, tout en identifiant les agents susceptibles de bénéficier des dispositions du décret 366 du 25 juillet 1942 (voir Le décret 366 du 25 juillet 1942). La reconnaissance des services précède l’ouverture des droits. Dans ce cadre, les informations recueillies seront utilisées bien au-delà de l’immédiat après-guerre (voir diaporama).
Le deuxième est un objectif de contre-espionnage : il s’agit de recueillir un maximum d’informations pour les croiser avec les dossiers de Londres et d’Alger. Ainsi pourra-t-on démasquer les individus qui s’inventeraient un passé résistant et les traîtres ayant œuvré pour le compte de l’ennemi qui chercheraient à se "refaire une virginité". Ces renseignements sont ensuite transmis au bureau de sécurité militaire (BSM) territorialement compétent en matière de répression.
Le troisième objectif poursuivi par la DSM est tout aussi important : il s’agit de "récupérer", c’est-à-dire de recruter des agents appelés à servir au sein de la Direction générale des études et recherches (DGER) que la DSM a intégrée fin 1944, en s’assurant bien sûr qu’il n’y ait pas d’agents de l’ennemi parmi eux.
Car les services spéciaux français ont besoin d’agents, aussi bien en France qu’en Allemagne, voire ailleurs, que ce soit pour des missions de renseignement, d’action ou de contre-espionnage. Aussi, chacun est-il invité à indiquer des noms de personnes sûres, connues "au-delà des lignes", et qui seraient "susceptibles d’aider l’action militaire, soit par le renseignement, soit par l’action".
Au terme de l’interrogatoire, l’officier de renseignement du 3e bureau attribue à chacun un "visa", à choisir parmi cinq selon la conclusion à laquelle il aboutit :
• Visa 1 : entière confiance. Peut être employé dans un service secret.
• Visa 1a : non douteux, mais ne possède pas les qualités nécessaires pour un travail secret.
• Visa 2 : non douteux, mais d’origine étrangère.
• Visa 2b : douteux. Suspect.
• Visa 3 : aucune confiance. Ne peut être employé dans nos services.
Des dossiers extrêmement riches
Les personnes recrutées par la DGER après la Libération ont pour la plupart été démobilisées à l’été 1945, comme l’attestent les états des services contenus dans de nombreux dossiers. Certaines ont toutefois continué à servir au sein du Service de documentation et de contre-espionnage (SDECE) et beaucoup parmi elles ont alors été envoyées en Indochine.
Le Service historique de la défense conserve les déclarations et interrogatoires menés à la Libération, classés par réseaux, en particulier ceux des individus ayant obtenu un visa 1 ou 1a, soit environ 7 000 dossiers pour les réseaux de renseignement.
Notons qu’en plus de ces déclarations et interrogatoires, ces dossiers peuvent contenir de nombreux autres documents tels que des états des services, des rapports, des comptes rendus, des fiches de renseignements, de la correspondance, etc.
Cet ensemble forme donc un bon complément aux dossiers individuels de reconnaissance, constitués par les commissions d’homologation de la Résistance et par l’administration militaire, et également conservés au Service historique de la défense (Forces françaises combattantes, Résistance intérieure française, Forces françaises de l’intérieur, Forces françaises libres).
Jérôme Blondet - Archiviste au Service historique de la défense