Le tourisme de mémoire en Ile-de-France
Sommaire
En résumé
DATE : 25 août 2019
LIEU : place Denfert-Rochereau, Paris
ISSUE : inauguration du nouveau musée de la Libération de Paris - musée du général Leclerc - musée Jean Moulin
En Île-de-France, le tourisme de mémoire est un secteur en pleine mutation. Fort de la dynamique créée par les cycles commémoratifs de la Grande Guerre et de la Seconde Guerre mondiale, le territoire voit ses sites de mémoire intégrer peu à peu, sous l'impulsion d'acteurs comme le ministère des armées, l'offre culturelle de la région.
L’Île-de-France a toujours été le décor des heures décisives de l’histoire du pays. Les Francs établirent dès le VIe siècle leur capitale à Paris. Plus tard, les rois y résidèrent, d'abord au Louvre, ensuite à Versailles. À la Révolution, le pouvoir central revint s'établir dans la Ville Lumière et ne la quitta que temporairement, lors de la Commune de Paris et des deux guerres mondiales.
Une région marquée par les conflits contemporains
À côté d’une histoire glorieuse, la région a aussi ses lieux de confrontations et de drames liés aux conflits contemporains : Champigny-sur-Marne, où se déroula en 1870 l’une des plus sanglantes batailles de la guerre franco-prussienne ; Drancy et sa Cité de la Muette, d’où partirent d'août 1941 à août 1944 la majorité des 74 000 Juifs déportés vers les camps de la mort ou encore la station du métro Charonne à Paris avec la répression sanglante d’une manifestation contre l’OAS et la guerre d’Algérie en février 1962. Comme partout en France, des lieux de souvenir et de recueillement sont apparus au fil du temps pour honorer les héros et les victimes civiles et militaires de ces conflits.
À titre d'exemple, la tombe du Soldat inconnu, installée le 11 novembre 1920 sous l’Arc de Triomphe à Paris, revêt une portée nationale. Le deuil de la Grande Guerre a également amené les communes à rendre hommage à leurs morts pour la patrie. Dans les années vingt, ce sont quelque 35 000 monuments aux morts qui sont érigés malgré les difficultés de la reconstruction. Seules quelques rares communes n'ont pas de monument aux morts, comme Paris, qui a inauguré, le 11 novembre 2018, un mémorial rassemblant les noms des 94 415 Parisiens morts au combat et des 8 000 disparus. Installé sur le mur d’enceinte du cimetière du Père-Lachaise, le long du boulevard de Ménilmontant, il mesure plus de 280 mètres de long.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, des plaques individuelles (plus de 1 000 dans Paris intra-muros) rendent hommage aux combattants et aux victimes. Beaucoup, apparues dès le 25 août 1944, concernent les héros de la Libération. Chaque plaque est apposée sur le lieu même où s’est déroulé l’événement, avec le plus souvent la mention "Ici est tombé...", mêlant ainsi une mémoire personnelle à une mémoire collective, celle d’un groupe, d’une ville ou d’un pays. Si le souvenir des deux guerres mondiales est palpable dans le paysage et sur les murs des villes d'Île-de-France, ces dernières années des musées et mémoriaux sont venus compléter l'offre mémorielle.
Enrichir l'offre mémorielle
Le rôle de ces sites est d’apporter des éléments de compréhension aux visiteurs. En cela, ils font régulièrement l'objet de rénovations pour s'adapter aux besoins de nouveaux publics, en particulier les scolaires. L’un des premiers à être inauguré dans la région est le musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne en 1985, dont les collections se sont enrichies, depuis 1965, de milliers de donations et de dépôts privés ou publics. Elles témoignent de l'histoire sociale française de 1929 à 1947 et représentent un ensemble unique sur la Résistance intérieure par le nombre et la variété des pièces exposées. Le musée connaît aujourd’hui une rénovation importante et rouvrira ses portes à l’horizon 2020.
Le mémorial du général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris - musée Jean Moulin, installé au milieu des années 1990 au-dessus de la gare Montparnasse, met en lumière la libération de Paris. Repensé dans un nouveau parcours muséographique, le musée sera inauguré le 25 août prochain sur un nouveau site, place Denfert-Rochereau, où se situait en sous-sol le PC du colonel Rol-Tanguy, chef des Forces françaises de l’intérieur (FFI).
D'autres sites, notamment en Seine-Saint-Denis, ont été diversement investis par l’État, les collectivités territoriales et les associations de mémoire depuis la guerre. À Drancy par exemple, un centre d'interprétation est créé en 2012, face à la cité de la Muette, par le Mémorial de la Shoah, le site de Paris ayant ouvert le 27 janvier 2005. La ville de Bobigny propose depuis 2011 des visites de l’ancienne gare d'où partirent des dizaines de convois de déportés entre mars 1942 et août 1944. Des aménagements mémoriels et paysagers compléteront l’offre proposée.
S'agissant de la Première Guerre mondiale, un musée doté d’une riche collection a été inauguré le 11 novembre 2011 à Meaux, le musée de la Grande Guerre. Pointe extrême de l’avancée des troupes allemandes, Meaux et ses communes voisines possèdent un patrimoine historique peu valorisé et jusqu’alors méconnu du grand public. La création du musée rappelle que le front est bien venu jusqu’aux portes de Paris. Au-delà de la légitimité historique de son implantation, le musée, comme tout équipement structurant, assume la fonction de levier de développement pour son territoire. Des lieux plus intimistes entretiennent le souvenir de la Grande Guerre, comme le musée Clemenceau à Paris, restauré en 2017, composé de l’appartement du Père la Victoire avec son aménagement d’origine, et d’une salle documentaire à l’étage supérieur.
Un patrimoine qui engage le ministère des armées
Le ministère des armées, via sa direction des patrimoines, de la mémoire et des archives, tient un rôle majeur dans la valorisation de ce patrimoine mémoriel et historique en Île-de-France. Deuxième acteur culturel de l’État après le ministère de la culture, il a sous sa responsabilité plusieurs musées et mémoriaux consacrés à l’histoire des conflits contemporains, dont une dizaine en région parisienne : cinq grands musées (le musée de l’Armée, le musée national de la Marine, le musée de l’Air et de l’Espace, le musée du Service de santé des armées, le musée de l’Ordre de la Libération), trois hauts lieux de la mémoire nationale (le mémorial du Mont-Valérien, le mémorial des Martyrs de la Déportation et le mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie), un ossuaire où reposent les dépouilles de soldats français et allemands de la guerre de 1870 (Champigny-sur-Marne), cinq nécropoles en Seine-et-Marne, regroupant les sépultures de 2 414 soldats morts pour la France lors de la Première Guerre mondiale, ainsi que près de 2 400 sépultures réparties dans 30 carrés militaires aménagés dans les cimetières communaux de la région Île-de-France. Nombre de ces sites ont bénéficié de rénovations importantes ces dernières années. Au coeur de l'Hôtel national des Invalides, le musée de l’Armée a connu différentes refontes avec notamment la création des salles Première et Seconde Guerres mondiales, suivie par l’ouverture de l’historial Charles de Gaulle, espace multimédia interactif consacré à l’action du chef de la France libre puis président fondateur de la Ve République. Après plusieurs années de travaux, le musée de l'Ordre de la Libération a rouvert ses portes en 2015.
Divers travaux et projets ont par ailleurs été conduits dans les hauts lieux de la mémoire nationale et dans les nécropoles : refonte globale du mémorial des Martyrs de la Déportation de l’Île de la Cité, création de nouveaux espaces muséographiques, d’une nouvelle signalétique et d’un espace pédagogique au Mont-Valérien. Les nécropoles de Chambry et de Chauconin-Neufmontiers, dite "la Grande Tombe de Villeroy", classée Monument historique où est notamment inhumé Charles Péguy, ont été restaurées dans le cadre du centenaire. Enfin, des travaux conséquents sont en cours dans deux grands musées Défense : la rénovation complète du musée national de la Marine au Trocadéro et la réhabilitation de la salle des huit colonnes du musée de l’Air et de l’Espace au Bourget.
Le patrimoine des armées propose par ailleurs des programmations culturelles, scientifiques et pédagogiques riches et variées, comme les Rendez-vous du Mont-Valérien ou l'exposition "Picasso et la guerre" au musée de l’Armée, qui contribuent à la dynamique mémorielle du territoire.
Intégrer l'offre historique de la région et structurer le secteur
Les cycles du centenaire de la Première Guerre mondiale et du 70e anniversaire de la libération du territoire ont contribué à accroître l’intérêt des visiteurs pour le tourisme de mémoire. Les chiffres de fréquentation des musées, mémoriaux et centres d’interprétation équipés d’espaces d’accueil ne cessent de progresser en France métropolitaine par rapport à la période précédant ces cycles commémoratifs (plus de 25 % par rapport à 2012 et 2013).
La Normandie reste le territoire de mémoire le plus fréquenté, suivie par l’Île-de-France grâce à l’attractivité des musées et mémoriaux de renommée internationale à Paris. Parmi les 16 sites les plus fréquentés en 2018 en Île-de-France, les trois premiers sont des sites liés à l’histoire des conflits contemporains : l’Arc de Triomphe en 6e position avec près de 1,7 M de visiteurs (+6,4 %/2017), le musée de l’Armée en 9e position avec plus d’1,2 M de visiteurs (+2,7%) et le Panthéon en 15e place avec près de 0,86 M de visiteurs (+19%). À l'inverse, certains sites souffrent de difficultés d’accès et ne reçoivent que 10 à 15 000 visiteurs par an malgré la qualité de leur offre.
Ce tourisme culturel spécifique doit s’insérer dans l’offre générale, en particulier historique. Sur le site Internet du comité régional du tourisme, pour la découverte de Paris et de sa région, les sites mis en avant sont ceux qui privilégient les grandes figures ou événements de l’histoire nationale : Louis XIV, Napoléon et la Grande Guerre. En revanche, la Seconde Guerre mondiale est peu représentée.
Un travail de structuration et de promotion est donc nécessaire pour que les sites liés à l’histoire des conflits contemporains soient intégrés dans l’offre globale proposée aux visiteurs. Le ministère des armées travaille déjà dans ce sens depuis plusieurs années en veillant à la mise en réseau des structures muséales avec d’autres sites culturels et touristiques. Depuis 2014, il a contribué à la modernisation ou la création d’une vingtaine de projets sur le territoire national dont cinq en Île-de-France. Deux sont achevés : le monument de l'Escadrille La Fayette et le musée Georges Clemenceau. Trois sont en cours : les transferts du musée du général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération – musée Jean Moulin, d'une part, et du musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne, d'autre part, ainsi que la réhabilitation de l'ancienne gare de Bobigny.
Mémorial de l’escadrille La Fayette, Marnes-La-Coquette. © Olivier Le Conte/ECPAD
Il participe aux projets de valorisation, notamment via un appel à projets Défense-Tourisme "Services numériques innovants destinés au tourisme de mémoire et d’histoire en France". Seize lauréats sur deux éditions (2016-2018) ont été récompensés dont un projet de visite augmentée de la bataille de l'Ourcq par un "chatbot" (assistant interactif conversationnel) au musée de la Grande Guerre à Meaux.
Le ministère travaille également à la professionnalisation des acteurs du tourisme de mémoire via notamment les séminaires qu’il anime dans le cadre du réseau des musées et mémoriaux des conflits contemporains (MMCC) qui regroupe à ce jour près de 130 sites sur l’ensemble du territoire. Fin 2019, des journées d’études seront programmées en Île-de-France pour évoquer les questions de rénovation des sites et des espaces muséaux et réfléchir à leur ancrage territorial.
Poursuivre ce travail de structuration, en lien avec l’ensemble des partenaires concernés, comme le ministère en charge du tourisme, les collectivités (Région, Ville de Paris, le Grand Paris…) et les sites eux-mêmes, est donc l'enjeu principal de ces prochaines années. Plusieurs axes devront être développés. Il convient de mener une réflexion pour créer plus d’interaction et de cohérence historique avec les régions limitrophes marquées par les conflits contemporains (Normandie et territoires de l’ancienne ligne de front Grande Guerre) et d’intégrer les lieux de mémoire dans le réseau des sites historiques du territoire, afin de rendre l’offre plus visible. Le secteur pourrait être davantage structuré en réfléchissant avec les acteurs concernés aux enjeux liés au développement des territoires en termes d'accueil, de mobilité, médiation, ou encore promotion. Enfin, il est essentiel de s’appuyer sur ces sites de mémoire pour favoriser la cohésion nationale par la construction et la transmission d’une mémoire partagée sur la base de valeurs communes.
Musée Clemenceau (Paris)
Galerie documentaire du musée Clemenceau. © photo : J. Lentignac
Situé dans le 16e arrondissement, le musée Clemenceau occupe la résidence où le Tigre a vécu pendant les dernières années de sa vie. Au rez-de-jardin, le visiteur découvre l’appartement du grand homme conservé en l’état depuis le jour de son décès. Au premier étage, la galerie documentaire retrace, à partir de nombreuses archives, la vie et l’oeuvre de Georges Clemenceau. Rénovée avec l’aide financière du ministère des armées, elle a été inaugurée en novembre 2017.
Musée de l’Ordre de la Libération (Paris)
Musée de l’Ordre de la Libération, Paris. © Ordre de la Libération
Situé au coeur de l’Hôtel des Invalides, ce musée est dédié à l’Ordre fondé par le général de Gaulle en 1940 pour distinguer les 1 059 Compagnons, unités militaires et lieux qui ont oeuvré de manière exceptionnelle à la libération du pays. Ses collections retracent le parcours des combattants de la France libre, des résistants de l'intérieur et de ceux qui furent déportés pour avoir résisté à l'oppression nazie. Ouvert en 1970, le musée a été entièrement rénové entre 2012 et 2015.
Musée de l’air et de l’espace (Seine-Saint-Denis)
Musée de l’Air et de l’Espace au Bourget. © photo : Jean-Philippe Lemaire
Créé au lendemain de la Première Guerre mondiale, installé sur l’aéroport de Paris-Le Bourget en 1975 et rénové entre 2012-2019, le musée de l’Air et de l’Espace est l’un des premiers musées aéronautiques au monde, par son ancienneté et ses collections exceptionnelles. À la fois site historique, musée de sciences et techniques, et musée d’histoire, il conserve et présente un panorama complet de l'épopée de l’aérostation, de l’aviation et de la conquête spatiale.
Auteur
Laure Bougon - Chef de la section Tourisme de mémoire, DPMA
Articles de la revue
-
L’évènement
Libération de Paris - Un écrin pour un nouveau musée
Le 25 août 2019, Paris fête le 75e anniversaire de sa libération. Pour le musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin, inauguré ce jour-là place Denfert-Rochereau, c’est une nouvelle page de son histoire, commencée il y a 25 ans, qui est en train de s’écrire. ...Lire la suite -
L’acteur
Le MRN, un musée pour demain
Champigny-sur-Marne s'apprête à accueillir un tout nouveau musée de la Résistance nationale (MRN) entièrement repensé, avec des espaces dédiés aux expositions dans un nouveau bâtiment et un lieu de recherche dans le site historique. Un projet ambitieux pour faire redécouvrir la Résistance.
Lire la suite -
L’entretien
Philippe Apeloig
Graphiste et typographe, Philippe Apeloig a rassemblé dans un beau livre les photographies de toutes les plaques commémoratives parisiennes de la Seconde Guerre mondiale. Entre typographie et mémoire, ces plaques nous révèlent toute l’histoire tragique de cette période.
Lire la suite