Les monuments aux morts
Sous-titre
Par Béatrix Pau, historienne militaire, enseignante au lycée Jean Moulin de Béziers
Dès la fin de la Grande Guerre, les monuments aux morts envahissent le paysage communal et deviennent un point de ralliement des mémoires individuelles et familiales de la guerre. Cent ans après, ces "lieux de mémoire" restent des piliers de la commémoration et témoignent de la filiation entre les différentes générations combattantes.
Qui ne s’est déjà arrêté devant un monument aux morts à en considérer l’œuvre sculpturale ou à méditer sur la longue liste, trop longue liste, des noms gravés dans la pierre ? Éléments centraux des paysages communaux, ces "sentinelles de pierre" (Hervé Moisan) témoignent des affres de la guerre et demeurent aujourd’hui encore un lieu majeur de commémoration : commémorer la guerre, commémorer les morts de la guerre. La place des monuments aux morts au sein des communes (devant la mairie, sur le parvis de l’église, au cœur de la place principale, du cimetière ou autres) témoigne de l’importance accordée à la commémoration et à la symbolique mise en avant. "Lieux de mémoire par excellence" (Antoine Prost), les monuments aux morts représentent aussi le devoir de mémoire. Présents partout, ils sont tous différents. Unanimité collective, multiplicité mémorielle ? Derrière l’hommage aux "Morts pour la France", chaque communauté se rassemble autour du moment et se recueille autour de sa propre lecture de l’événement.
Des monuments pour se rappeler
Coq, victoire ailée, soldat partant au combat ou posant fièrement, les monuments aux morts symbolisent avant tout la guerre, ses affres et sa victoire. Certaines municipalités optèrent même pour des monuments pacifistes dénonçant l’hécatombe. Même si le monument aux morts de par son histoire reste attaché à la Grande Guerre, il est devenu le lieu des commémorations du sacrifice humain pour la défense de la République et de ses valeurs.
Dès les premières années du conflit, apparut la volonté de graver dans la pierre le nom de ceux qui perdirent leur vie au combat. Bien souvent l’initiative, avant d’être communale, fut paroissiale et se finalisa par des dons. Ainsi en novembre 1915 se forma à Béziers l’œuvre du monument aux morts à ériger à la Cathédrale Saint-Nazaire. Après-guerre, ce désir d’honorer les morts se marqua dans l’érection des monuments au cœur des communes, au cœur des quartiers. Il s’agissait non seulement d’honorer la dette collective de la nation mais aussi de répondre au besoin d’une communauté en deuil de ne pas oublier. Les années 1920 marquèrent donc la construction d’une foultitude de monuments aux morts (Annette Becker) et nombre d’entre aux prirent la symbolique de la mort et du deuil : la Faucheuse, le gisant, le Poilu succombant au feu ou encore les parents éplorés, surtout la mère assimilable à la République. À Hamel, le monument n’est autre qu’une Pietà, si proche de celle de Michel Ange.
Lors des cérémonies commémoratives, la sonnerie et l’Appel aux morts marquent ce sacrifice. Tous les noms égrenés dans un chapelet mortuaire rappellent ainsi le sacrifice consenti par chaque commune, chaque famille ; sacrifice qui est également rappelé dans les discours officiels. La présence des enfants et des anciens combattants marque le besoin de ne pas oublier : ne pas oublier les camarades de combat et transmettre aux générations futures leur souvenir. C’est aussi un lien générationnel entre ceux qui ont connu les affres de la guerre, même si les anciens combattants d’aujourd’hui ne sont plus "Ceux de 14", et ceux qui ont un avenir à construire. En ce sens le monument aux morts et les cérémonies qui s’y déroulent constituent des passeurs de mémoire.
Monument aux morts de Saint-Pandelon, Landes. Erigé en 1923, sur la place de l’Église, il est surmonté d’un coq en pierre et représente une Victoire.
© Marie-Hélène Cingal
Se rapprocher des morts : du cénotaphe au tombeau
Au-delà du simple souvenir de ceux qui ont perdu leur vie, les monuments aux morts ont aussi une fonction de cénotaphe, parfois même de tombeau. Le recueillement, les prières, les dépôts de fleurs ou de gerbes sont des actes privés. Les familles endeuillées qui ne purent récupérer les dépouilles de leur défunt matérialisèrent cette sépulture lointaine ou inexistante à travers le monument aux morts. Ce dernier substitua le caveau familial. Ainsi la commémoration s’assimila aussi à des temps de deuil.
Certaines communes décidèrent d’aller plus loin dans l’hommage en faisant de ce monument un tombeau commun. La sépulture perpétuelle accordée par l’État ne concernait pas les corps restitués. Dès 1921, des municipalités décidèrent d’accorder cette sépulture perpétuelle aux corps restitués et créèrent des carrés militaires. Certaines communes choisirent alors de réunir monument aux morts et sépulture perpétuelle, l’individuel et le collectif ne faisant plus qu’un. Dans ces cas-là, les commémorations purent être aussi des temps de recueillements et de prières. Or ces temps de deuil disparurent avec les endeuillés pour ne laisser place qu’à des cérémonies officielles. La mémoire même des corps put parfois disparaître avec le temps, oubliant que le monument était un tombeau pour n’en faire qu’un cénotaphe ou une simple œuvre architecturale. Ce fut ainsi à Portiragnes.
Le conseil municipal de ce petit village héraultais décida le 21 juin 1921 non seulement d’attribuer une concession perpétuelle de 8,10 m2 "aux familles ayant usé de l’article 106 de la loi du 31 juillet 1920 à titre d’"hommage suprême" mais aussi d’ériger un monument aux morts sur la dite sépulture. De fait, le monument aux morts, situé dans l’allée centrale, au cœur du cimetière, devint aussi le tombeau commun des huit enfants du village morts au combat et restitués gratuitement par la France. Des plaques mentionnant les noms et prénoms des trente-cinq enfants du village Morts pour la France furent apposées sur les quatre faces, sans distinguer clairement les noms de ceux qui dormaient dans le soubassement. Aussi, au cours du XXe siècle, la mémoire du tombeau commun disparut, associant le lieu au seul monument aux morts. Avec elle disparut la mémoire des corps restitués. Lors des cérémonies du centenaire de la Grande Guerre, la quête de ces derniers (au demeurant visuellement introuvables dans le cimetière), nous conduisit vers le monument aux morts. Les délibérations municipales de juin 1921 y confirmèrent leur présence. Depuis, la municipalité décida de donner une teinte particulière aux commémorations du 11 novembre. En plus des gerbes "habituelles", huit chrysanthèmes, symbolisant les huit corps restitués, sont déposés aux pieds du monument aux morts.
L’hommage aux morts de la Grande Guerre : en interminable cortège, les veuves et les orphelins défilent devant le cénotaphe. 17 juillet 1919.
© Excelsior–L’Equipe/Roger-Viollet
Commémorer toutes les guerres
Au-delà de la Grande Guerre, les monuments aux morts aujourd’hui commémorent toutes les guerres contemporaines. En effet, lors de leur érection, les monuments aux morts symbolisaient la Grande Guerre qui se devait d’être la "Der des Ders" et incarnait le deuil de masse. Les discours officiels prononcés lors des cérémonies du 11 novembre le rappelaient régulièrement, tout comme la présence des endeuillés, vêtus de noirs. Puis au fil des décennies, la Grande Guerre est devenue la Première Guerre mondiale et les proches qui pleuraient les morts de la guerre moururent à leur tour. Sur les monuments à la longue liste des Morts de 14-18 s’ajoutèrent ceux de 39-45 puis ceux des guerres d’Indochine et d’Algérie, sans compter aujourd’hui des noms des militaires morts en opérations extérieures. Le monument aux morts devint donc le lieu par excellence de la commémoration des guerres contemporaines, celles de la République française. Aujourd’hui onze cérémonies nationales, organisées dans les départements par les préfectures, sous-préfectures et municipalités, avec la participation de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, « commémorent la mémoire des faits d’armes des grands hommes, des combattants et le sacrifice des victimes civiles ou militaires des guerres ».
Honorer la mémoire de ceux qui donnèrent leur vie pour la défense des valeurs de la République, rendre hommage à toutes les victimes des guerres et transmettre la mémoire des conflits aux jeunes générations, tels sont les enjeux de la commémoration et des monuments aux morts, toute à la fois lieux et devoir de mémoire.
Béatrix Pau, historienne militaire, enseignante au lycée Jean Moulin de Béziers
Zoom sur le programme de numérisation "Lieux de mémoire"
En 2016, Cyril Pefaure, alors jeune président de l’Union fédérale des Anciens combattants du Centre Tarn, a eu l’idée de numériser le monument aux morts de son village de Lombers. C’est en observant le comportement des jeunes auprès des monuments aux morts, que Cyril Pefaure décida de mettre en place un chantier jeune permettant de créer un site Internet à partir d’informations collectées par les jeunes sur les "Morts pour la France" du monument. "Les enfants venaient souvent s’assoir sur les marches du monument au mort pour consulter leur smartphone. C’est de là qu’est née l’idée de les intéresser au monument par le biais de ce qu’ils utilisaient le plus souvent. Et cela a marché", explique-t-il. Il se dote alors d’une application mobile (hexalinks.fr) permettant d’accéder à toutes les données du site, mais également de géolocaliser le monument, passer un appel ou encore de consulter des galeries photos ou tout autre contenu (vidéos, documents, …).
Exemple d’utilisation de l’application sur le monument aux morts de Lombers (Tarn)
L’ensemble des travaux fut inauguré lors d’une cérémonie nocturne le 11 novembre 2018, jour du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, en présence de nombreux adolescents et de leurs familles.
Aujourd’hui, avec la classe défense du collège, Cyril a commencé un programme qui regroupera à terme la mémoire des 16 monuments de la communauté de communes du centre Tarn, soit près de 750 biographies mises en forme, 16 historiques de monuments et bien plus encore...
De tout ce travail est né un programme baptisé "Lieux de Mémoire", pouvant être adapté aussi bien aux classes de collèges qu’aux chantiers jeunes proposés par les mairies pendant les vacances scolaires. Au-delà de la recherche d’informations, le programme prévoit également un travail de rénovation ou d’entretien du monument, des visites de musées mémoriels et aux archives départementales, l’intervention d’anciens combattants venus partager leur vécu, etc.
Des jeunes font des recherchent sur les noms inscrits sur le monument aux morts de Lombers (Tarn). © Hexagone
Ce programme pluridisciplinaire, ayant pour point d’orgue le devoir de mémoire et l’éducation à la citoyenneté, sensibilise de manière ludique les 12-18 ans au patrimoine local et à l’histoire, leur histoire. Il a notamment été récompensé en 2019 du premier prix national "Civisme et dévouement à la collectivité" de l’Union fédérale des Anciens combattants et victimes de guerre.
Union Fédérale des anciens Combattants du Centre Tarn
www.memoire-centretarn.fr
L’APPLI > Tapez hexalinks.fr dans la barre de votre navigateur > Flashez le visuel > Accédez au contenu enrichi |