Policiers et agents allemands en France occupée
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Par Thomas Fontaine - Historien, chercheur associé au Centre d’histoire du XXe siècle, Paris 1
"La Gestapo" ! La police politique nazie résume généralement notre vision des agents allemands ayant opéré en France occupée. Pourtant, les profils sont multiples et sortent pour certains de nos représentations habituelles. Surtout, les membres de la Gestapo sont tout d’abord très peu à être envoyés en France occupée, où la répression relève d’abord de la responsabilité de l’administration militaire et de sa police de campagne, la Geheime Feldpolizei (GFP).
Une police militaire au service de la répression
Les membres de la Geheime Feldpolizei (GFP) sont pour partie des policiers de métier, issus en majorité de la police criminelle. C’est le cas d’Hermann Herold (voir diaporama) qui, de 1940 à 1944, opère en France occupée, à des postes de responsabilité. Né en 1891, il entre dans la police après sa démobilisation, en 1919. Il devient commissaire de police criminelle en 1924, à Stuttgart. De 1929 à 1935, il est le chef de la police criminelle à Heilbronn. Adhérent au NSDAP en 1937, il n’est pas membre de la SS. Au début de la guerre, on lui confie la direction d’une unité de la GFP devant opérer à l’Ouest. La victoire contre la France le mène jusqu’à Bordeaux, où il s’installe d’abord. En décembre 1940, il est nommé Leitender Feldpolizeidirektor auprès du district d’administration militaire C de Dijon (Besançon, Dijon, Nancy, Troyes). Il dirige alors l’action de plusieurs groupes régionaux de la GFP, qui est alors la principale police répressive de l’occupant.
Cette force est très largement transférée à la SIPO-SD lorsque celle-ci se voit confier les rênes de la répression en mai-juin 1942. Une vingtaine de groupes de la GFP, d’une centaine d’hommes chacun, changent d’uniforme et rejoignent la SIPOSD : il s’agit de ne pas perdre les compétences de policiers qui, depuis deux ans, travaillaient efficacement sur le terrain. Plusieurs cadres policiers dirigeants du Militärbefehlshaber sont également retenus par la SIPO-SD pour jouer un rôle dans son organigramme, parmi lesquels Herold qui devient, en juin 1942, le Kommandeur der SIPO-SD (KdS) à Poitiers, pour la région couvrant les départements de la Charente, de la Charente-Inférieure, des Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Vienne. Il le restera jusqu’à l’évacuation des services allemands, à l’été 1944.
Des espions policiers
À la SIPO-SD, Herold travaille avec d’autres cadres issus cette fois du SD, le service de renseignement du parti. C’est l’autre profil marquant du groupe des policiers et agents allemands en France occupée. Roland Nosek (voir diaporama), âgé de 33 ans en 1940, qui, comme Herold, parle couramment le français, en est une illustration. Spécialiste du renseignement, c’est en 1939 le responsable du service VI de la SIPO-SD de Wiesbaden. En mai 1940, son chef, Max Thomas, lui demande de suivre les troupes allemandes dans leur progression à l’Ouest, afin d’étudier les possibilités d’une activité du SD dans les futurs territoires occupés. C’est sans doute le premier agent de la SIPO-SD qui arrive à Paris en juin 1940, avant même Helmut Knochen qui va prendre la direction du premier détachement de la SIPO-SD en France occupée, celui envoyé pour se renseigner et traquer les ennemis du Reich. Nosek est d’abord chargé de collecter des renseignements politiques sur la France, au sein d’une section VI-P.
Ces cadres du SD sont des hommes jeunes, majoritairement issus de la classe moyenne urbaine, diplômés dans 60% des cas, surtout en droit, titulaires d’un doctorat pour un tiers d’entre eux, qui ont adhéré aux idées nationalistes, antirépublicaines, anticommunistes et antisémites durant leur cursus universitaire. C’est la défaite de 1918, et le puissant traumatisme d’une nation allemande qui a failli sombrer qui expliquent principalement leur "entrée en politique". Idéologues et experts dans leur domaine, ce ne sont pas de simples administratifs du renseignement et de l’action policière. Ils doivent cibler les ennemis politiques du Reich, les "mettre en fiches", pour mieux les combattre. Leurs carrières, souvent rapides, alternent les fonctions exécutives de terrain et celles de direction dans les bureaux berlinois de l’administration centrale de la SIPO-SD.
Une police politique
Les membres de la Gestapo, la police politique du régime, sont choisis afin de disposer d’experts du travail policier et du droit pénal nazi. Juristes et fonctionnaires y sont en plus grand nombre. Toutefois, ces experts sont également marqués par une vision radicale, violente et idéologique du monde. Dans le premier détachement de la SIPO-SD en France occupée, Heinrich Müller, le chef de la Gestapo à Berlin, a placé Karl Boemelburg, un policier expérimenté, né en 1885, qui connaît bien ses homologues français et qui est un spécialiste de la question communiste. Mais les différents services de la SIPO-SD ne sont évidemment pas tous peuplés de cadres expérimentés. Le manque de personnel est évident et le recrutement doit composer avec les besoins en hommes de l’Allemagne. Ainsi, celui qui interrogea à Paris le général Delestraint puis Jean Moulin (voir "Mauvaise nouvelle" de France), Ernst Misselwitz, n’était pas un policier de métier mais un ouvrier de formation, ayant adhéré tôt au parti nazi, dès 1932, muté dans la GFP au moment de la guerre et envoyé en France parce qu’il en connaissait la langue. Il devint pourtant l’un des cadres du service IV E, celui d’Hans Kieffer, chargé de la répression de la "Résistance nationale".
Ajoutons que le groupe des cadres de la Gestapo est en partie renouvelé fin 1943 par l’arrivée de fonctionnaires policiers sortant d’une expérience sur le front de l’Est. Le débarquement allié est devenu une évidence attendue et il s’agit pour Berlin d’y faire face en positionnant des hommes adeptes de méthodes plus radicales et violentes.
Thomas Fontaine - Historien, chercheur associé au Centre d’histoire du XXe siècle, Paris 1