Radio Londres, une arme de guerre
Sommaire
6 mai : décret-loi relatif au contrôle de la presse étrangère.
29 juillet : création d?un Commissariat général à l'Information dirigé par Jean Giraudoux ; création de l'administration de la Radiodiffusion française nationale.
24 août : décret-loi autorisant la saisie et la suspension des publications de nature à nuire à la défense nationale.
27 août : décret-loi relatif au contrôle de la presse et de publications en temps de guerre (saisie de toute publication faite en violation des mesures prévues par la loi du 11 juillet 1938).
12 septembre : décret complétant le décret du 27 août 1939 pris en application du décret du 24 août 1939 concernant le contrôle de la presse et de publications.
4 avril : création du ministère de l?Information sous le gouvernement Paul Reynaud, titulaire Ludovic-Oscar Frossard.
10 avril : Jean Giraudoux président du Conseil supérieur de l'Information.
6 juin : Jean Prouvost nommé ministre de l'Information.
14 juin : entrée des Allemands dans Paris ; fermeture des Éditions Denoël et des Éditions Sorlot en raison de leurs publications hostiles à l?Allemagne.
17 juin : demande française d'armistice ; départ du général de Gaulle pour Londres ; reparution du Matin et de la Victoire.
18 juin : appel du général de Gaulle à poursuivre la lutte.
19 juin : Jean Prouvost nommé haut-commissaire à l'Information dans le gouvernement Pétain ; débuts de l?émission de radio de la France Libre "Ici la France".
22 juin : signature de l'armistice franco-allemand à Rethondes ; reparution de Paris-Soir à Paris et d'un autre Paris-Soir, vichyste, en zone sud.
25 juin : interruption des émissions radiophoniques en application de la Convention d'armistice.
28 juin : mise en place de la Propaganda Staffel (escadron de propagande) pour le contrôle de la censure et le développement de la propagande ; reconnaissance du général de Gaulle comme chef des Français libres par la Grande-Bretagne.
30 juin : réquisition des Messageries Hachette, organisme de distribution de la presse, et création en lieu et place des Messageries de la Coopérative des Journaux Français par les Allemands ; Marcel Déat directeur politique de L'Oeuvre.
2 juillet : installation du gouvernement français à Vichy.
3 juillet : réquisition des locaux de la Librairie Hachette par les Allemands.
5 juillet : création de Radio-Vichy par le gouvernement français de Vichy.
7 juillet : reprise des émissions radiophoniques sur Radio-Paris et Radio-Vichy.
11 juillet : promulgation par le maréchal Pétain de l'État français ; réouverture à Paris du Théâtre de l'Oeuvre ; parution du premier numéro du journal collaborationniste La Gerbe.
12 juillet : parution du premier numéro de l?hebdomadaire antisémite Au Pilori.
14 juillet : débuts de l'émission de radio de la France Libre "Les Français parlent aux Français".
18 juillet : entrée en fonction de la Propaganda-Abteilung Frankreich (Département de la propagande en France) dirigée par Joseph Goebbels ; Radio-Paris récupérée par la Propaganda-Abteilung Frankreich pour sa chaîne de radio de propagande diffusée dans la France occupée.
Parution de la première brochure clandestine Conseils à l'occupé de Jean Texcier.
16 août : loi de l'État français instituant des Comités d'organisation pour chaque secteur économique.
17 août : reparution à Paris de L'Illustration.
21 août : décret du ministre de l'Instruction publique portant sur la révision annuelle des livres scolaires.
27-28 août : saisie à Paris puis dans toute la zone occupée de livres jugés indésirables par les autorités allemandes et fermeture de maisons d'édition.
30 août : ordonnance allemande relative à l?interdiction de livres de classe français.
Diffusion du tract "Vichy fait la guerre" de Jean Cassou, de la seconde brochure de Jean Texcier Notre combat ; parution du premier numéro du journal clandestin La Vérité française.
10 septembre : parution du premier numéro d?Aujourd'hui d'Henri Jeanson remplacé par Georges Suarez en novembre.
23 septembre : nouvelles saisies de livres et fermeture de maisons d'édition par les Allemands.
28 septembre : première "Liste Otto - Ouvrages retirés de la vente par les éditeurs ou interdits par les autorités allemandes" ; convention sur la censure des livres entre le Syndicat des éditeurs et la Propaganda-Staffel.
Parution du premier numéro clandestin de Pantagruel de Raymond Deiss, de Arc de Jules (Probus) Correard intitulé Libre France, de L'Étendard.
8 octobre : parution dans le nord du journal clandestin L'Homme libre ; reparution du Petit Parisien autorisée par les Allemands.
14 octobre : parution du journal collaborationniste Le Cri du Peuple de Jacques Doriot.
18 octobre : ordonnance allemande imposant, entre autre, aux personnes souhaitant fonder un journal de fournir des preuves de leur "aryanité" depuis au moins trois générations.
29 octobre : création de l'Agence française d'information de presse, relais de l'agence officielle d'information du Reich.
30 octobre : discours du maréchal Pétain annonçant aux Français qu'il entre dans la voie de la collaboration.
Parution du premier numéro clandestin de L'Université libre de Jacques Solomon.
1er novembre : parution du journal pro-allemand Les Nouveaux Temps de Jean Luchaire.
11 novembre : parution du premier numéro du mensuel clandestin L'Alsace, journal libre de Camille Schneider.
25 novembre : création de l'Office français d?information par l'État français, successeur de la branche information de l'agence Havas ; parution à Marseille du premier numéro clandestin de Liberté de François de Menthon.
Parution du premier numéro clandestin de Libération-Nord (le 1er), de l'Atelier, hebdomadaire du travail français (le 7), de Résistance (le 15).
1941 : Création du Comité national des écrivains, organe de la Résistance littéraire.
Janvier : parution du premier numéro du journal clandestin Valmy de Raymond Burgard.
Février : reparution du Pays libre de Pierre Clémenti (le 1er), de l'hebdomadaire pro-allemand Je suis partout avec comme rédacteur en chef Robert Brasillach (le 7), sortie à Paris du film Le Juif Süss.
6 mars : parution du premier numéro du journal collaborationniste l'Appel de Pierre Costantini.
17 avril : création à Paris du Centre syndicaliste de propagande par l'équipe du journal syndicaliste L'Atelier.
18 avril : menace de sanctions du secrétaire général à l'Information, Paul Marion, aux journaux dérogeant aux consignes de la censure.
3 mai : décret de l'État français portant création d'un Comité d'organisation des industries, arts et commerces du livre (dit Comité d'organisation du livre) chargé des problèmes économiques et techniques relatifs à la profession.
9 juin : décret de l'État français instituant un Conseil du livre français chargé des questions relatives à "l'orientation intellectuelle à donner à la production des livres, le développement de la lecture publique et la diffusion du livre français".
22 juin : appel de L'Humanité clandestine à la lutte contre l'occupant et les collaborateurs.
Parution du premier numéro clandestin de Libération-Sud.
Parution du premier numéro de Résistance, deuxième organe clandestin à porter ce nom.
15 août : premier numéro du journal clandestin Défense de la France.
5 septembre : interdiction en zone libre de la revue Esprit et de l?hebdomadaire catholique Temps nouveau.
12 octobre : premier numéro de la Révolution nationale d'Eugène Deloncle, chef de la Cagoule.
1er novembre : premier numéro de l'hebdomadaire collaborationniste Le Rouge et le Bleu de Charles Spinasse.
Parution du premier numéro clandestin des Cahiers du Témoignage chrétien du père Pierre Chaillet (le 1er), de Franc-Tireur et Socialisme et Liberté.
15 décembre : décret du secrétaire d'État à l'Éducation nationale et à la jeunesse soumettant les manuscrits des livres scolaires à la censure du secrétariat d'État.
Parution du premier numéro clandestin de France d'Abord de Charles Tillon.
1er mars : inauguration à Paris de l'exposition Le bolchevisme contre l'Europe.
1er avril : décret de l'État français instituant une Commission de contrôle du papier d'Édition.
27 avril : ordonnance allemande tendant à assurer l'utilisation rationnelle du papier d'imprimerie.
29 mai : parution du premier numéro clandestin du Populaire en zone sud.
23 juin : discours à la BBC du général de Gaulle condamnant la IIIe République et le régime de Vichy.
8 juillet : deuxième édition de la liste Otto intitulée "Ouvrages littéraires français non désirables".
20 septembre : parution du premier numéro clandestin des Lettres françaises de Claude Morgan.
21 octobre : parution du premier numéro de Résistance, troisième organe clandestin à porter ce nom.
Diffusion "officielle" du Silence de la mer, de Jean Bruller alias Vercors, publié en février aux Éditions de Minuit clandestines.
10 janvier : ordonnance allemande interdisant "toute publication qui nuit au prestige du Reich allemand, qui est préjudiciable à l'ordre et au calme dans les territoires occupés ou qui met en danger les troupes d'occupation".
Avril : parution du premier numéro de la revue clandestine Les Cahiers politiques d'Alexandre Parodi.
12 avril : création d'une commission d'interdiction des livres scolaires par le secrétaire d'État à l'Éducation nationale et à la jeunesse.
10 mai : troisième édition de la liste Otto des "Ouvrages littéraires non désirables en France".
14 juillet : publication du recueil L'Honneur des poètes aux Éditions de Minuit.
Parution du premier numéro clandestin des Cahiers de Libération publiant le Chant des partisans.
9 avril : dissolution de l'Office français d'information.
6 mai : ordonnance du gouvernement provisoire de la République française réaffirmant la liberté de la presse.
6 juin : appel à la BBC du général de Gaulle à la mobilisation générale : "C'est la bataille de France et c'est la bataille de la France."
18 août : parution des derniers numéros des quotidiens parisiens ; dernière émission de Radio-Paris.
22 et 26 août : ordonnances fixant les critères économiques, financiers et moraux pour la réorganisation du secteur de la presse.
25 août : libération de Paris.
26 août : dernière émission de Radio-Vichy.
Création d'une Commission d'épuration de l'édition, animée notamment par Pierre Seghers, Vercors et Jean-Paul Sartre.
30 septembre : dissolution des titres de presse parus sous l'occupation ; création de l'Agence France-Presse.
17 novembre : le Comité d'organisation des industries, arts et commerces du livre devient Office professionnel du livre.
18 décembre : parution du premier numéro du quotidien Le Monde.
19 janvier : condamnation à mort de Robert Brasillach, rédacteur en chef du journal d?extrême-droite Je suis partout de 1937 à 1943.
2 février : création d'une Commission consultative d'épuration de l'édition.
30 août : création des Messageries françaises de presse.
17 septembre : condamnation à mort de Jean Hérold-Paquis, chroniqueur de Radio-Paris..
11 mai : création de la Société nationale des entreprises de presse portant sur la gestion des biens confisqués des entreprises de presse ayant collaboré pendant l'Occupation.
11 juillet : création du Centre de formation des journalistes.
30 septembre : dissolution de l'Office professionnel des industries, arts et commerces du livre.
2 avril : loi Bichet relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques organisant le système de distribution de la presse autour de trois principes fondamentaux et d'une instance de contrôle (la liberté de choix de l'éditeur, l'égalité des éditeurs face au système de distribution, la solidarité entre éditeurs-coopérateurs sous le contrôle du Conseil Supérieur des Messageries de Presse).
16 avril : création des Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP)
En résumé
DATE : 19 juin 1940
LIEU : Londres
ISSUE : Première émission de "Ici la France", qui devient "Les Français parlent aux Français" le 6 septembre 1940, sur les ondes de Radio Londres
GÉNÉRIQUE : "Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ! "
"La grande arme secrète, ce n’étaient pas les V1, V2, c’était la radio. Et ce sont les Anglais qui l’ont mise au point". Ainsi s’exprimait Jean Galtier-Boissière, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, témoin de la violence d’une guerre des ondes qui s’est jouée au quotidien entre trois radios majeures, Radio Paris, Radio Vichy et la BBC.
Dès 1925, Hitler avait écrit dans son livre Mein Kampf : "En période de guerre, les mots sont des armes". Quinze ans plus tard, la radio allemande était devenue une arme redoutable "aussi efficace que des chars sur les champs de bataille", selon le ministre de la propagande allemand, Joseph Goebbels. La bataille des opinions était lancée et, dans ce jeu de séduction et de propagande, la BBC allait remporter une victoire sur les cœurs et les esprits, devenant le fer de lance d’une résistance civile sans précédent.
Des lettres inédites retrouvées dans des cartons d’archives, en Angleterre, témoignent de cette relation unique tissée entre Radio Londres et ses auditeurs, et nous révèlent l’état de l’opinion publique de ces Français sous le joug allemand. "Chers amis anglais, merci pour le réconfort qu’apportent vos émissions aux Français restés avides de liberté, aux Français qui n’acceptent pas d’être mangés à la sauce hitlérienne, à ceux qui gardent au cœur, avec la rage impuissante contre les mauvais bergers, l’espoir tenace d’un relèvement" (une auditrice de Béziers, 20 juin 1940).
TABLEAU RADIOPHONIQUE
En septembre 1939, la France compte 6,5 millions de postes récepteurs, contre 9 millions en Angleterre et 13,7 en Allemagne où les dirigeants visent un objectif précis : anéantir l’ennemi par l’intoxication morale et la paralysie psychologique. Depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la nazification des médias soumet les citoyens du Reich à une propagande quotidienne sur les antennes de la Reichsrundfunk Gesellschaft, et leur interdit toute écoute des radios "ennemies" sous peine de lourdes sanctions.
En génie des ondes, Joseph Goebbels est à la manœuvre. Il développe le service international allemand et crée des postes noirs à destination du reste du monde. Ainsi, La Voix de la paix, drapée dans une opposition pacifiste et révolutionnaire d’extrême droite, est une radio clandestine lancée en décembre 1939 et, en janvier 1940, Radio Humanité complète le dispositif en s’adressant aux ouvriers français, à grands coups de dénonciation de cette guerre dite "impérialiste et capitaliste".
Face à cette machinerie, le gouvernement français refuse d’utiliser l’arme de guerre radiophonique. À ses yeux, la mission de la radio en guerre doit se borner à éclairer l’opinion, l’encadrer, diffuser une information, certes, dirigée et censurée, mais sans propagande virulente. L’erreur est de taille ! La radio d’État se coupe rapidement de son public, irrité de cette censure infantilisante et du ton trop élitiste de la Radiodiffusion nationale. Dès lors, des auditeurs français se tournent vers la BBC, le poste suisse Radio Sottens, et plus dangereusement vers les postes noirs allemands dont le plus beau fleuron, en matière de désinformation et d’intoxication, fut la sulfureuse Radio Stuttgart.
LA BBC ENTRE DANS LA GUERRE
En France, un homme a compris la force de la radio et des mots sur le champ de bataille, un officier quasi inconnu, interviewé pour la première fois le 21 mai 1940, à Savigny-sur-Ardres en Champagne-Ardenne. Au micro du journaliste Alex Surchamp, le colonel Charles de Gaulle, commandant la 4e division cuirassée, refuse le défaitisme et prédit que, par la force mécanique, viendra la victoire. Le 18 juin, il lance son appel à la résistance, depuis un studio de la BBC à Londres. La guerre des ondes s’engage.
Face à Radio Paris, entièrement sous la botte allemande, avec un programme mêlant propagande, diatribes acérées, divertissement et musique, et à Radio Vichy, le poste du Maréchal, au ton d’abord modéré, mais qui va bientôt adopter un discours plus hostile aux Alliés et faire l’apologie de la collaboration, la BBC sera l’un des plus beaux instruments de cette bataille hertzienne.
En juin 1940, avec ses six bulletins quotidiens d’informations, les services français de la radio de Londres sont encore balbutiants. Mais la défaite des troupes françaises et la mainmise des Allemands sur les médias nationaux précipitent la transformation de l’offre outre-Manche. Le 19 juin, une nouvelle émission, Ici la France, s’ajoute à l’ensemble, de 20h30 à 20h45, d’abord avec le journaliste Jean Masson, puis, à partir du 24 juin, avec Pierre Bourdan, de son vrai nom Pierre Maillaud, journaliste de l’Agence Havas à Londres, qui reprend un temps l’émission de 20h30 à 21h00.
Pierre Bourdan, une des voix célèbres de l’émission "Les Français parlent aux Français" à la BBC. © Rue des archives/Tallandier
Mais les Anglais entendent offrir aux auditeurs français un vrai rendez-vous, créatif, sans propagande affichée, avec la volonté d’informer, de soutenir le moral, de dire la vérité et de redonner l’espoir. Le 7 juillet, le metteur en scène Michel Saint-Denis, alias Jacques Duchesne, est désigné pour constituer une équipe totalement française avec ses programmes et ses aspirations nationales. Il va grouper autour de lui des hommes et femmes d’horizons divers, notamment Pierre Bourdan, chargé des commentaires de nouvelles, Yves Morvan, alias Jean Marin, mobilisé à la mission franco-anglaise d’information le 2 septembre 1939 et présent à la BBC depuis juin 1940, Jean Oberlé, ancien correspondant du quotidien Le Journal, Pierre Lefèvre, le plus jeune de la troupe, le poète et homme de cinéma Jacques Borel (Brunius à la radio), le dessinateur et antiquaire Maurice Van Moppès que Duchesne transformera en chansonnier, sans oublier la belle Geneviève Brissot. À la fin de l’année 1943, Pierre Dac complètera l’équipe. Sous le même intitulé Ici la France, l’équipe débute ses émissions le 14 juillet 1940, et prend le titre "Les Français parlent aux Français" le 6 septembre. Dénonçant l’occupation et les méfaits de la collaboration avec l’ennemi, l’émission sera une fenêtre sur le monde libre, une bouffée d’oxygène et d’espoir dans ce temps difficile.
De son côté, à partir du 18 juillet, de 20h25 à 20h30, la France libre dispose de cinq minutes d’antenne, sous le titre Honneur et Patrie, animées par Maurice Schumann, porte-parole du général de Gaulle . un rendez-vous rediffusé, dès le 9 décembre, dans le bulletin d’information de midi. Conscient de la force de cet outil moderne, de Gaulle sait que la BBC lui permettra de garder le contact avec les Français et d’insuffler l’esprit de la résistance.
Jacques Duchesne, à la tête de l’équipe de l’émission radio "Les Français parlent aux Français" à la BBC, vers 1942. © Rue des archives/PVDE
Même s’il n’interviendra que dans les grandes occasions - 67 fois en cinq ans - il devient une voix attendue des Français qui croient fermement que "la BBC, c’est de Gaulle !". Méprise évidente, car toutes les émissions sont soumises à une censure visée par les Britanniques, y compris celles du Général qui n’aura de cesse de développer la puissance de Radio Brazzaville pour y retrouver une liberté de parole.
Mû par un idéal, l’anéantissement du nazisme et la restauration de la liberté en Europe, le programme français de la BBC débutera chaque soir à 20h15 (21h15 en hiver) par la lecture des nouvelles rédigées en anglais et traduites en français, suivi à 20h25, par les Cinq minutes de la France libre, puis de 20h30 à 21h00, "Les Français parlent aux Français" entrent en scène, livrant commentaires de nouvelles, sketches, saynètes, slogans, chansons et ritournelles que les Français iront jusqu’à fredonner, en signe de ralliement. "Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ! " devient la ritournelle à succès lancée en septembre 1940 par Jean Oberlé, au sein d’une équipe qui se distingue par sa créativité. Ainsi, "La discussion des Trois amis" met en scène trois personnages d’opinion différente qui échangent sur des sujets d’actualité. Et "La petite Académie", souvent programmée le dimanche, transporte l’auditeur à l’Académie française où Jacques Borel dans le rôle du président, Jacques Duchesne dans celui de l’archiviste et Jean Oberlé en rapporteur redéfinissent les mots du dictionnaire à la lumière de l’occupation : "Liberté = mot provisoirement supprimé" ou encore "ration = restes de l’Occupant". Il y en a pour tous les publics, y compris les enfants qui disposent, tous les jeudis, de leur émission dans laquelle Babar et d’autres personnages enfantins servent les objectifs du camp allié.
Dans un studio de la BBC à Londres (de gauche à droite) : Jacques Duchesne, Jean-Jacques Mayoux, André Gillois, Maurice Schumann, Jean Oberlé et Geneviève Brissot.
© Rue des archives/PVDE
Mais le plus intriguant pour les auditeurs de Radio Londres reste ces phrases mystérieuses qui se glissent dans le programme des messages personnels, à partir du 28 juin 1940 et initialement réservés aux évadés de France qui souhaitent rassurer leurs proches en signalant leur arrivée, de façon sibylline. À compter de septembre 1941, sur une idée du colonel Buckmaster, chef de la section française du bureau des opérations spéciales SOE, des messages codés prennent place sur les antennes de la BBC . "Lisette va bien", "La lune est pleine d’éléphants verts", "Le chien du jardinier pleure"..., autant de formules fascinantes qui serviront de moyens de communication avec les mouvements de résistance afin d’identifier des agents, d’annoncer des actes de sabotages, des envois de matériel, des arrestations, des dangers à venir ou toute autre opération de résistance.
LA RIPOSTE DES ALLEMANDS
Le succès du programme est au rendez-vous : en témoignent les réactions des caricaturistes allemands qui croquent de Gaulle en "Général micro" et celles de Radio Paris qui va copier ses adversaires londoniens de l’émission Les Français parlent aux Français avec l’émission Au rythme du temps, animée par Georges Oltramare. Un mimétisme qui constitue, pour la BBC, une première victoire ! Mais qui augure d’une réaction allemande sans demi-mesure...
Les Allemands ripostent par le brouillage des ondes "ennemies" et l’interdiction d’écouter les radios alliées. Quiconque est surpris en flagrant délit est passible au mieux d’une amende et de saisie du poste, au pire de peines de prison et de travaux forcés.
Écoliers écoutant un discours du maréchal Pétain sur les ondes nationales, octobre 1941. © Lapi/Roger-Viollet
Dès lors s’engage une guerre des techniciens, sur les deux rives de la Manche, pour accroître l’efficacité du brouillage côté allemand, pour développer de nouvelles longueurs d’ondes, augmenter la puissance des émetteurs et surmonter la nuisance sonore côté allié. Pour Londres, il s’agit aussi d’être plus rapidement informé pour mieux réagir et infléchir l’opinion publique. En mars 1942, grâce à la création d’un centre d’écoutes capable de capter les émissions ennemies, les journalistes de la BBC vont disposer, chaque jour, de trois bulletins d’informations, outil formidable de réactivité. Le plus bel exemple de cette bataille de l’information est certainement le discours en faveur de la Relève prononcé par Pierre Laval, le 22 juin 1942, au micro de la radio nationale, dans lequel il "souhaite la victoire de l’Allemagne", et la réponse cinglante de Maurice Schumann le soir même : "Non au chantage aux travailleurs français" ! Une victoire de Radio Londres, dans cette guerre des mots où Radio Paris prône sans relâche la collaboration avec l’Allemagne en vue de l’instauration d’une Europe nouvelle et ne craint pas de diffuser des propos calomnieux contre les Juifs, les Anglais, les Français de Londres et les Francs-maçons.
De plus, avec le retour de Pierre Laval au pouvoir, le 17 avril 1942, la radiodiffusion française s’est alignée sur les thèmes de Radio Paris. Des émissions comme "La question juive", "La milice vous parle", ou "La Légion des volontaires français contre le bolchevisme" proposées sur Radio Vichy font écho à "La LVF vous parle", ou encore au programme "Les juifs contre la France" diffusés par la radio allemande.
Franchot "Le Général Micro", lithographie. Affiche de propagande brocardant le général de Gaulle en raison de son pouvoir radiophonique, 18 novembre 1941.
© Musée Carnavalet/Roger-Viollet
Dans cette atmosphère sulfureuse, Londres engage une lutte permanente contre les voix qui officient sur les antennes parisiennes, comme celle de Georges Oltramare, écrivain suisse nazi, animateur de la séquence "Un neutre vous parle", le docteur Friedrich à la tête de l’émission "Un journaliste allemand vous parle", mais surtout Jean-Hérold Paquis sur Radio Paris depuis juin 1942, et Philippe Henriot, futur secrétaire d’État à l’Information, auteur d’une chronique biquotidienne à succès sur Radio Vichy, diffusée en zone nord sur Radio Paris à partir de 1943. L’art oratoire de cet homme aux relents collaborationnistes, ses formules au vitriol, ses dénonciations acerbes des "bobards des enragés de la BBC", des bombardements meurtriers des Alliés, de la juiverie, des terroristes des maquis, et des "communistes sanguinaires" inquiètent à juste titre les hommes de Londres, qui désignent Maurice Schumann, puis Jean Oberlé, pour lui répondre. Finalement, le dangereux Henriot trouvera en Pierre Dac son plus brillant contradicteur jusqu’au 28 juin 1944, jour de son exécution par un groupe de résistants, à son domicile, à Paris.
LA RADIO, FER DE LANCE DE LA RÉSISTANCE CIVILE
"Oui, dites-nous ce que l’on peut faire. Sur les murs, c’est fait. Les tracts, c’est fait. Mais ce n’est pas assez, nous devons anéantir les traîtres" (lettre de zone occupée, mai 1941). Radio de la liberté, de la vérité et de l’espoir, avec cette ambition d’informer la population française aux médias contrôlés, d’instaurer la confiance et de secouer l’apathie, la BBC entendit tout d’abord susciter une résistance des esprits. Mais d’une guerre des mots, elle bascula finalement dans une guerre d’action, lançant des appels, fixant des mots d’ordre, suivant en cela l’appel du terrain…et l’instinct d’un homme, le général de Gaulle, persuadé qu’un creuset de résistance civile existait dans la population française, prête à descendre dans les rues de France pour exprimer ouvertement son refus de la situation.
Il est le premier à en prendre l’initiative, le 1er janvier 1941, demandant aux Français de faire le vide dans les rues, de 14h à 15h en zone non occupée et de 15h à 16h en zone occupée. Suivront d’autres mots d’ordre comme la fameuse campagne des V, orchestrée en mars 1941, des appels à manifester le 11 mai 1941, les 1er mai, 14 juillet, 11 novembre, sans oublier les appels sporadiques contre la violence de l’occupant, à l’image du garde-à-vous national lancé le 31 octobre 1941, à la mémoire des otages fusillés en France peu avant. Au-delà du bouche-à-oreille, la BBC put compter sur le relais des mouvements de résistance, de Radio Brazzaville, Radio Moscou à partir de l’été 1941, de la Voix de l’Amérique ou encore Radio Alger, à compter du printemps 1943. Et les Français furent au rendez-vous.
La rédaction des nouvelles de France à la BBC. © Rue des archives
Régulièrement, aux dates et heures déterminées, des cortèges d’hommes, de femmes et d’enfants vont déambuler sur les places de leurs villes et de leurs villages, arborant pour certains les couleurs nationales interdites, d’autres le V de la victoire, au son de La Marseillaise et dans une ambiance de communion. Ainsi, le 14 juillet 1941, pour la seule capitale, on estime à 26 000 le nombre de personnes venues se recueillir à l’Arc de Triomphe. En 1942, à cette même date, ils seront 150000 à Lyon, 100000 à Marseille, 30000 à Toulouse..., dans un sursaut national qui verra des mouvements de manifestations dans 71 villes du pays.
Radio Londres est devenu un formidable vecteur de résistance civile, un meneur de foule qui espère bien, le jour venu, coordonner ce potentiel d’auxiliaires en vue de la libération ! Mais avant ce moment ultime, il lui faudra encore lutter contre le désespoir qui gagnera impitoyablement les Français à compter de 1943.
LA RADIO COMME ENJEU
Instrument de pouvoir, la radio fut aussi un enjeu au sein du camp allié. Ainsi, à l’occasion du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, le général de Gaulle et ses hommes, évincés de la préparation de l’opération Torch, se virent interdits d’antenne à la BBC. Précédemment, en octobre 1942, toujours à l’insu du Général, les Anglais avaient lancé un poste noir "Radio Patrie", en Angleterre. Repérée par les hommes de la France combattante, cette radio clandestine ambitionnait de contrôler la résistance intérieure française. Après quelques discussions houleuses, elle donna naissance à un nouveau poste "Honneur et Patrie, poste de la résistance française" en juin 1943, cogéré par les Franco-Britanniques. André Gillois y officia avec talent jusqu’au 2 mai 1944, avant qu’elle ne fusionne avec les programmes français de la BBC, à l’aube du débarquement allié du 6 juin. Auparavant, le 27 mai 1943, le Général quittait Londres pour Alger, fort d’un dispositif radiophonique qui reposait désormais sur Radio Brazzaville et Radio Alger, deux postes dirigés par les hommes de la France combattante.
LA TSF, UN BIEN PRÉCIEUX
D’une guerre des mots à une guerre d’action, le camp allié avait misé sur la radio pour guider les Français qu’ils comptaient bien transformer en auxiliaires des forces alliées le jour J, et pour coordonner les mouvements de résistance. Le poste TSF était donc un objet précieux à sauvegarder, vendu à prix d’or sur le marché noir..., jusqu’à 7 000 francs pour un modèle d’occasion, 800 pour une lampe, alors que le salaire moyen horaire d’un ouvrier spécialisé parisien était de 10 francs.
Inquiets de la politique répressive de l’occupant, les Britanniques lancèrent régulièrement des campagnes de sensibilisation sur la valeur de la TSF, incitant les auditeurs à former des groupes d’écoute, économiser leur poste, s’équiper d’appareils fonctionnant sur piles ou sur accus, de postes à galène, et à prévoir des cachettes en cas de confiscation massive en France.
À l’approche du dénouement, des saisies furent engagées, la plus importante en mars 1944 dans l’Orne, le Calvados, la Manche, l’Eure, le Nord et la Seine Inférieure, théâtres possibles d’un débarquement allié. Mais ces actions localisées n’empêchèrent pas la radio de jouer son rôle de guide dans les opérations de libération du territoire national, à compter du 6 juin 1944, avant d’engager les populations, au fil de l’été, à prendre le chemin du retour à la normalité.
À la libération, les FFI ont investi les locaux de Paris-Soir, rue du Louvre à Paris : les typographes composent de nouveaux journaux, 20 août 1944. © Fonds Jean Roubier/Roger-Viollet
Le 18 août, Radio Paris cessa ses émissions. Le 20 août, à 22h30, La Marseillaise se fit entendre sur le poste, suivie de cette annonce : "Ici radiodiffusion de la nation française". Le 26 août, Radio Vichy se tut à son tour. La reconstruction radiophonique était en marche. Une nouvelle ère s’annonçait et la BBC prit peu à peu la figure du mythe . mais ce lien invisible tissé entre "la grande dame de Londres" et les Français ne devait jamais s’effacer comme le montrent ces lettres qui parvinrent encore à Londres : "Messieurs, vous avez droit à l’infinie reconnaissance des Français patriotes. Par vos émissions quotidiennes, alors que tout croulait autour de nous, vous nous avez maintenus en contact avec le monde extérieur, vous avez été pour nous le phare qui permet aux marins d’éviter les écueils et indique l’entrée du port. Vous avez été le guide qui soutient et réconforte".
Auteur
Aurélie Luneau - Historienne-Productrice à France Culture
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L’évènement
1915 1916 Les deux naissances du Canard enchaîné
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L’acteur
Philippe Viannay, fondateur du CFJ
Engagé dans la Résistance au sein de Défense de la France, c’est animé par le même esprit que Philippe Viannay, journaliste visionnaire, fonde en 1946, avec Jacques Richet, le Centre de formation des journalistes, convaincu que l’information est un métier avec ses règles et ses exigences.
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L’entretien
Christian Carion
Après Joyeux Noël, fresque historique qui abordait la fraternisation au front lors du Noël 1914, Christian Carion s’intéresse à l’exode dans son dernier long métrage En mai fais ce qu’il te plaît. Il revient sur les raisons de son choix et sur le projet pédagogique qui accompagne le film. ...Lire la suite