Les services spéciaux et leurs archives
Sous-titre
Par le Service historique de la défense (SHD)
Longtemps connues sous l’appellation "fonds du Bureau central de renseignements et d’action", les archives des services spéciaux français de la Seconde Guerre mondiale sont arrivées au Château de Vincennes au terme de longues tribulations, passant de main en main, d’une rive à l’autre de la Manche ou de la Méditerranée. Versées définitivement au Service historique de l’armée de Terre par la Direction générale de la sécurité extérieure en décembre 1999, en cours de classement depuis 2013, ces archives étaient conservées en fait en dépôt dans un local sécurisé vincennois depuis plus longtemps.
Des archives attendues
Si les premiers versements datent du milieu des années 1970, une partie importante de ces archives a été déposée au Château de Vincennes en septembre 1986, sur décision du ministre de la Défense de l’époque, André Giraud. Celle-ci faisait suite à la polémique déclenchée par les déclarations d’un ancien chef du Service de documentation et de contre-espionnage (SDECE), Alexandre de Marenches, publiées dans un livre d’entretiens avec la journaliste Christine Ockrent, intitulé Dans le secret des princes. Alexandre de Marenches y affirmait que le SDECE conservait des archives allemandes de la Seconde Guerre mondiale saisies par les services spéciaux français. Il indiquait surtout que certaines de ces archives faisaient mention de l’activité collaborationniste de personnalités françaises considérées jusqu’alors comme de parfaits résistants. Cette information, relayée dans les médias, provoqua un certain émoi dans l’opinion, notamment chez ceux qui avaient combattu dans l’ombre contre l’occupant allemand.
Pour faire taire les rumeurs et dissiper le doute qu’avaient fait naître ces déclarations, le ministre de la Défense décida de transférer ces archives au Service historique de l’armée de Terre (SHAT) et demanda à ce que la Commission nationale consultative de la Résistance les examine. Quelques mois plus tard, ces archives déménagées du fort de Noisy-le-Sec au Château de Vincennes furent classées et inventoriées par les archivistes du SHAT, tout en restant sous la responsabilité des services de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) qui devaient pouvoir y accéder en tant que besoin pour y effectuer des recherches. En 1999, afin de se conformer à la circulaire du Premier ministre sur l’accès aux archives de la Seconde Guerre mondiale, tous les fonds datant de cette période étaient définitivement versés au SHAT.
Un ensemble documentaire riche et disparate
Cet ensemble documentaire représente aujourd’hui un total d’environ 500 mètres linéaires, auxquels il faut ajouter des fichiers papier conservés dans 13 meubles à tiroirs. Décrire ces fonds n’est pas chose aisée, tant est grande la diversité de leur provenance et des thématiques abordées. On peut cependant se risquer à une présentation synthétique de ces fonds en prenant comme fil conducteur la zone géographique dans laquelle ils ont été constitués. Plusieurs lots peuvent ainsi être distingués.
Le premier est constitué par les archives produites à Londres par le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), créé dès 1940 par André Devawrin, alias colonel Passy, sous le nom de 2e bureau, sous l’autorité du général de Gaulle. Transférées en France après la guerre, ces archives sont, pour partie, versées aux Archives nationales et, pour le reste, conservées par les services spéciaux. S’il est difficile de comprendre comment s’est faite la répartition à cette époque, il est manifeste que les services spéciaux ont gardé une grande partie des archives relatives au contre-espionnage, l’ensemble des dossiers individuels, notamment ceux des agents appartenant aux Forces françaises combattantes (FFC), ainsi que les documents comptables et financiers.
Le second ensemble a été réuni à Alger. Il s’agit de la production de services de contre-espionnage qui se sont succédé en Afrique du Nord des années 1930 à 1944, dont ceux relevant de Vichy. On y trouve quelques archives antérieures à la Seconde Guerre mondiale produites par la Section d’étude et d’Afrique (SEA), équivalent du Service de centralisation de renseignement (SCR) en métropole, des dossiers provenant des Bureaux des menées antinationales (BMA) et des Travaux ruraux (TR), actifs de 1940 à 1942, ainsi que l’ensemble de la documentation de la Direction de la sécurité militaire (DSM), créée en 1942 par le colonel Paillole. Ces fonds d’archives ont été, comme ceux de Londres, transférés à l’automne 1944 à Paris.
Le dernier ensemble regroupe les archives produites dans la capitale et les régions militaires françaises à partir d’août 1944 par la Direction générale des services spéciaux, qui succède aux services algérois et londoniens, et devient, en novembre 1944, la Direction générale des études et recherches (DGER). Ce service est notamment chargé à la Libération de lutter contre les actions ennemies et de rechercher collaborateurs et criminels de guerre. Il est composé d’un échelon central basé à Paris et d’antennes implantées dans les régions militaires et à l’étranger appelées Bureaux de sécurité militaire (ou Bureaux de documentation à partir de novembre 1944). Une partie de ces bureaux de documentation verseront plus tard leurs archives à la DGER.
Un classement en cours
En décembre 1945, la DGER devient le Service de documentation et de contre-espionnage (SDECE) qui hérite ainsi des fonds constitués à Londres, Alger et Paris. Au fil des années, ces archives ont été reclassées et reconditionnées par le personnel du SDECE, faisant ainsi disparaître bien des indications sur leur provenance. A contrario, si certains documents ont été indexés et rendus accessibles par des fichiers manuels ou une base informatique, d’autres, pour n’avoir pas été exploités, n’ont jamais été inventoriés. Un récolement global des fonds opéré dans les années 2000, quelques instruments de recherche partiels ont malgré tout permis aux archivistes de Vincennes de s’orienter dans ces archives et d’opérer des recherches ponctuelles au profit des historiens. Ce n’est qu’en 2013 que la décision de classer cet ensemble a été prise. Le travail, actuellement en cours, est réalisé par quatre archivistes, assistés ponctuellement de vacataires ou de stagiaires, et a reçu en 2015 l’appui de l’Institut historique allemand, en partenariat avec l’université de Trèves et le Centre de recherche d’histoire quantitative de l’université de Caen. Le traitement de ces fonds n’est pas aisé car, pour la plupart d’entre eux, la cohérence originelle est perdue : ainsi, une grande partie a été intégrée dans une série documentaire continue, composée de plus de 700 000 pièces (série P), sans logique chronologique ou thématique. Les archivistes tentent donc de reconstituer les dossiers d’origine à partir des références portées sur les documents ou d’anciens inventaires qui permettent de retrouver le classement adopté initialement par les producteurs.
Aujourd’hui, sur près de 500 mètres linéaires, 200 environ sont classés et inventoriés. Au sein du cadre de classement des archives de la Guerre, une nouvelle sous-série (GR 28 P) a été créée. Les instruments de recherche des archives des services spéciaux de la Seconde Guerre mondiale sont accessibles en salle de lecture Louis XIV au Château de Vincennes et sur le site Internet du Service historique de la défense. L’entreprise de traitement se poursuit et pourrait être achevée à la fin 2017.