Quatre jours plus tard, après que douze maquisards aient été fusillés à Thônes, au Villaret, un officier allemand donne l’ordre au maire, Louis Haase, de faire disparaitre les corps dans une fosse commune. Ce dernier, sollicité pour les victimes de Morette par son homologue de La Balme de Thuy, François Deléan, veut donner à tous ces morts une sépulture décente. Devant son insistance courageuse, le commandement allemand accepte que des obsèques aient lieu, mais de nuit et en seule présence du maire et du curé.
Les premières tombes sont creusées dès le lendemain 1er avril à Morette, à la limite des deux communes de Thônes et de La Balme de Thuy, face aux cascades qui descendent du Plateau.
La nécropole des Glières
Dans les semaines qui suivent, discrètement, on y regroupe aussi les corps retrouvés dans les environs. Ainsi, le 2 mai, sont acheminées quatre dépouilles transférées du Plateau, dont celle de Tom Morel.
Au lendemain de la libération du département par les seules forces de la Résistance le 19 août 1944, Julien Helfgott, rescapé d’un peloton d’exécution, consacre durant plusieurs mois toute son énergie à l’identification et au regroupement des corps de ses camarades, tels ceux du capitaine Anjot et de ses compagnons, tombés à Nâves.
Dès l’automne 1945, le cimetière prend sa forme définitive ; on y compte 105 tombes, dont 88 sont celles de maquisards des Glières.
Le parcours de la plupart de ces hommes est retracé dans le musée édifié en ces lieux par les Rescapés à partir de 1962.
Le 5 février 1949 le site est reconnu comme "Cimetière Militaire National". En 1984, il devient la "Nécropole nationale des Glières à Morette" gérée par l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre (ONACVG), établissement public du Ministère de la Défense en charge de ces lieux de mémoire.
Le maquis des Glières
Le 31 janvier 1944, aux ordres du lieutenant Morel, dit Tom, 150 hommes de l’Armée Secrète venus de Manigod se regroupent sur le plateau des Glières pour réceptionner les parachutages d’armes nécessaires aux maquis. Rejoints par un groupe de Républicains Espagnols, puis par deux groupes de Francs-Tireurs et Partisans français, renforcés d’autres formations de l’AS, les effectifs s’étoffent et atteignent 460 à la fin mars. Les forces de répression de Vichy sont partout repoussées.
Mais l’investissement du plateau par la Wehrmacht épaulée par la Milice contraint le capitaine Anjot, successeur de Tom Morel, tombé le 10 mars à Entremont, à ordonner la dispersion le 26 mars. Tués, fusillés ou déportés, 129 maquisards y laissent la vie mais les maquis se reconstituent et, après un nouveau parachutage sur Glières le 1er août, la Haute-Savoie est libérée par les seules forces de la Résistance dès le 19 août 1944.
L’esprit des Glières
Dès l’époque, Glières est magnifié depuis Londres par la radio de la France Libre, comme l’image de la vraie France à libérer, face à la France asservie et dévoyée de Vichy.
Avec ceux de l’Armée Secrète, largement issus des Jeunesses Catholiques et encadrés par les officiers et sous-officiers du 27e BCA, avec ceux des Francs Tireurs Partisans d’inspiration communiste, avec les Républicains Espagnols, avec les Réfractaires au Service du Travail Obligatoire, venus de toute la France, de tous milieux, de toutes opinions, de toutes religions, derrière leur devise "vivre libre ou mourir", les hommes des Glières relèvent les valeurs de la France, alors bafouées et trahies.
La Nécropole de Morette, avec ses étoiles de David parmi les croix latines et ses cocardes de la République espagnole aux côtés de la cocarde française en offre une émouvante illustration.
Assurer la pérennité d’un héritage
Dès l’automne 1944, sous l’impulsion du lieutenant Louis Jourdan, alias Joubert, seul officier survivant, les "Rescapés des Glières", comme ils se désignent, se constituent en association. Leur but est d’honorer la mémoire de leurs camarades disparus et d’aider les familles, mais aussi de faire vivre les valeurs dont ils sont porteurs. Ainsi aménagent-ils la Nécropole de Morette telle que nous la connaissons aujourd’hui. Ils y installent un musée de la Résistance. Ils y organisent des cérémonies riches de sens et d’émotion.
En 1973, sur le plateau des Glières, ils font ériger par le sculpteur Émile Gilioli un "Monument national à la Résistance", inauguré par André Malraux.
L’âge venu, pour assurer la pérennité de leur héritage, ils décident une large ouverture de leur Association, aujourd’hui "Association des Glières, pour la mémoire de la Résistance" et le don de leurs biens au Conseil Général de la Haute-Savoie, à charge pour celui-ci d’en assurer la gestion et de ménager un accueil sur les sites de Morette et du plateau des Glières.
Au nom de l’État, propriétaire de la Nécropole, l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, chargé de veiller à la reconnaissance et à la solidarité de la nation pour le monde combattant et au soutien des victimes de guerre, concourt à cette pérennité.
Faire vivre l’esprit des Glières
Aujourd’hui, avec l’appui de l’Association des Glières, les médiateurs du "service mémoire et citoyenneté" du Conseil Départemental accueillent et guident les milliers de visiteurs qui, chaque année, affluent en ces lieux.
Parmi eux, des milliers d’enfants des écoles sous la conduite de leurs enseignants reçoivent à Morette ou au plateau des Glières une contribution, toujours actuelle, à leur éducation à la citoyenneté : ces lieux inspirés leur disent ce qu’est la France où nous devons vivre au-delà de nos différences, la France de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.