Contre le nazisme, être résistant en Allemagne
Sous-titre
Par Stefan Martens, Historien, Institut historique allemand à Paris
En Allemagne, la résistance au nazisme ne fut le fait ni d'un seul groupe ni d'un mouvement de masse.
Même s'ils furent une minorité, des Allemands, hommes et femmes de toutes les catégories politiques, sociales et religieuses, combattirent Hitler, connurent l'exil et les camps et trouvèrent la mort.
Incendie du Reichstag, Berlin, 27 février 1933. Source : akg-images
Lorsqu'on parle de la résistance allemande, il faut d'abord rappeler qu'il ne s'agissait ni d'un seul groupe ni d'un mouvement de masse.
Certes, on y trouve des représentants de toutes les catégories politiques, sociales et religieuses, mais même aujourd'hui - soixante ans après -, il nous est pratiquement impossible d'avancer leur nombre exact.
Les procédures juridiques sont une des principales sources pour obtenir une première estimation. Il s'agit aussi bien de dossiers de l'époque nazie que de ceux de l'après-guerre, lorsque les survivants en RFA et en RDA ont tenté d'obtenir une indemnisation ou la réinstallation dans leurs droits. Mais quel que soit le chiffre avancé - entre 150 000 et 500 000 résistants - leur nombre reste faible par rapport aux 70 millions de personnes que comptait le Reich avant la guerre.
Les premiers touchés par la répression furent notamment les adversaires politiques des nationaux-socialistes. La chasse aux communistes commence dès l'arrivée de Hitler au pouvoir le 30 janvier 1933. Trois semaines plus tard, le 22 février, SA (1) et SS (2) deviennent police auxiliaire en Prusse. Arrêtés en masse un jour après l'incendie du Reichstag à la suite de l'ordonnance du 28 février sur la "protection du peuple et de l'État", les communistes obtiennent quand même 12,2% lors des élections du 8 mars 1933.
Étant donné qu'ils ne sont pas présents lors de la première réunion du nouveau Reichstag, les 43,9% des voix obtenus par le parti national-socialiste (NSDAP) plus les 11,2% pour le Centre (le parti des Catholiques), et les 8% pour les nationaux-démocrates (DNVP) suffisent à Hitler pour faire passer la "loi sur les pleins pouvoirs" à la majorité des deux tiers imposée par la Constitution de la République de Weimar qui reste en vigueur jusqu'en 1945. Les sociaux-démocrates qui avaient obtenu 18,2% lors des élections du 8 mars et ont voté contre la "Loi sur les pleins pouvoirs" sont la prochaine cible.
En mai 1933, le parti crée une direction extérieure, la SOPADE, qui s'installe d'abord à Prague, puis à Londres. Le Centre cesse ses activités politiques après la signature du Concordat d'État entre l'Allemagne de Hitler et le Vatican à Rome le 20 juillet 1933. Une semaine auparavant, le 14 juillet, Hitler déclare le NSDAP parti unique en Allemagne. À partir de cette date, toute forme d'engagement politique en dehors du "mouvement national-socialiste" est illégale et risque d'être sanctionnée immédiatement. Mais, même dans cette situation précaire et difficile pour tous les militants, la gauche n'est pas prête à oublier ses querelles.
La rivalité entre communistes et sociaux-démocrates permet à la Gestapo de venir vite à bout de leurs organisations clandestines. Le même sort est réservé aux opposants - beaucoup moins nombreux - venant de la droite et du parti du Centre. Ils sont soit arrêtés soit mis à mort lors de "la nuit des longs couteaux", le 30 juin 1934 (Röhm-Putsch). Une partie des protestants s'organisent en octobre 1934 sous forme d'une "Direction provisoire de l'Église confessante (Bekennende Kirche)".
Les propositions de l'émigration allemande restent sans écho.
L'acceptation du régime par la masse des Allemands, le succès de la politique menée par les nationaux-socialistes dans le domaine économique et social aussi bien que dans le domaine de la politique étrangère - retour de la Sarre au Reich en 1935 et annulation successive des stipulations du Traité de Versailles avec la réinstallation du service militaire le 16 mars 1935, signature d'un traité naval avec la Grande-Bretagne le 18 juin 1935 et remilitarisation de la Rhénanie le 7 mars 1936 - mettent les esprits des résistants à rude épreuve.
Ni l'Union soviétique, ni la France, ni la Grande-Bretagne ne sont prêtes à écouter les propositions venant de l'émigration allemande qui s'est installée à Moscou à l'Hôtel Lux, à Paris à l'Hôtel Lutétia, ou encore à Prague et à Londres. Les voyages clandestins à Londres et à Paris en 1937 de l'ancien maire de Leipzig, Carl Goerdeler, un des leaders de l'opposition conservatrice en Allemagne restent également sans résultats. Étant donné que Goerdeler avait proposé, entre autres, de revenir à la situation d'avant la Première Guerre mondiale, pour les Britanniques aussi bien que pour les Français, les alternatives présentées par les élites conservatrices ne sont guère convaincantes.
En mars 1938, au moment de l'Anschluss (annexion de l'Autriche), la situation de la résistance en Allemagne semble désespérée. La plupart des militants - s'ils n'ont pas préféré renoncer à toute activité politique - se trouvent soit dans des camps de concentration, soit en exil à l'étranger. Mais seulement deux mois plus tard, avec la crise des Sudètes au mois de mai 1938, tout bascule. Hitler semble bien décidé à réaliser le programme qu'il avait annoncé aux plus hauts représentants politiques et militaires du Reich le 5 novembre 1937.
Autour du chef d'état-major de l'armée de terre, le général Beck, se forme un nouveau groupe constitué d'officiers et de hauts fonctionnaires d'État qui ne veulent en aucun cas courir le risque d'une nouvelle Grande Guerre. L'idée de ces hommes, issus de l'élite national-conservatrice est de faire arrêter Hitler au moment du lancement d'une attaque contre la Tchécoslovaquie. Mais à la dernière minute, sous la pression de l'action conjointe de Hermann Göring, le deuxième homme du IIIe Reich, de Konstantin von Neurath, l'ancien ministre des affaires étrangères, et de Joseph Goebbels, le ministre de la propagande, Hitler change d'avis et accepte l'idée lancée par Mussolini d'organiser une conférence à quatre à Munich.
La signature des accords de Munich en septembre 1938 marque la fin de cette première conspiration contre Hitler. Le général Beck donne sa démission et les membres du groupe cessent leurs activités.
Une autre occasion se présente au cours de l'hiver 1939-1940 lors de la préparation de l'offensive contre la France. Cette fois-ci, c'est au tour du général Hans Oster du Service de contre-espionnage de l'armée de terre (Abwehr) de prendre l'initiative. Mais l'idée de mettre les adversaires au courant du début de l'offensive contre la France et la Belgique se solde par un échec : en reportant la date de l'attaque allemande à maintes reprises, Hitler - sans le savoir - jette le discrédit sur les informations données par Oster. La débâcle de la France, à l'été 1940, met de nouveau un terme à la conspiration des militaires.
Tentatives d'attentats et groupes de résistants
Timbre de la poste allemande commémorant le 100e anniversaire de la naissance de Georg Elser (2003).
Source : Deutsches Bundesarchiv. German Federal Archive
Mais la résistance contre Hitler ne se manifeste pas seulement du côté des élites. L'attentat contre la brasserie "Bürgerbräu-Keller" à Munich le 8 novembre 1939 est un acte isolé, préparé par un seul homme. La bombe fabriquée par le menuisier Georg Elser manque de peu son but parce que Hitler quitte les lieux plus tôt que prévu. Vu son efficacité, la Gestapo est au début convaincue que Georg Elser a bénéficié d'une aide venant de l'étranger. Ce n'est que quelques semaines plus tard, et grâce à d'autres activités, qu'elle s'aperçoit qu'un esprit de résistance est toujours vivace en Allemagne.
Déblaiement après l'attentat à la bombe contre Hitler au cave brasserie "Bürgerbräu", Munich, 8 novembre 1939.
Source : Deutsches Bundesarchiv. German Federal Archive
Après les arrestations massives au début des années trente, l'opposition a commencé à se réorganiser en Allemagne sous d'autres formes.
De petits groupes apparaissent aussi bien du côté de la gauche que du côté de la droite. L'engagement dans la lutte contre le régime nazi s'intensifie avec le début de la guerre à l'est le 22 juin 1941 et avec la persécution des Juifs. Mais, malgré les activités de l'Orchestre rouge (un groupe de hauts fonctionnaires autour de Harro Schulze-Boysen, un officier de la Luftwaffe), le Groupe Baum (un réseau de Juifs à Berlin), la Rose blanche (un mouvement d'étudiants, créé par Sophie et Hans Scholl à Munich), les Edelweisspiraten à Cologne et la Swing-Jugend à Hambourg (tous les deux des mouvements de protestation organisés par des jeunes) - pour ne citer ici que quelques exemples -, il est incontestable qu'il s'agit toujours d'une minorité.
Par rapport à la situation en France et dans les autres pays occupés de l'Europe, il ne faut jamais oublier que, pour un Allemand ou une Allemande, faire de la résistance est une décision difficile à prendre. Il faut s'engager non seulement contre son propre pays, mais aussi, si nécessaire, contre ses concitoyens. Combattre son propre gouvernement, même lorsqu'il s'agit d'un régime criminel, est un acte de haute trahison, puni de la peine capitale. Ce problème est au centre des débats organisés à partir de 1942 par le comte Helmuth James Graf von Moltke sur son domaine à Kreisau en Basse-Silésie (d'où le nom Cercle de Kreisau). La nécessité d'un assassinat collectif des plus hauts représentants du régime (Hitler, Himmler, Göring) et la question de la légitimité d'une "insurrection de la conscience" (Aufstand des Gewissens), ne pose pas seulement problème à ces hauts fonctionnaires, mais aussi aux soldats qui ont tous fait serment de servir Hitler en personne.
Le 8 janvier 1943, quelques jours avant la capitulation de la sixième armée à Stalingrad, un premier contact est établi entre le général Beck, Carl Goerdeler et le Cercle de Kreisau. Mais pour pouvoir agir, il leur faut quelqu'un dans l'entourage de Hitler, parce que celui-ci a pris l'habitude de se retrancher de plus en plus dans son Grand Quartier Général. Cet homme est le colonel Henning von Tresckow, le chef de l'état-major du groupe d'armée du Centre sur le front de l'Est. Après avoir été témoin des atrocités commises par les "Einsatzgruppen" (3) dans les territoires occupés par les Allemands à l'Est, il est décidé à agir. Mais aucune des tentatives d'attentat contre Hitler ne réussit.
Arrestations, déportation et mises à mort
Cependant la Gestapo ne reste pas inactive. Après avoir réussi à l'été 1943 à démanteler le cercle de l'Abwehr autour du général Oster, elle arrête au début de 1944 son chef, l'amiral Canaris, et le comte Hellmuth James von Moltke. Le temps presse, mais chacun de ces échecs demande un changement et une adaptation des plans.
Au moment du débarquement des Alliés le 6 juin 1944, il est déjà presque trop tard. Le colonel Claus von Stauffenberg, qui a pris la relève, est désormais le seul parmi les conjurés qui peut approcher Hitler. Le colonel von Tresckow, qui se trouve sur le front de l'Est, demande à son ami de lancer le coup d'État même au risque d'un échec pour prouver au moins l'existence d'une autre Allemagne.
Hermann Goering, Martin Bormann et Bruno Loerzer dans les décombres de la salle de conférence de la Wolfsschanze, à la suite de l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler. Source: Deutsches Bundesarchiv. (German Federal Archive)
Mais l'attentat et l'opération "Walkyrie" du 20 juillet 1944 échouent. Lors de l'arrestation des différents acteurs, la Gestapo s'aperçoit, à sa grande surprise, qu'il ne s'agit pas d'un complot organisé par un petit groupe d'officiers ambitieux et bêtes, comme le soupçonnait encore Hitler dans son discours radiodiffusé dans la nuit du 20 juillet 1944. Stauffenberg et ses conjurés de la Bendelerstrasse avaient établi des contacts non seulement avec les élites conservatrices (Carl Goerdeler, Ludwig Beck, Helmuth James Graf von Moltke), mais aussi avec presque tous les autres groupes de résistance en Allemagne.
Grâce aux documents que la Gestapo découvre dans le quartier général de l'armée de terre à Zossen, Hitler donne l'ordre de remonter toutes ces filières et de procéder à une vague d'arrestations. Lors de cet "Action orage" (Aktion Gewitter), la majorité des résistants est arrêtée et même les membres de leurs familles sont internés.
Dans les mois qui suivent, la vengeance de Hitler est terrible : par dizaines, les résistants sont jugés et condamnés à mort par le président du Tribunal du peuple, Roland Freisler. Parmi ceux qui se trouvent encore dans les prisons ou dans des camps de concentration comme Flossenbürg, sur l'ordre du Reichsführer SS Heinrich Himmler, un grand nombre est assassiné juste avant la libération des camps. À la fin de guerre, la résistance allemande est donc littéralement décapitée.