La France au Liban
Sous-titre
Par le commandant Ivan Cadeau - Docteur en histoire, Service historique de la défense
Structure civile et militaire mise en place par les Nations unies pour restaurer la paix et la stabilité au Liban, la force intérimaire des Nations unies pour le Liban (FINUL) est créée en 1978 et voit ses missions redéfinies en 2006.
La mise sur pied de la FINUL a pour origine la déstabilisation du Liban par les groupes armés appartenant à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui mènent des actions contre Israël à la fin des années soixante-dix. Le 11 mars 1978, l’attaque d’un autobus transportant des civils israéliens sur la route de Tel Aviv par un commando palestinien entraîne la riposte de Tsahal qui déclenche, dans la nuit du 14 au 15 mars, l’opération "Litani". L’objectif de l’état-major israélien est la création d’une zone tampon au Sud-Liban entre la frontière israélienne et le fleuve Litani afin d’empêcher toute nouvelle agression.
Cette offensive israélienne entraîne l’immédiate réaction de l’Organisation des Nations unies (ONU). Ainsi le 19 mars 1978, la résolution 425, qui est adoptée, exige que soient respectées "l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance politique du Liban". Elle demande par ailleurs à Israël de "cesser son action militaire et de retirer ses forces". Enfin, la résolution 425 institue une Force intérimaire des Nations unies pour le Liban, chargée de faire appliquer ces décisions sur le terrain. La FINUL, dont le quartier général est Naqoura, est formée de contingents venus de 14 pays et représente initialement un total de 4 000 casques bleus (dont 730 soldats français dans le cadre de l’opération "Hippocampe"). Toutefois, cet effectif apparaît rapidement comme insuffisant. Il est donc progressivement accru : la résolution 501 du 25 février 1982 le porte à 7000 hommes (1400 Français sont présents au mois de mai). Calqué sur les mandats que l’ONU avait mis en place dans le passé, celui de la FINUL se révèle vite inadapté. Contrairement aux opérations antérieures, les forces qui composent la FINUL se trouvent imbriquées sur un territoire où l’autorité du gouvernement libanais a disparu et où règne celle des milices de tout bord, pratiquant fréquemment des alliances de circonstance. Ainsi, les Forces libanaises et la Brigade Marada défendent les intérêts des chrétiens, le mouvement Amal et le Hezbollah, ceux des chiites, quand d’autres groupes soutiennent la minorité druze, la Syrie, l’Iran ou encore Israël. Dotés d’un armement trop léger et contraints par un cadre juridique et technique soit trop limité, soit insuffisant, les contingents étrangers de la FINUL, plongés dans l’imbroglio libanais, sont rapidement pris à partie et enregistrent leurs premiers morts.
Pendant un temps (1982-1984), la FINUL "cohabite" avec la Force multinationale d’interposition (FMI) puis la Force multinationale de sécurité à Beyrouth (FMSB), qui sont des organismes nés d’accords bilatéraux où les soldats agissent sous commandement national. Concrètement, et fidèle à une tradition d’alliance, la France aide le gouvernement libanais et son armée à retrouver leur indépendance. Dans cette perspective, une partie des éléments français de la FINUL est alors détachée au sein de la FMI/FMSB. Avec la dissolution de la FMSB, en mars 1984, après l’attentat du "Drakkar" contre les forces françaises et celui de l’aéroport de Beyrouth contre les Américains, le 23 octobre 1983, les éléments français de la FINUL atteignent de nouveau 1400 hommes. Cependant, la stabilisation apparente de la situation dans la région entraîne le désengagement progressif de la France et, en 2005, seuls 200 militaires français opèrent encore au Liban.
Les événements de l’été 2006 entraînent une modification des missions de la FINUL, bientôt rebaptisée FINUL II. En effet, au mois de juillet et août 2006, Israël, décidée à éradiquer le Hezbollah qui menace ses intérêts et ses citoyens depuis le Liban, envahit une fois de plus le Sud-Liban, bombarde Beyrouth ainsi que des dizaines d’autres objectifs situés en territoire libanais. La résolution 1701 du 11 août 2006, qui exige le retrait des troupes israéliennes, renforce le pouvoir que la résolution 425 avait conféré à la FINUL I. Ainsi, les quelque 5 000 militaires (effectifs vite dépassés puisqu’en 2016, ils sont d’environ 11 000 hommes et femmes) issus de 34 nations différentes disposent désormais d’un pouvoir de "coercition" en cas de prise à partie, y compris contre l’aviation israélienne.
L’aire de compétences de la FINUL II, qui s’étend du fleuve Litani à la Ligne bleue (elle délimite la frontière libano-israélienne ainsi que la frontière du Liban avec le plateau du Golan), est divisée en deux grands secteurs, Ouest et Est. Chaque secteur est lui-même divisé en plusieurs zones placées sous la responsabilité d’un pays. La France, dans le cadre de l’opération "Daman", prend part à la FINUL II. Son contingent, fort à l’automne 2006 d’environ 1 650 soldats, est progressivement réduit à 870 (fin 2016). Ceux-ci sont principalement regroupés au sein de la force d’intervention. La FINUL II comprend également une "Maritime Task Force", chargée de surveiller les eaux territoriales libanaises et d’empêcher l’introduction d’armes au Liban. Les missions définies comme les moyens donnés à la FINUL II par la résolution 1701 ont, malgré des violations du cessez-le-feu, considérablement fait baisser la tension dans cette partie du Proche-Orient. L’armée française a payé un lourd tribut au service de la FINUL puisque 37 de ses casques bleus ont trouvé la mort, chiffre auquel il convient d’ajouter les 58 parachutistes servant au sein de la FMSB, tués lors de l’attentat du poste "Drakkar".
Commandant Ivan Cadeau - Docteur en histoire, Service historique de la défense
Témoignage
Major (r) Omer M.
(Armée de Terre, Liban)
"Projeté trois fois au Liban entre 1981 et 1983, j’ai vécu différemment ces missions. En 1981 et 1982, je suis affecté comme adjudant d'unité aux compagnies chargées avant tout de ravitailler les postes FINUL puis les camps palestiniens. Les conditions sont difficiles car de nombreux check points tenus tantôt par l’armée libanaise tantôt par des milices nous ralentissent tout au long du parcours. À cela s’ajoute des tirs d’intimidation réguliers. Ce sentiment d’impuissance est décuplé en 1982 lorsque nous ne pouvons contenir l’invasion israélienne du Sud-Liban.
En 1983, ma mission est brutalement interrompue par les attentats du 23 octobre. À l’aube, quelques minutes après l’attaque visant les Américains, un attentat est mené contre le contingent français détruisant le poste Drakkar où je me trouve, réduisant à néant cet immeuble de huit étages. Je sors vivant des décombres mais dans un piteux état. Marqué durablement dans ma chair et dans mon âme après la perte de 58 de mes camardes, mon engagement reste toutefois intact jusqu’en 1999, date à laquelle je quitte l’armée."
Témoignage
Caporal-chef Sanélé I.
(Armée de Terre, Liban)
"En 1984, je suis à Beyrouth où je reçois avec mes camarades l’ordre d’extraire une section qui est prise sous les feux de miliciens, et d’évacuer le fils d’un officier libanais dans la même zone. L’excitation, mêlée à l’anxiété ressentie au début, cède vite la place à la fierté de participer à cette mission. On réussit à les récupérer sains et saufs, et on cache l’enfant sous nos sacs à dos. Au retour, on est bloqué à un check point tenu par des miliciens armés. Ils nous ordonnent d’ouvrir les portes de notre VAB. S’ils trouvent l’enfant, ils le tuent et nous avec. On refuse ! Ils insistent avec force. La tension est palpable. L’explosion voisine d’un obus détourne leur attention, et nous permet d’embarquer rapidement pour rejoindre notre base. Là-bas, on compte de nombreux impacts sur notre véhicule, et on réalise notre chance d’être indemnes. Devenus frères d’armes, fiers d’avoir rempli notre devoir, on devine déjà que ce baptême du feu nous liera les uns aux autres à tout jamais."